Par Nicolas Smaghue
Enseigner le développement durable, qu’en pensent les géographes ? (4)
Après Sylvie Brunel, Yvette Veyret, François Mancebo, c’est Gilles Fumey enseignant-chercheur en géographie culturelle de l’alimentation à l’université de Paris IV-Sorbonne et au CNRS, membre du comité de rédaction de L’Information géographique, de Mappemonde et de La GéoGraphie. Animateur du Café géographique, il participe au réseau des Cafés géo sur internet.
Quel regard portez-vous sur l’enseignement du développement durable à l’école?
C’est évidemment une très bonne première étape qu’un embryon d’enseignement. Maintenant, la question est de savoir qui peut enseigner le développement durable ? Et si on l’enseigne comme un savoir à part entière ou si l’on instille des raisonnements et des résultats de recherche dans toutes les disciplines. Je suis choqué de voir que lorsqu’on parle du tourisme à Dubaï et du ski dans le désert il n’y ait aucune réflexion sur la « durabilité » d’un tel modèle de développement économique. Car ces choix sont écologiquement très contestables.
Il faut tout revoir des problématiques avec lesquelles on présente le monde à l’école. Il faut évidemment se faire l’écho de pensées comme celle de Mohamed Yunus (et pas seulement pour dire qu’il est l’inventeur du micro-crédit), celle d’un Hernando de Soto (Le mystère du capital, Flammarion, 2005). Il y a une forme de bourrage de crâne dans l’enseignement des réalités du monde aujourd’hui. Les élèves le sentent bien. Et la crise que vit l’économie comme discipline à l’école ne dit pas autre chose. Veillons à ce qu’on nous fasse pas un jour le même procès.
Quels sont, selon-vous, ce qui relève des « bonnes intentions » de ce
qu’il convient réellement d’enseigner aux élèves?
Enseigner aux élèves, c’est leur donner des bases pour un débat qu’ils auront vite fait d’engager si on ne biaise pas les présentations.
Parler de la déforestation en Amazonie ou en Indonésie, sans citer comment les firmes multinationales expulsent des populations, qui elles sont, pourquoi elles ont le droit de faire cela, rend notre travail inutile. Il me semble qu’Yves Lacoste en rénovant la géographie par un regard politique responsable avait ouvert la voie il y a trente ans et qu’on a régressé depuis.
Il faut enseigner aux élèves quels sont les rapports de force entre les grands groupes devenus, dans beaucoup de domaines, les maîtres du monde avec des Etats complices et les populations. Dans un domaine que je connais bien qui est l’alimentation, relayer les statistiques et les diktats de la FAO sans les critiquer est un non sens.
Voici moins les « bonnes intentions » que la méthode qui consiste à ne pas prendre les élèves pour des gens incultes alors qu’ils savent déjà beaucoup de choses.
Concernant la formation des enseignants sur le développement durable, quels devraient être les grands axes?
Chacun prêchera pour sa paroisse. Mais si l’on veut garder à la géographie la finalité qu’elle a qui est d’apprendre à lire le monde d’aujourd’hui, il faut cesser l’angélisme.
Les grands axes me semblent être, et dans cet ordre,
1) une réflexion sur le partage des richesses ;
2) un travail sur les raisons pour lesquelles les écarts de richesse se creusent dans le monde, et comment la thématique de la « durabilité » répond au constat d’une faillite économique fondée sur l’accumulation dans les pays riches ;
3) comment penser un développement planétaire avec quelques grands principes dont la Déclaration universelle des droits de l’homme donne un avant-goût (en insistant bien sur le fait que ce texte à vocation « universelle » ne l’est, bien entendu, pas pour tout le monde, et pas forcément des dictatures) ;
4) quelles sont les solutions pour un développement régional dans de nombreux secteurs (savoirs, alimentation, industrie de biens courants et enfin,
5) ue réflexion de fond sur le tourisme aujourd’hui, que les élèves seront amenés à pratiquer massivement, si tout se passe selon les prévisions actuelles, car le tourisme, c’est l’autre, l’autre dans son espace. On est en plein dans une problématique géographique.
Parmi ses nombreuses publications on retiendra :
Atlas mondial des cuisines et gastronomies : Une géographie gourmande – avec Olivier Etcheverria
Géopolitique de l’alimentation, Broché, 2008.