Par Gardy BERTILI
La formation initiale et continue des conseillers principaux d’éducation, vieux serpent de mer comme l’est la formation initiale et continue des enseignants, des chefs d’établissement. Cette problématique est récurrente, la formation est définie comme insuffisante, irréaliste, inadéquate non seulement dans ses contenus mais aussi parce qu’elle ne répond ni aux attentes ni aux mutations nombreuses que subissent la société et l’école.
La plupart des études dénotent une certaine insatisfaction, pour ne pas dire une insatisfaction certaine de la formation initiale et continue. Elle est interprétée comme infantilisante, désespérante, en décalage aux besoins, inefficace face aux réalités du terrain. Le terrain, comment en être au plus près, comment prendre en compte avec ses obsclacles, ses aléas, la diversité des publics, des demandes ? Le terrain est si divers, si disparate, si complexe, si systémique qu’ils redoutent, et ce qui intéresse notamment les collègues c’est le concret.
Comment en effet, définir pour tous les CPE un socle commun de compétences, d’aptitudes et d’attitudes cohérentes et adaptées lorsque l’on mesure les différences qui peuvent exister en fonction du lieu, des conditions d’exercice mais aussi de la marge de manœuvre en terme de délégations partagées, subies, propres, en terme de liberté d’action éducative et pédagogique laissées par l’institution et par la direction ?
Les CPE se sentent quelquefois désarmés, désoutillés, désemparés face à des réalités auxquelles ils n’ont ni de réponses suffisantes, adaptées, ni de clés. Ils sont souvent en quête de clés de lecture, de clés de leurs actions et de leurs réactions. Sans parler de celles des élèves, des parents, des équipes et de l’institution elle-même. Leur désarroi et leur désespoir peuvent être sources d’inquiétudes pour les autres et pour eux-mêmes car on attend beaucoup d’eux. Leurs capacités d’actions et de réactions, si possibles rapides, efficients, aptes à éteindre à temps les feux qui embrasent les salles de classes, la cour de récréation ou ailleurs, rassurent et leur confèrent une légitimité professionnelle. Quand ils se trouvent dans l’incapacité même temporelle, même conceptuelle, même contextuelle d’apporter la réponse attendue, lorsqu’ils ne peuvent pas ou plus jouer ce rôle de conseiller technique, lorsque leur expertise éducative est prise en défaut, les CPE sont stigmatisés, et il suffit de peu pour que leur reconnaissance soit à jamais chimère au sein de l’établissement. Le terrain, ils y sont attendus tout de suite, d’où l’angoisse qui les étreint lorsque celui-ci leur échappe, lorsqu’ils ne s’y sont pas suffisamment préparés ou lorsque les attentes s’y trouvent en décalage. Opérationnels et immédiatement, on les attend au tournant, et formés ou non, stagiaires ou non, peu importe, ils doivent être ou devenir des CPE.
La formation à l’IUFM a généré des espoirs déçus, les formateurs sont jugés trop loin du terrain, trop généralistes ou encore trop techniques disciplinairement. Former les CPE à l’insu de ce qui se fait pour les enseignants engendre des déceptions, et souvent les CPE stagiaires considèrent qu’ils y perdent royalement leur temps.
Former à quoi et pourquoi?
Comment former au projet de service, au projet de vie scolaire, au projet de l’élève, à la conduite de réunion ou d’entretiens, à la formation des équipes vie scolaire, à l’adaptabilité, à la mise en œuvre d’une politique éducative dans le cadre du projet d’établissement, et cela lorsque l’on exerce au collège rural, dans un grand lycée parisien, dans un lycée professionnel enclavé dans des cités ? Sans parler des établissements de réseaux ambition réussite, des APV et autres types d’EPLE.
Les CPE sont très exigeants en matière de formation mais souvent ils réclament des recettes, des techniques, des outils, et on comprend le succès des sites d’échanges, de mutualisation de pratiques, de forum. Ils ne sont pas toujours sensibles aux théories sociologiques, philosophiques, arguant du fait que le terrain ne se prête que très peu à ce genre de circonvolutions intellectuelles. Or, les théories, les pratiques réflexives permettent de prendre de la hauteur, de l’élan et d’éclairer le terrain.
Comment former les CPE en tenant compte de ces deux enjeux : enjeux théoriques et professionnels ? Or l’un et l’autre s’éclairent, se complètent. Connaître la philosophie de l’éducation permet de mieux appréhender, par exemple, les problématiques de la culture, de l’éducatif, de l’autorité, du pouvoir entre pairs. Connaître la sociologie de l’éducation permet, par exemple, de comprendre les problèmes de la socialisation, des violences, des incivilités, de réfléchir sur la place de l’école dans la société. Comment nier que les références en psychologie permettent de mieux appréhender le rapport que les élèves entretiennent à eux-mêmes, à leurs parents, à la société ; elles permettent de réfléchir sur ces questions qui taraudent au quotidien. Sans devenir des sociologues, des philosophes, des sociologues, les CPE en s’imprégnant de ces lectures, de ces théories, de ces réflexions, ne peuvent que gagner. Dans ce métier et plus que dans tout autre, il faut savooir s’élever, prendre du recul, résister contre la dictature des urgences, contre le dictact du quotidien. En s’élevant, le CPE peut devenir un interlocuteur crédible, capable et légitime pour réfléchir aussi bien sur la problématique de l’assiduité, de la gestion du temps, du rytme scolaire, de l’organisation pédagogique, de l’évalutation, du cloisonnement identitaire, de l’autorité. Trop préoccupés par le terrain, les CPE peuvent s’éloigner de la réflexion, de leur capacioté d’action maîtrisée et systémique.
La formation des CPE, que cela ne plaise ou non, doit être une formation disciplinaire aussi. Le choix du contenu est important et il faut à la fois parvenir à le confronter aux réalités et susciter des pratiques réflexives. Mais inonder la formation initiale que de praticiens CPE constituerait une grave erreur d’appréciation, et renforcerait la mauvaise image de ce corps, déjà en quête d’identité et de valorisation. Or ce qui fait la richesse de corps c’est la diversité intellectuelle de ceux qui l’exercent. Il suffit d’une licence, et c’est ce qui fait la complexité d’une formation initiale. Comment former ensemble les licenciés ou les doctorants de philosophie, de sociologie, d’arts appliqués, de droit, d’urbanisme. Les regards sont divers, le prisme du métier peut diverger, les conceptions du métier dépendent aussi des origines, même si in fine l’on se retrouve sur l’essentiel : l’acte éducatif au service de la réussite personnelle et professionnelle des élèves dont nous avons la charge. Néanmoins, richesse, diversité mais aussi difficultés de trouver des axes majeurs d’intérêts, chacun vient chercher ce qui lui manque ou ce qui le conforte.
Faut-il pour autant déconnecter la formation des CPE des IUFM, ce serait suicidaire. Ce fut une conquête, un acquis que CPE, professeurs des écoles, enseignants partagent le même espace de formation, conservons-les. Et quelle conquête, travailler ensemble, échanger en commun, partager les expériences, décloisonner les disciplines, favoriser l’interdisciplinarité, la transdiciplinarité, développer l’idée de travail d’équipe, le sentiment d’apparentenace à une même communauté éducative et de destin, œuvrer ensemble sans trop de défiance, de peurs, autant d’acquis qu’il faut plutôt renforcer.
Développer la formation évaluative
Ce qui manque notoirement aux CPE c’est le temps de réflexion et de formation sur le terrain, justement. Certes, il ya des stages plus ou moins bien conduits, mais la rencontre entre soi est rarement productrive. Les stages ou réunions des réseaux (en fait ces réseaux s’apparentent aux réunions de bassins pour les autres corps, à l’image de ce qui se fait pour les personnels de direction) s’apparentent à de grands moments de défouloir, d’exutoir, où les critiques plus ou moins acerbes contre les autres acteurs fusent. Pourquoi pas, ces moments sont sans doute nécessaitres mais les échanges, les études de cas, le retour sur les pratiques manquent souvent cruellement. Comme manquent cruellement les temps d’échanges, de débats, de critiques constructives entre les équipes au sein des établissements. Ce sont autant de moments formateurs qui font défaut. On pourrait construire ensemble des indicateurs ou les analyser, des tableaux de bords ou les interpréter, des projets réellement porteurs d’adhésion collective, de regards « transfrontaliers » sans excès de prudence ou de flagornerie. Les CPE agissent, réagissent sans trop avoir le temps de se poser, de réfléchir en équipes sur leurs pratiques, leur vision et celles de ceux qui les environnent, qui travaillent avec eux et non pas uniquement à côté d’eux..
Il est vrai que l’isolement, les urgences, les attentes, le manque de temps ne favorisent pas cette prise de distance, ce temps de formation. On craint de perdre du temps alors que le téléphone sonne, des élèves attendent, des familles râlent, des personnels de direction s’impatientent. Difficile aussi de formaliser un temps de débats, de dialogue, de réflexions lorsque les urgences se bousculent, lorsqu’il faut intervenir sans cesse. Et aux moments où ce temps pourrait se révéler possible, nous sommes bousculés par d’autres impératifs familiaux ou autres. En fait, ce temps, nous le prenons pas, nous le formalisons car se rencontrer, s’affronter positivement, se confronter sans se conforter représentent des exigences et des contraintes, le dépassement de son ego pour aller vers les autres et aboutir à des compromis.
Au-delà des réunions vie scolaire fourre-tout ?
Manque aussi la formation sommative, quotidienne. Il est rare de voir des réunions de vie scolaire où l’on formalise en équipe direction-CPE, où l’on se donne le temps d’interroger ce qui a été décidé, où l’on se questionne sur la portée des décisions ou des absences de décisions .
Même le temps de la notation qui devrait être un temps d’échanges formatifs est bâclé. La fiche d’évaluation est souvent signée au secrétariat du chef d’établissement sans rencontre formalisée, sauf si des mécontentements, des contestations émergent.
Nouveau concours…nouveau corps ?
En 2010, les concours seront réformés avec le recrutement des enseignants au niveau du master. Les universités qui ont phagocyté les IUFM assureront cette formation dès le master niveau 2 dans le cadre de la réforme de l’enseignement supérieur LMD. Le cahier des charges commence à se décliner.
La charte qui définit les principes relatifs de la réforme du recrutement et de la formation des enseignants n’évoque nullement la réforme du concours des CPE. Ce qui ne peut qu’accroître les craintes même si la charte précise que tous les concours resteront nationaux et que la formation initiale restera identique.
Mais rien n’est dit sur l’organisation de la formation des CPE, est-ce un oubli ou cela traduit-il au contraire la difficulté de définir une formation adaptée disciplinairement, réflexivement, pratiquement ? Il faudrait que le ministère se prononce vite s’il ne souhaite pas que coure la rumeur récurrente et dévastatrice de la fin des CPE.
Et petite provocation, les CPE désormais recrutés au niveau du master 2 pourront-ils prétendre à l’agrégation d’éducation qui leur ouvrira directement le corps des personnels de direction première classe et celui des inspections pédagogiques régionales ?
A suivre… !