En organisant à Dijon un colloque sur l’Ecole Maternelle, le Comité Régional de la FCPE Bourgogne et son président, Bruno Lombard, entendaient bien informer les parents des lourdes évolutions à l’oeuvre sur ce maillon essentiel du système éducatif.
Organisé sur deux jours, il a été l’occasion, pour plusieurs spécialistes souvent renommés, de débattre de leurs points de vue, souvent convergents, parfois dissonnants, sur ce qu’il est urgent de défendre ou de transformer pour que l’école maternelle continue d’être à la hauteur de sa réputation… Lucile Barberis : « il faut une conférence de consensus sur l’Ecole maternelle »Les récents propos du ministre sur les enseignantes de maternelle l’ont évidemment fait réagir, mais avec son association, l’AGEEM, Lucile Barberis a décidé de monter à l’offensive. Particulièrement remontée par le fait que le ministère n’ait pas jugé bon de diffuser aux parents d’élèves de maternelle le contenu des programmes, comme il l’a fait en élémentaire, son association a décidé de prendre le mors au dents. Elle rend donc public le Guide des Parents, qu’elle propose aux enseignantes de maternelle de diffuser. Centré sur les « besoins » des jeunes enfants (besoins physiologiques, besoins affectifs, besoins d’apprendre), il précise comment s’y prend l’école maternelle pour poursuivre ces buts : organisation des espaces, de l’accueil, des activités, des situations, des moments d’apprentissage et de verbalisations…
Elle invite donc parents et enseignants à travailler ensemble pour défendre la maternelle entrée dans une période de turbulence, que ce soit du fait de la remise en cause de la scolarisation des petits ou des suppressions de postes. Elle s’étonne de la remise en cause de documents d’application des programmes qui, dans la suite des programmes de 2002, sont des outils particulièrement riches pour accompagner les enseignants à jouer tous leurs rôles.
Agnès FLORIN : « l’école maternelle est une aide au développement des enfants. « « La spécificité de la France, c’est que l’Ecole maternelle n’est pas comme ailleurs un mode d’accueil préscolaire parmi d’autres (individuels ou collectifs) ». En effet, depuis les années 90, tous les enfants de 3 ans y vont, et un tiers des enfants de deux ans, même si ce chiffre baisse. « Elle est gratuite et accueille tous les enfants, quelles que soient leurs langues, familles, conditions de ressources ». Elle est intégrée dans l’école primaire, avec des programmes spécifiques. Son histoire s’ancre dans le pôle de l’instruction, pas dans l’hygiénisme, depuis le 19e siècle.
Bien que les effets de la scolarisation précoces soient incontestables, même s’ils sont limités aux deux extrémités de l’échelle sociale (enfants de familles très défavorisées et de cadres…), elle est aujourd’hui en recul, victime des économies de moyens. Agnès Florin précise pourtant les conditions d’une scolarisation réussie des petits : préparer l’entrée, respecter les besoins physiologiques et son bien-être par des conditions d’accueil correctes, moduler les différentes temps d’activités structurées, de repos et de jeux libres. « Evidemment, on ne peut poser ces questions sans travailler en même temps les conditions de l’accueil péri-scolaire et les rythmes de vie des familles, souvent peu compatibles ».
Le rôle fondamental des apprentissages dans la petite enfanceDu fait de la « plasticité cognitive » de la petite enfance, il ne peut y avoir d’apprentissages « fondamentaux » (ceux du cycle II) sans apprentissages « premiers », ceux du cycle I. La maîtrise du langage oral et écrit, la compréhension dépendront de la prise en charge faite durant les années de la maternelle, dans et hors la classe. Les inégalités de réussite à l’entrée au CP prédisent la moitié des difficultés scolaire en fin d’élémentaire. « Pour apprendre, mais aussi pour apprendre à vivre ensemble, à exprimer ses émotions, à comprendre celles d’autrui, à surmonter les conflits, la maternelle est indispensable. »
Apprendre à apprendre : développer une pédagogie explicitePour mieux pouvoir « faire apprendre », il lui semble nécessaire de se départir de positions « naturalistes » sur les apprentissages : parce que les modes d’apprentissages peuvent être sources de malentendus, comme écrivent B. Lahire ou Stéphane Bonnery, il faut clairement apprendre aux enfants les objectifs visés, ce qui est attendu de leur part, les moyens d’y parvenir. Il faut entraîner les capacités attentionnelles et la mémorisation. Il faut développer une attitude réflexive sur les problèmes à résoudre, les erreurs et les réussites, favoriser l’autoévaluation. « Préparer à l’élémentaire n’est pas anticiper trop vite sur les apprentissages fondamentaux. Rechercher le bien être des enfants, leur confiance en soi et avoir de l’ambition pour les apprentissages n’est pas incompatible. Entre la garderie et le pré-CP, la maternelle a sa place pour aider les enfants à surmonter les difficultés normales du développement, changer., dépasser les ségrégations et les communautarismes, apprendre est souvent difficile… »
Bruno Suchaut : « les réformes au pas de charge incitent à la vigilance »« L’Ecole primaire va plus mal qu’il y a trente ans, les enquêtes nationales et internationales le montrent. Qualitativement et quantitativement, on peut mieux faire : le pourcentage d’élèves qui ne maîtrisent pas les compétences attendues est trop important ». Une bonne part des inégalités scolaires s’accroissent avec l’accentuation des difficultés économiques. Mais il entend souligner également le pilotage insuffisant, l’échec des politiques censées lutter contre les difficultés scolaires, le manque de cohérence des politiques : « En maternelle, c’est le contexte budgétaire qui réduit le nombre de petits scolarisés, pas la démographie… Pourtant, une classe maternelle coûte trois fois moins cher qu’une classe de grande école… ». Partageant avec Agnès Florin l’analyse des bénéfices de la maternelle, notamment sur le redoublement ou la réduction des inégalités sociales, il insiste sur la nécessité d’y développer les capacités de raisonnement ou la construction du temps, compétences corrélées et prédictives de la réussite scolaire. « Cela passe par le développement et l’expérimentation de vecteurs pédagogiques. Mais les réformes qui se succèdent au pas de charge incitent plutôt à la vigilance… »
voir aussi cet entretien du Café avec B. SuchautIsabelle Delcambre (Lille) : l’entretien du matin, une affaire de style ? Spécialiste en didatique du français, Isabelle Delcambre centre son travail de recherche sur les entretiens du matin, moment emblématique de la maternelle. Plutôt que de chercher les « bonnes pratiques », elle entend essayer de décrire précisément ce qui s’y passe, pour le discuter.
Dans ce « dialogue inégal » dont l’un des objectifs est de faire « entrer les enfants dans un statut d’élèves », les activités et les modalités d’intervention de l’enseignante peuvent être très différentes : quand dans certaines classes les échanges se font essentiellement dans des « dilogues » entre un élève et l’enseignante, d’autres parviennent à mettre en place des « trilogues » ou des « polylogues » : un second enfant qui intervient dans la conversation à deux, ou même des échanges où les rôles sont mieux identifiés (des « écouteurs » actifs qui questionnent le « présentateur » ), où l’élève parle davantage à la classe qu’à la maîtresse. Derrière ces différences formelles, chez les enseignants, « sans doute des conceptions différentes de l’entretien : un moment pour « s’exprimer » spontanément, ou un travail dont on apprend progressivement les règles ? ». Selon ses conceptions, l’enseignante porte en effet son attention sur la mise en place chez les enfants d’habitudes et de règles différentes : être visible et audible par le groupe, pas seulement par l’enseignante ; « empêcher de parler » celui qui ne demande formellement la parole, ritualiser…
Un peu ébranlé par cette présentation, un parent pose une question essentielle : « Mais alors, on va à la maternelle pour jouer ou pour travailler ? ». I. Delcambre répond à sa manière : « pour créer et pour apprendre. Et pour apprendre, il faut travailler, mais en parvenant progressivement à s’emparer de son propre programme, pas seulement celui de l’enseignante… ». Et pour celà, il faut pouvoir disposer de temps et de régularité, conclut-elle.
Jean Noël Foulin (Bordeaux) : peut-on aider les prélecteurs à construire les fondations de l’apprentissage de la lecture ?De son point de vue de cognitiviste, le chercheur bordelais entend avoir une approche privilégiant à la fois la maturation des connaissances, et un enseignement explicite des compétences à développer, chaque acquisition influençant les suivantes dans le développement.
Pour lui, l’enfant passe progressivement plusieurs étapes dans la reconnaissance de l’écrit : correspondance logographique, syllabique, syllabo-alphabétique, puis alphabétique. « Mais les écarts d’acquisition entre élèves sont très importants : si en septembre du CP, la moyenne des enfants reconnaît 17 lettres, un enfant sur cinq en reconnaît moins de douze… »
Pour lui, la maternelle doit donc travailler à réduire ses écarts par un enseignement précoce dans plusieurs grandes directions :
– développer la connaissance des lettres et la sensibilité aux sons dans les mots, pour avancer dans la compréhension et le mise en oeuvre du principe alphabétique, de la conscience phonologique. Pour lui, cela passe par un travail progressif sur les syllabes, les rimes, puis les phonèmes, par des comptines, des jeux de mots,
– développer la compréhension des textes écrits par un travail systématique sur la compréhension, comme l’expliquent Gaonac’h et Fayol dans leur « enseigner la compréhension » (Hachette)
– encourager la motivation pour la lecture et l’écriture en mulipliant les situations de rencontre, par des lectures partagées ou un travail d’écriture approchée.
Michel Fayol : « Les enseignants doivent être formés comme des professionnels ! »« A la fin des années 80, j’ai constaté une évolution des préoccupations des enseignantes de maternelle, lorsqu’on a commencé à me demander des interventions sur les apprentissages ». Il y voit sans doute la fin d’une perspective rousseauiste, renforcée par le poids croissant des comparaisons internationales. La somme des savoirs à acquérir à l’Ecole change, la maternelle se demande comment elle peut y contribuer, aussi bien en histoire que pour les langues vivantes. Il s’en suit une sorte de primarisation de la maternelle qui confond trop souvent contenus et méthodes. « Dans un système d’écriture comme le nôtre, si peu « transparent » orthographiquement, il faut penser un apprentissage capable de développer la conscience phonologique et alphabétique. Dans notre système de calcul, le passage de l’oral à l’écrit est moins transparent que dans d’autres pays (soixante-douze et quatre-vingt-quatorze !) ». L’histoire de la maternelle, souvent centré sur le ludique, ne l’a pas toujours préparé à inventer des modalités d’apprentissage permettant de passer de l’inductif à l’enseignement, sans singer pour autant le pire du primaire… Il craint désormais que la maternelle relève des autorités locales et perde sa dimension d’Ecole de la République, et montre sa colère devant le refus d’organiser une formation véritablement professionnalisante : « Il est incroyable que les enseignants n’aient pas le même honneur que les médecins ou les plombiers : apprendre à développer des gestes professionnels efficaces »
Claudine Paillard, ANDEV : « Les amitiés et les peurs se soudent dès la petite enfance »« La maternelle n’est pas un lieu de passage, mais un lieu d’ancrage ». Avec ce propos introductif, Claudine Paillard, responsable nationale de l’ANDEV, association qui regroupe les directeurs à l’Education des villes de France (de droite et de gauche…) Claudine Paillard insiste sur l’importance de ce moment dont va dépendre l’attachement de l’enfant (et de sa famille) durant toute sa vie. Avant, pendant, après la classe : elle entend faire un tout de ces temps collectifs, pour leur donner une cohérence, et « en être plus fiers qu’on ne l’est parfois ». Dans ce moment-charnière où le parent doit accepter de déléguer à d’autres une part de ce qui lui est le plus cher (l’éducation de ses enfants), le travail en équipe lui semble vital : enseignants, ATSEM, parents, structures municipales, mais aussi élus et cadres de l’Education Nationale doivent coopérer pour ce qu’elle considère comme un « service à la Nation, pas seulement aux usagers ». Evidemment, quand le ministre supprime sans concertation le samedi ou modifie les modalités d’aide scolaire, elle bout et crie à l’incohérence. Ce « discours managérial » est à mille lieues du travail collectif à réaliser ensemble, au plus près du terrain, en respectant chaque acteur dans son métier.
Cependant, tempère-t-elle, les nouvelles modalités d’accueil des petits, avec l’exemple des classes-passerelles, ont obligé l’école maternelle a s’interroger sur la manière d’accueillir les parents, de travailler les temps et les espaces. « C’est un élément de dynamisation incontestable. L’Ecole maternelle est le reflet social du quartier. Les amitiés et les peurs s’y soudent dès l’enfance… ».