tribune d’Anne-Marie Gioux
Autant qu’à tout autre niveau de la scolarité des enfants, les savoirs professionnels des enseignants en maternelle méritent respect et reconnaissance. Plus qu’ailleurs, il sont souvent méconnus. Le plus courant est de les assimiler à des soins de maternage : l’âge des élèves induit des conceptions régressives de leurs besoins entre 2 ans et 6 ans. Depuis longtemps, on sait pourtant que mêmes les nouveaux-nés tirent profit de n’être pas considérés sous le seul angle de leur alimentation ou de leur propreté.
La question souvent posée de la qualité éducative de l’accueil des TPS (entre deux et trois ans) dans une école ne sera pas résolue par le recours à une garderie dans les locaux scolaires… le développement stimulé par des professionnels de l’enseignement/apprentissage, formés ( Bac + 5) et soutenus par les recherches constantes en psychologie a prouvé sa validité, notamment pour les enfants les plus démunis, peu aidés familialement à entrer dans les codes sociaux et linguistiques qui servent de médiation aux savoirs scolaires.
Les » jardins d’enfants », « jardins d’éveil » et autres formules horticoles (cf Hameline 1986) sont bien plus qu’un alignement paysager sur les pratiques de nos voisins européens ; ils relèvent d’une restriction d’ambitions démocratiques dans l’accès de toutes les familles à des pratiques réelles d’accompagnement préventif d’inégalités culturelles préjudiciables à court terme, dans une société où le savoir scolaire est primordial.
Transferts de charges ?La question des gestes professionnels de l’enseignant(e) se pose donc encore en maternelle, surtout en TPS, parce que la proximité du maternage rend nécessaire une démarcation, l’affirmation qualitative d’une différence. Passé le cap de la remise en question de la TPS, la PS sera-t-elle à son tour mise en cause dans l’intérêt qu’elle présente pour les enfants de 3 ans ?
Si le souci d’économies publiques est une des raisons de la suppression des classes de TPS, c’est sans doute parce que les responsables politiques n’ignorent pas que le réseau des crèches et autres lieux « d’accueil » est loin d’être aussi dense que celui des écoles maternelles… Il y aura donc une diminution des coûts de subvention pour les institutions de garderie.. ou transfert de dépenses d’état (salaires de fonctionnaires) à un échelon local fluctuant – et souvent écartelé- dans ses choix politiques d’investissement en locaux, matériels et embauches de personnels qualifiés.
Là encore le déficit des structures en milieux pauvres (banlieues-dortoirs, zones prioritaires, campagnes isolées) se creusera vis à vis de quartiers, de villes, de canton, de départements ou de régions déjà sur-dotés en structures d’accueil, en parents aisés, en élus représentatifs.
Enfin, si la démarche intégratrice d’inscription dans une école peut aider à l’assimilation de populations marginalisées ou en difficulté sociale, on ne saurait trouver le même geste social de volonté d’adhésion à un système de valeurs républicain dans l’inscription utilitaire à une halte garderie ou à une crèche.
La récession de la politique scolaire réside donc aussi dans le renoncement à définir de façon claire les enjeux sociaux, symboliques et les habiletés professionnelles d’une école maternelle qui aiderait à créer du lien social, de la mixité culturelle (et de la valeur intellectuelle), qui en ferait la base de réussite d’une l’école élémentaire obligatoire.
Bien plus, cette récession est aussi une façon d’éluder les conclusions de tous les rapports d’évaluation comparée des systèmes scolaires (européens et mondiaux, de l’OCDE, PISA et PIRLS). En supprimant la première marche d’accès – qui pouvait se faire en douceur – au monde normé et formel des savoirs scolaires, on augmente le stress et l’angoisse de tous les acteurs, on réduit les marges de manoeuvre et de prévention pour apprivoiser les enfants les plus craintifs et les plus fragiles, qui seront déjà, à 3 ans et demi, en PS et MS, dans un décalage aggravé par rapport à leurs condisciples déjà aguerris par leur milieu familial (langages, postures psychiques, aisance motrice, conduites créatrices).
Prendre le temps…Il est donc stratégiquement compréhensible que l’opinion ait été d’emblée focalisée sur la question du maternage et non sur celle de la spécificité des gestes professionnels en maternelle… Une fois encore, on ramène le débat au niveau du fondement (les couches), comme précédemment on vantait le retour aux bonnes méthodes d’inculcation des savoirs par la répétition. En contrepoint, sous couvert d’un « retour de l’autorité », on caricature la pensée des psychologues et pédiatres les plus renommés (les articles récents contre « l’effet Dolto » en sont un exemple)… A quand le retour de la fessée et des châtiments corporels ?
Pour être conscient des énormes acquis rendus possibles par un accompagnement formateur en TPS d’école maternelle, encore faut-il avoir observé l’évolution d’un enfant entre septembre et juin, entre 2ans et demi et trois ans, en s’attachant à d’autres critères que les « résultats » ponctuels et tangibles, mesurables par des tests. Il convient en ce domaine éducatif d’être patient, le plus précieux atout étant le temps accordé à ces petites personnes pour apprivoiser l’école…
A deux ans, l’enfant est déjà en marche vers les savoirs, c’est une personne qui émerge. Le rôle d’une société équitable, c’est d’aider tous ceux qui en ont le plus grand besoin – « les petits, les sans grade »- à entrer sans crainte dans la maison commune, dans la maison d’école.