Par Rémi Boyer
De l’enseignement à l’audiovisuel au sein d’un Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP)
Quel a été votre parcours professionnel ?
« Après avoir tenté le concours d’entrée à l’ENS de la rue d’Ulm au terme d’un classique parcours en classes préparatoires, j’ai passé un Capes de Lettres Modernes. Et comme ça correspondait à l’époque de mon Service Militaire – on pouvait alors faire son service dans le cadre de la coopération – je suis parti en Côte d’Ivoire comme enseignant. J’avais en charge essentiellement des 1re, des Terminales. J’y ai passé 4 ans. Ce sont mes débuts face à des élèves. La formation des néo-capéciens était à l’époque très succincte, il n’y avait guère de réelle formation. En Côte dIvoire, j’étais détaché par le Ministère des armées pour 18 mois auprès du ministère de la Coopération ; j’ai pu par la suite prolonger ce contrat à titre civil pour deux autres années scolaires, puis j’ai demandé à rentrer en France. Lors de ma réintégration, je me suis retrouvé à Saint-Etienne-du-Rouvray (76) dans un établissement particulièrement difficile. La 1re année, il y avait des gens qui pleuraient dans la salle des profs. La 2ème année, nous n’étions que 5 sur 35 environ à ne pas demander de mutation. Le public était très différent de celui que je connaissais. Après ma réussite au Capes, je n’avais, lors des stages rencontré que des classes d’établissements « sans problèmes » de la banlieue sud de Paris. On assistait aux cours des enseignants-tuteurs, on ne prenait soi-même en charge que quelques heures de cours en présence du tuteur. Ici, je me trouvais face à des élèves qui se demandaient « de quoi je causais ». J’avais des classes très chargées. En Côte d’Ivoire, quand j’avais besoin de raviver l’attention des élèves, il me suffisait de proférer une phrase bien ronflante – avec un beau subjonctif imparfait ! Alors que là, ce n’était pas pareil !
La directrice cependant poussait les enseignants à multiplier les projets pédagogiques. À cette époque là, notamment, un groupe d’enseignants faisait de l’audiovisuel. On avait la possibilté d’intervenir dans une classe à plusieurs, on réalisait quelque chose avec ses élèves, on incitait les profs à se former par eux-mêmes : on s’inscrivait à des stages payants. Peu à peu, grâce à cette formation doublée d’autoformation, nous avons fini par être un petit peu connus au sein de l’académie pour cette pédagogie un peu novatrice. Nous avons ainsi pu, lors du plan « jeunes télespectateurs actifs » – une expérience menée dans 7 académies dont celle de Rouen – être retenus préférentiellement. Les formations comprenaient de l’analyse, de la production. On commençait à travailler en vidéo, on faisait du diaporama, du labo photo avec des scolaires. Par la suite, on m’a demandé d’assurer des formations auprès d’autres enseignants. C’était avant la création de la Mafpen. Il y avait les « Maîtres Auxiliaires volants », et on leur apprenait à intervenir dans des domaines transdisciplinaires, comme l’audiovisuel. Par ailleurs, jai été sollicité pour animéer des stages de formation à l’attention des capéciens en CPR. Je commençais à m’orienter dans ce domaine là.
Puis, la Mafpen a été créée. Parmi les domaines concernés par les plans de fomations à élaborer figuraient les « nouvelles technologies », qui se divisaient en informatique et audiovisuel. On a ainsi mis en place une équipe de 12 enseignants dans l’académie, des personnes ressources en audiovisuel. J’ai eu la chance d’être parmi ces 12 enseignants, et nous avons eu droit à une formation plus approfondie, 6 semaines la 1re année et entre 4 et 6 semaines lors des 3 à 4 années suivantes. En retour, nous devions dès la première année démultiplier cette formation et animer des stages de 18 jours pour former six groupes de collègues. Ces enseignants ont ainsi suivi, deux ans de suite, 18 jours de formation – soit 36 jours en tout. Au cours des années suivantes, j’ai assuré de tès nombreux stages au PAF sur la lecture de l’image, la sémiologie de l’image, l’image fixe et animée, le son. J’ai formé plusieurs trentaines d’enseignants. J’enseignais toujours dans le même collège à Saint-Etienne-du-Rouvray. Je m’impliquais dans le cadre de projets incluant laudiovisuel menés avec mes collègues. Nous avons ainsi réalisé l’archivage en vidéo des travaux de rénovation du centre-ville de Saint-Etienne ; en contrepartie la municipalité nous accordait des subventions. Nous avons construit un studio son dans l’établissement. J’ai eu assez rapidement une demi décharge, notamment pour encadrer des collègues de divers collèges ou lycées engagés dans des « Projets d’Initiation à la Communication AudioVisuelle ». Il s’agissait de productions audiovisuelles devant correspondre à une réelle demande – celle d’une entreprise, d’une municipalité par exemple -, avec un budget, un cahier des charges, des contraintes à respecter, des objectifs et des délais à tenir. Les formateurs MAFPEN en audiovisuel ont réalisé beaucoup de petites productions et ont été amenés à aller d’établissement en établissement pour aider les enseignants dans leurs projets.
Le groupe des formateurs a évolué, certains quittant l’académie, d’autres nous rejoignant. Nous n’avions d’autre engagement que moral : notre formation initiale ayant constitué un investissement important, nous nous devions d’en tenir compte. C’est une des raisons pour lesquelles je suis demeuré dans cette académie où m’a conduit le jet de dés des mutations.
Pourquoi avez-vous souhaité évoluer professionnellement ?
J’avais d’abord suivi différents stages tout en animant. Le directeur du Centre de Documentation Pédagogique (CDDP) de l’Eure, Jean-Paul Cayeux, avait la responsabilité du groupe des formateurs en audiovisuel de la MAFPEN. Très vite, j’avais signalé, alors qu’un de mes collègues formateurs avait été affecté au CDDP d’Évreux, comme chargé de production audiovisuelle, que j’étais intéressé par ce genre de poste. Et l’opportunité s’est présentée en 1991. J’étais enseignant en collège à Saint-Etienne-du-Rouvray depuis 1978 avec cependant, comme je l’ai dit, une demie décharge pour mes activités audiovisuelles. Il s’est bien passé 5 ans entre le moment où j’ai pensé à cette évolution et le moment où elle a été possible. En 1991, j’ai obtenu un mi-temps au Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) et un mi-temps dans mon collège – et je continuais d’assurer les stages MAFPEN. Au CRDP, un certain nombre de productions, assez ambitieuses, était en train de se mettre en place. Il s’est avéré assez rapidement que le fait d’être au CRDP à mi-temps et dans des classes le reste du temps était difficilement tenable. Les documents en cours de réalisations concernaient notamment des « Essais en STI ». Les dates de tournages étant aléatoires, il fallait se rendre sur place assez rapidement, dans d’autres départements parfois. Donc la MAFPEN m’a détaché à plein temps jusqu’en janvier 1992, date à laquelle j’ai été détaché comme « profeseur chargé d’études » au CRDP de Haute-Normandie.
Le deuil de l’enseignement en collège a été facilité par une constatation que j’avais rapidement faite : tant que j’avais eu la possibilité de consacrer pas mal de temps en dehors de mes cours purs et durs à mes élèves, en menant avec eux des projets audiovisuels interdisciplinaires, mon enseignement était beaucoup plus facile et fructueux. Avec des élèves ayant d’énormes besoins affectifs, il m’est vite apparu difficile de me contenter d’arriver pour faire un cours.
Je n’ai pas abandonné les stages pour la MAFPEN, et ce pendant 7 à 8 ans (quasiment jusqu’à la dissolution des MAFPEN)
Au CRDP, se sont bientôt développés des projets en Français Langue Etrangère (FLE). Un collègue, Daniel Modard, passait justement son doctorat en français Langue Etrangère et faisait beaucoup de missions à l’étranger, à la demande du Ministère des Affaires Etrangères (MAE), pour assurer des formations informatique et pédagogie du FLE. Sous l’impulsion du directeur du CRDP, nous avons ainsi réalisé deux séries de documents (vidéo et guides pédagogiques conséquents) pour aider les enseignants de FLE : « Lettres de France » (dix films) puis « Lettres de Francophonie » : quatre films tournés au Canada, deux au Maroc, trois au Liban, deux en Louisiane, un en Roumanie. Ceci parallèlement à des productions dans des domaines très divers.
À mon arrivée au CRDP, une opération « Langues et satellite » se mettait d’autre part en place. Il s’agissait d’un projet MAFPEN/Inspection Académique (IA), avec les IPR de langues, pour enregistrer des émissions et des journaux télévisés par satellite. On diffusait une casette tous les 15 jours en anglais, italien, allemand et espagnol, et les enseignants qui faisaient le travail de sélection et d’analyse pédagogique ont dû être formés. J’ai été associé à cette formation, avec des universitaires spécialistes du FLE notamment et c’est ainsi que l’on m’a demandé d’assurer, pour le compte du MAE, des formations à l’étranger : Norvège, Hongrie (méthode de langues), Autriche, Égypte, Tunisie, Liban, Canada, Vietnam, Maroc.
Avez-vous eu des appréhensions face à ce changement professionnel ?
« C’était naturel, je n’ai eu aucune appréhension. J’ai pu apprendre par des formations, dans le cadre du réseau et grâce au travail d’équipe. J’ai beaucoup appris « sur le tas » dans un cadre privilégié car nous étions une équipe. Face à un problème concret, on trouvait en général dans un bureau voisin un collègue capable de vous donner la solution ! Aujourd’hui, avec le temps, les équipes se sont quelque peu évaporées, les équipes sont de moins en moins remplacées. Au début, nous étions jusqu’à 5 à travailler sur un documentaire, maintenant nous sommes un ou deux. Cela est en partie du à l’évolution des technologies, mais c’est aussi une question de crédits : on réduit les postes, et la tendance est à la sous-traitance de tâches de plus en plus nombreuses.
Quel a été le regard vos collègues sur votre évolution professionnelle ?
«Les collègues que je connaissais avaient accompagné mon évolution, pour eux c’était un prolongement logique, tout à fait naturel, de ce que j’avais fait précédemment. Certes, il peut y avoir chez d’aucuns le soupçon qu’on a « trouvé une bonne planque ». Certains peut-être cherchent un endroit où ils seront bien tranquilles, mais d’autres ont le sentiment d’être plus utiles dans un autre contexte, quitte à travailler 60 à 70 h par semaine car cela les passionne. Aujourd’hui, avoir un travail et le faire avec passion, c’est assurément un double privilège et j’en ai bien conscience ».
Quel a été le regard de votre administration sur votre projet ?
« J’ai toujours été soutenu par les chefs d’établissements qui ont été les miens. J’avais l’opportunité de faire reconnaître mes compétences, et on ne m’a pas freiné dans cette voie. Je pense que les réalisateurs opérant dans le réseau CNDP/CRDP ont la chance d’être à l’articulation du pédagogique et du technique.
Je l’ai mesuré en de nombreuses circonstances, notamment lors de coproductions avec le CETIM (Centre d’Etudes des Techniques Industrielles et Mécaniques), qui dispose d’un service audiovisuel mieux équipé qu’un CRDP. Et pourtant, le CETIM, au vu de nos productions, nous a demandé de réaliser des films de formation, expliquant qu’en ce domaine, ils « ne savaient pas faire », que, ce que nous faisions, une société privée ne le ferait jamais de la même manière.
Depuis 1992, donc depuis 17 ans, je suis au CRDP, ma retraite se profile dans 2 ans environ, j’ai presque 58 ans. Mais je continuerais bien à travailler si on me le propose – et si les conditions s’y prêtent. J’aimerais en tous cas continuer à « faire des images » car c’est une passion autant qu’un travail. »
Un parcours comme le vôtre serait-il encore envisageable aujourd’hui dans le réseau des CDDP-CRDP ?
« Plus difficilement sans doute, du moins dans des conditions identiques. Le nombre des services audiovisuels est plutôt appelé à décroître au sein du réseau selon le schéma d’orientation du CNDP, qui envisage de ne conserver cette activité que dans quelques CRDP particulièrement productifs et dotés de structures conséquentes. Des services ont déjà fermé dans certains centres, beaucoup d’entre eux, dont celui de Haute-Normandie, étant ces dernières années confrontés à des difficultés financières : la subvention de l’État de couvre pas la totalité des salaires, 15% environ sont à trouver sur ressources propres. Le coût d’une production de qualité est de nature à faire hésiter les décideurs administratifs, dans un contexte où les préoccupations financières tendent à l’emporter sur toutes les autres. La sous-traitance est au besoin la solution retenue.
Cependant, de façon quelque peu paradoxale, on a constaté lors des dernières rencontres audiovisuelles du réseau CNDP/CRDP que le nombre de projets était en augmentation et ces projets sont portés par un grand nombre de centres. De jeunes collègues y interviennent et leurs itinéraires peuvent être comparables au mien.
Il faut ajouter que les tâches de tous sont appelées à évoluer : d’une part les techniques changent constamment, d’autre part une plus grande diversité des compétences est requise. Ainsi, au CRDP de Haute-Normandie, parallèlement à la production, la formation et l’animation seront de plus en plus présentes dans mon emploi du temps, notamment avec l’ouverture imminente d’une salle de formation jouxtant un espace exposant des matériels divers (TNI, visualiseurs, classes mobiles) de fabricants divers : enseignants et décideurs pourront les comparer et s’initier à leur manipulation. »
Connaissez-vous d’autres structures qui disposent de postes de chargés de production audiovisuelle occupés par d’anciens enseignants ?
« Le CNED dispose également d’un service audiovisuel, à Poitiers où il est son siège, et dans certains centres régionaux. La Fédération des Œuvres Laïques et diverses associations accueillent ou ont accueilli des enseignants détachés en vue de la production audiovisuelle. L’heure est cependant partout davantage à l’affectation quasi exclusive des enseignants dans les établissements scolaires et à la réduction des détachements. »
En vous basant sur votre expérience, quels conseils donneriez-vous à un enseignant tenté par une seconde carrière hors de l’enseignement ?
« L’essentiel tient en un fait : ce choix doit correspondre à la recherche d’un poste dans lequel on a le sentiment que l’on pourra être plus efficace, plus utile ; si c’est un choix par défaut, des désillusions risquent d’apparaître rapidement. »