Il est des établissements dont on apprécie de recevoir des nouvelles. C’est le cas du lycée agricole de Mirecourt, rencontré lors du forum des enseignants innovants de Rennes. Cette fois, ce sont des cartes postales qu’il nous a envoyées, conçues par des élèves, encadrés d’un photographe, Eric Didym, et de leur enseignant d’éducation socio-culturelle Jean-Luc Boyer. A notre tour, nous l’avons contacté pour qu’il nous raconte l’histoire de ces drôles de cartes postales.
Depuis neuf ans, Jean-Luc anime un atelier d’expression artistique, et plus précisément photographique, avec l’appui de la DRAC Lorraine, dans le cadre de la convention cadre ministère de la culture/ministère de l’agriculture. L’année dernière, les animaux étaient à l’honneur avec la conception d’un bestiaire, mettant en scène dans les décors de la vie quotidienne et hors de leur contexte habituel, des bêtes de l’exploitation agricole de l’établissement.
Comment est venue l’idée du bestiaire
Suite à la lecture d’articles scientifiques sur les relations entre les animaux et les humains, j’ai eu l’idée de mettre en scène les animaux domestiques dans un projet photographique. Le principe était d’inviter l’animal dans le monde des humains, de le voir investir la ville. Ce projet fut conforté par la visite, en cours d’année de l’exposition « bêtes et hommes » à la Cité des Sciences de La Villette en compagnie d’une classe de terminale. Je pensais que ce thème pouvait faire réfléchir sur nos rapports avec le monde animal. Les élèves de l’atelier ont été emballés par l’idée de travailler avec les animaux, et en particulier ceux de l’exploitation. Le photographe avec qui j’anime l’atelier, Eric Didym aussi car il avait plutôt l’habitude de travailler sur le portrait ou les paysages.
Quels élèves ont participé au projet
Il s’agit d’un groupe de 11 élèves de 1ère Stav. Ils sont volontaires, il s’agit d’un enseignement optionnel. L’atelier se déroule deux heures par semaine avec fréquemment des temps de travail sur une demi-journée, voire une journée.
Les mises en scène sont plutôt originales, qui les a choisies ?
Les différentes scènes ont été conçues par les élèves. Nous avons d’abord fait un brainstorming sur ce qu’ils souhaitaient faire. Il s’agit d’une démarche créatrice où il faut s’attacher à donner du sens, de la poésie aux images. Il faut avoir un certain respect vis-à-vis de l’animal. Les élèves ont ensuite listé les différentes actions à mener pour rendre possibles les mises en scènes imaginées. Ils ont rencontré les acteurs sur le terrain, les commerçants, la mairie pour obtenir les autorisations nécessaires. Des fois, les contacts ne marchaient pas au premier coup. Je devais alors les appuyer mais l’important était que ce soit eux qui entreprennent les démarches.
Mettre en scène les animaux ne devait pas être de tout repos
Les mises en scène imaginées étaient parfois compliquées à mettre en œuvre. Par exemple, pour la photo de la vache sur le quai de gare, il a fallu une autorisation spéciale de la direction régionale de la Sncf. Il ne fallait pas que des trains passent pendant la prise de vue qui a duré une heure. Ce qui est intéressant aussi c’est le décalage entre la mise en scène prévue et le résultat obtenu. Des raisons d’ordre technique, ou liées au comportement de l’animal ou à la météo viennent souvent perturber la prise de vue. Une photo est rarement réalisée comme elle était prévue au départ. Il ya toujours un écart entre une idée et sa réalisation. C’est cette situation pédagogique qui est intéressante à exploiter. Elle favorise la démarche créatrice, l’initiative de l’élève.
Avec les animaux, ce n’était pas toujours facile car ils exprimaient des comportements bien particuliers dans ces situations décalées ! Les poules, les canards se manipulent relativement bien. Ils s’accommodent rapidement au milieu. Une des premières photos que nous avons faites était celle de la poule sur le bar. Nous avions peur qu’elle s’échappe ou qu’elle provoque du désordre dans le café. En fait, elle est restée bien sage, peut être figée par la peur ou par les éclairages. Le jeune porc dans la douche était très stressé. Avec la vache, c’était plus facile car c’est une habituée des concours, elle est plutôt docile. Ingrid, la bergère de l’exploitation est venue nous aider pour mettre en place les moutons.
Pour les élèves, ce n’était pas facile non plus. Le temps de régler, de mettre au point, l’animal avait souvent quitté le champ. Mais le travail avec un boîtier réflex numérique permet de faire progresser rapidement les apprentissages en visualisant et en analysant in situ les images.
Que devient le travail réalisé ?
Pour valoriser le travail des élèves, on essaie de le diffuser, par le biais des cartes postales par exemple mais aussi en organisant des expositions. Le Bestiaire a été exposé au Salon de l’herbe, au lycée, à la bibliothèque municipale, à la préfecture des Vosges et prochainement à l’inspection académique. L’année précédente, nous avions exploité le thème du portrait. Les élèves avaient photographié des agricultrices et des agriculteurs dans leur environnement quotidien. Deux expositions ont ensuite été organisées auprès des Foyers ruraux dans le cadre d’une manifestation cinématographique et d’une autre sur la condition féminine.
Et cette année, sur quel projet travaille l’atelier ?
Le thème du chantier a été retenu au niveau régional par tous les enseignants d’éducation socio-culturelle. Chacun l’exploite à sa manière en utilisant l’approche artistique qui lui est propre. Dans certains établissements ce sera le théâtre, pour d’autres le land art , la vidéo… A Mirecourt, l’atelier photographique met en scène des personnages et du mobilier de chantier (balises, rubans, panneaux…) dans un traitement surréaliste et dans des espaces comme les nouveaux locaux en construction du lycée et les paysages de nature environnants. Une exposition verra le jour en mai à l’occasion d’une manifestation régionale qui réunira l’ensemble des lycées agricoles.
D’un point de vue pédagogique, qu’apporte ce type d’atelier ?
Les projets en photo sont intéressants car ils participent à une véritable éducation de l’œil. L’atelier cherche à développer auprès des élèves un véritable travail créatif, poétique, et à donner du sens aux images. Les élèves se frottent aussi à l’envers du décor. Ils doivent communiquer avec les différents partenaires, exploiter des situations inédites, s’adapter aux circonstances. La prise d’initiatives est réelle. Ce travail leur permet aussi de rencontrer un artiste, de le côtoyer, de le voir au travail.
A côté du projet, les élèves suivent un enseignement sur la photo avec des apports techniques, théoriques et culturels. Des visites d’expositions dans la région et des rencontres avec des artistes sont également organisées. S’agissant d’un enseignement optionnel, en fin d’année scolaire, une évaluation certificative est programmée et porte tout autant sur les connaissances techniques et culturelles que sur la présentation d’un travail personnel.
Je pense qu’il n’y a rien d’extraordinaire dans la pédagogie que je pratique. L’atelier est un moyen d’ouvrir ces jeunes, issus pour la plupart d’un milieu rural, à la culture.
Propos recueillis par Monique Royer