Par François Jarraud
Résistance enseignante ou complot ministériel ? Refus de toute évaluation ou d’une nouvelle forme de pilotage ? Une certitude : l’évaluation de CM2 éveille bien des inquiétudes. Pour y voir plus clair, le Café invite enseignants, experts et ministère à s’exprimer.
« Je suis abasourdi par ces évaluations faites 6 mois avant la fin de l’année. A quoi servent des évaluations faites avant la fin d’un apprentissage? Si j’en crois les propos officiels, c’est pour permettre aux enseignants, d’avoir le temps de compléter ou consolider les apprentissages qui seraient déficients. Ce serait donc une pré-évaluation? Que nenni ! … Et en plus, cette évaluation devrait à terme avoir des conséquences pour l’école, pour les effectifs, les moyens accordés, les salaires des enseignants… » Ces propos d’un professeur des écoles sur une liste de discussion illustre l’inquiétude qui va croissante alors que les évaluations doivent être passées par les élèves du 19 au 23 janvier. Le secret maintenu jusqu’à ces derniers jours sur le contenu des évaluations a exacerbé les tensions.
Ce dispositif a été décidé en 2007 par Xavier Darcos. Dans un document d’orientation, le ministre présente cette évaluation comme un moyen « de connaître et de faire connaître quels sont les acquis des écoliers français à des moments clefs de leur scolarité, notamment par rapport aux pays comparables. C’est pourquoi seront créées deux évaluations nationales témoins qui serviront à mesurer les acquis des élèves au CE1 et au CM2… Elles seront construites à partir des connaissances et des compétences légitimement attendues à ces niveaux de la scolarité… Elles seront menées au milieu de l’année scolaire afin que les professeurs des écoles aient le temps nécessaires pour organiser leur enseignement. Leurs constats seront rendus publics et permettront d’apprécier l’évolution de la réussite du système éducatif… Le niveau obtenu lors de ces évaluations mais surtout les progrès accomplis par les élèves et mesurés par ces évaluations constitueront le véritable indice de réussite de la politique scolaire ». En même temps était annoncé que « l’évaluation des professeurs des écoles doit être redéfinie : pour ne plus s’attacher seulement à la méthode pédagogique de l’enseignant mais intégrer les progrès des élèves ».
Dans une lettre ouverte à X. Darcos publiée le 7 janvier, le Snuipp manifeste ses craintes devant la difficulté des questions. » Cherche-t-on à mettre en difficulté et à stigmatiser des élèves en établissant une évaluation « couperet »? S’agit – il pour le ministère de prouver que « les résultats de ( la seule !) école primaire ne cessent de se dégrader » comme vous l’affirmez dans vos voeux aux enseignants ? » écrit Gilles Moindrot. Il relève par exemple que l’évaluation estime « la maîtrise de certaines compétences qui n’auront pas été étudiées à cette période de l’année ? Ainsi la maîtrise des fractions, des calculs d’aires ou du plus-que-parfait ». Le Snuipp rappelle sa « totale opposition à la publication des résultats école par école… Cette publication entrainerait une concurrence entre écoles dont les conséquences seraient défavorables à l’ensemble des élèves ». Le Snuipp demande le report de l’évaluation de CM2.
Le Café a voulu confronter les opinions. Il a demandé à René Macron, chef du Bureau des écoles au ministère, de répondre aux interrogations des enseignants. Il estime que « les épreuves sont bien calées sur les programmes » et y voir un outil d’aide pour les enseignants. Ce n’est pas l’avis de Rémi Brissiaud qui juge l’évaluation mal conçue. » Le Ministre de l’Éducation Nationale vient de reconnaître qu’il n’avait pas engagé la réforme de l’école maternelle et du Lycée comme il aurait fallu le faire. Quand reconnaîtra-t-il qu’il n’a pas fait mieux avec l’école élémentaire ? « . Vous pouvez lire ces deusxarticles dans le dossier spécial ouvert par le Café.
On ne saurait en effet écarter les craintes sur les difficultés des tests. Le Café s’interroge sur l’utilisation qui pourra être faite de ces évaluations. « Que pourront faire les enseignants de ce type de travail ? Certes, on va produire de l’affichage, des courbes de couleur, des quartiles et des pourcentages. Mais en quoi ce sera propice pour aider les équipes à continuer de construire ce qui, patiemment, se met en place dans les écoles, un travail sur la compréhension des difficultés des élèves, sur les enseignements à mettre en œuvre pour lever les malentendus ou ne pas laisser aux familles la responsabilité de la lecture des implicites ».
Plus qu’une évaluation, une révolution… Mais si les évaluations inquiètent autant c’est qu’elles sont bien davantage que des tests ordinaires. Comme le suggère le document d’orientation, elles sont le premier élément d’une nouvelle culture d’évaluation que le ministre souhaite mettre en place. Puisque la pédagogie est abandonnée, c’est l’évaluation qui est appelée à piloter le système éducatif. A l’image de ce qu’on fait de nombreux pays développés, ce pilotage par les performances implique une mise en concurrence des établissements, susceptible, dans l’esprit de leurs promoteurs, d’améliorer la situation des établissements. Alors que les critiques fusent en Angleterre et aux Etats-Unis contre les excès des tests d’évaluation, la France semble découvrir les rivages de la révolution libérale à l’école.
Réflexions et entretiens : lisez le dossier spécial du Café
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/evaluati[…]
Le document d’orientation
http://media.education.gouv.fr/file/40/9/20409.pdf
Le pilotage par l’évaluation est-il efficace ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/8[…]
Du rififi dans l’évaluation
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/12/0215200[…]
Le ministère répond aux craintes des instits
« La mise en concurrence des écoles n’est pas du tout à l’ordre du jour ». Jeudi 15 janvier, Jean-Louis Nembrini, directeur de la Dgesco, présentait les nouvelles évaluations de CM2.
Il s’est attaché à répondre aux inquiétudes manifestées ces derniers jours. » Les évaluations portent sur des compétences qui ont été progressivement construites bien avant le CM2. C’est le cas, par exemple des tables de multiplication, qui sont progressivement acquises depuis le CE1″ précise-t-il en réponse aux enseignants qui les jugent trop difficiles. Il a aussi rappelé leur finalité. « Ces évaluations nous donneront une image objective et fiable des connaissances et compétences de tous les élèves de CE1 et CM2 en France, sur les domaines essentiels que sont le français et les mathématiques, ».
Pourtant l’opposition à ces évaluations se renforce. Le 15 janvier, les trois premiers syndicats du primaire , le Snuipp, le se-Unsa et le Sgen, appellent les enseignants à « ne pas faire passer d’exercices correspondant à des notions non étudiées depuis le début de l’année ». Comme l’évaluation porte sur des points du nouveau programme non encore traités en classe, les syndicats craignent qu’elles mettent en échec les élèves et, au-delà, entretiennent « un danger d’instruction à charge contre l’école par la centralisation de résultats ainsi faussés ».
Communiqué
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article1886.html
Le dossier du Café
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/evaluat[…]
Démarche syndicale commune pour le report de l’évaluation de CM2
« Représentants de plus de 80% des enseignants des écoles, nous vous demandons une nouvelle fois de faire preuve de sagesse en reportant le dispositif envisagé et en engageant de véritables discussions ». Le Snuipp, le Sgen et le Se-Unsa ont écrit le 13 janvier ne lettre commune à X. Darcos demandant le report de l’évaluation de CM2. Ce sont les modalités, le contenu et les objectifs de cette évaluation qui sont contestés.
Le SIEN en première ligne
« Il est en effet évident que certaines notions évaluées par des items, en français comme en mathématiques, ne peuvent être maîtrisées actuellement, alors qu’il reste encore cinq mois d’enseignement pour les approfondir. Dans ce contexte, nous demandons au ministre de l’Education nationale de ne pas imposer la passation systématique de tous les items du protocole d’évaluation ». Le SIEN, syndicat d’inspecteurs prend à son tour position pour une « adaptation » de l’évaluation de CM2. « Afin de prendre en compte les caractéristiques particulières de chaque école, il serait cohérent de laisser à l’enseignant le choix des items à ne pas traiter ».
La découverte des épreuves pousse de nombreux enseignants à les refuser. « Les jeunes collègues sont particulièrement abasourdis… Tiraillés entre obéissance aveugle et respect des valeurs, des enfants et de leurs parents. Quel autre métier évalue un travail qui n’a pas encore été réalisé ? » s’interroge un enseignant savoyard. » Considérant qu’évaluer des élèves ainsi, sans prendre en compte la moindre réussite, sur des notions pour beaucoup non travaillées au préalable, peut constituer un traumatisme pour l’enfant ou ses parents et une aberration sur le plan pédagogique, nous refusons d’évaluer les compétences qui n’auraient pas encore été abordées. En désaccord avec ce codage injuste, trop négatif, nous appliquerons notre propre notation ». Un autre s’interroge. » Comment travailler s’il faut préparer les élèves de CM2 à ce niveau de performance en janvier : faut-il « avaler » les programmes et laisser tous les élèves fragiles sans compétences solides : les résultats des évaluations de janvier risquent alors d’être très faibles et l’école primaire va, à nouveau, être montrée du doigt ? »
Communiqué
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/evaluativ
Le dossier du café
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/evaluation[…]
Etats-Unis : 30 000 écoles se battent avec les évaluations
Selon Education Week, 30 000 écoles américaines n’ont pas réussi à atteindre les objectifs fixés par la loi No child Left Behind (NCLB). Celle-ci repose sur une évaluation en CE2, en 4ème et en lycée, en lecture et en maths. Les écoles doivent atteindre des taux de réussite définis. Si elles ne le font pas, passé trois ans, l’école fautive doit payer des aides scolaires aux élèves. Au-delà la fermeture ou le changement d’équipe peut être ordonné. Plus de 3 000 écoles seraient dans ce cas.
Cela fait réfléchir les gestionnaires des écoles. D’un coté ils s’investissent beaucoup plus dans le suivi pédagogique des écoles. De l’autre ils s’interrogent sur la faisabilité des efforts demandés. C’est le cas par exemple en Californie où 48% des écoles sont en dessous des seuils de réussite exigés.
>Education Week
http://www.edweek.org/ew/articles/2008/12/18/16ayp.h28.html?[…]