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« Valoriser le mérite et la compétition c’est créer un conditionnement qui n’a donc que peu de rapports avec la motivation ». Pour Gérard de Vecchi la mesure proposée par Darcos ne répond pas à la question de la motivation. Pire elle participe d »une dégradation du climat d’établissement.

Xavier Darcos souhaite remettre à l’honneur les récompenses scolaires et distribuer aux bacheliers une « médaille » (…de couleur différente selon la mention obtenue… les jeux olympiques étant passés par là !). Cela semble de bon sens ! La récompense n’a-t-elle pas toujours été considérée comme un support à toute éducation ? Certains nostalgiques doivent se souvenir des bons points ! Une action méritoire, une bonne réponse… et ils avaient droit à un bon point. Sans oublier qu’avec dix bons points ils obtenaient une image… et que dix images leur donnaient droit à des bonbons ! Cela n’encourageait-il pas les élèves à réussir, ne couronnait-on pas leur mérite ?

Des évidences faisant partie du bon sens… ou du sens commun ?

Tout d’abord, « la médaille aurait plus de signification que le seul diplôme de papier », comme l’a déclaré le ministre ? « Il faut vraiment n’avoir lu aucune des (nombreuses) études sur la question pour oser dire, sans rire, qu’une médaille a plus de signification qu’un diplôme. Et si cela correspond véritablement à la réalité des étudiants, c’est la preuve que notre système d’éducation les a bien abîmés. »[1]
De plus, beaucoup de parents ont jugée « bling-bling » l’intention de Xavier Darcos. Ce serait une décision de plus, faisant partie du folklore, une nouvelle manière de faire un peu de démagogie, en faisant appel à des souvenirs nostalgiques que nous a laissé notre ancienne école… en fait rien de bien grave !

Une mesure, seulement « bling-bling »… vraiment ?

Une certaine éthique

Faisons un détour du côté du mérite, si cher à notre président de la république.

J’ai toujours été frappé par le fait qu’un élève médiocre, qui faisait parfois des efforts mais ne réussissait pas (c’était mon cas !), ne méritait pas d’être récompensé… même s’il avait fait plus de travail qu’un autre élève, brillant, pour qui le devoir n’avait pas présenté grande difficulté.

Le mérite doit-il récompenser la réussite… ou l’effort ? Une réussite entraînant naturellement la valorisation, ne constitue-t-elle pas déjà, en elle-même, une récompense ? Et un élève de classe terminale qui réussit son baccalauréat a-t-il besoin d’une médaille ? « Au moins si elle était en chocolat » nous a dit une élève !

Mais, surtout, qui a le plus besoin d’être encouragé ? Quel est le mérite le plus louable ? Celui qui se complait dans la facilité ou celui qui fait appel à des efforts ? Qu’y a-t-il de plus important : le résultat brut… ou le travail fourni et tout le cheminement parcouru pour y parvenir, même si celui-ci n’est pas totalement satisfaisant ?

Les récompenses ne vont-elles pas, une fois de plus, mettre en jeu et valoriser la compétition ? Celle-ci n’est-elle pas déjà suffisamment exacerbée dans notre environnement économique et social ? Pour tendre vers l’égalité et la fraternité, inscrites sur les frontons de nos mairies, ne faut-il pas remplacer la compétition par l’émulation ? Doit-on inciter les élèves à se mesurer aux autres, pour les dépasser, plutôt que de se mesurer à soi-même pour se surpasser ? On nous demande de plus en plus de « produire une élite », de rendre les élèves plus compétitifs… Mais, en même temps, quel futur citoyen les textes officiels nous demandent-ils de construire ? N’y a-t-il pas antinomie ? Et, lorsqu’on regarde les choses d’un peu plus près, aujourd’hui, la réalisation d’un travail, ou la réussite à un examen, reposent-elles sur le seul mérite de la personne ou aussi sur la situation, la chance… les autres ?

Valoriser le mérite et la compétition, c’est développer l’obéissance et la dépendance, c’est inciter à entrer dans une docilité volontaire qui oblige à se plier pour obtenir des récompenses, c’est favoriser l’envie de briller par rapport aux autres et, quand on ne réussit pas, c’est empêcher de se construire une certaine confiance en soi indispensable pour apprendre et devenir un futur citoyen autonome et responsable.

De plus, on sait que notre culture pédagogique est construite sur une pédagogie de l’échec (100 mots d’une dictée, 10 « fautes », 2 points par faute cela fait 0 sur 20… Et les 90 mots justes ?). Des fautes, toujours des fautes ! L’enseignement traditionnel assimile faute et erreur. Une erreur est un constat, une faute est un jugement négatif sur l’erreur. Et on sait maintenant que l’erreur doit avoir un statut positif dans les apprentissages. « Que l’on me donne une erreur féconde, pleine de graines, prête à éclater sous l’effet de ses propres corrections. Vous pouvez garder pour vous votre stérile vérité. »[2] Ne suffirait-il pas de constater l’erreur et de la renvoyer en miroir afin que l’élève en prenne conscience et puisse agir pour la rectifier ? Faut-il systématiquement la juger ?

La non-reconnaissance d’une réussite constitue bien une sanction ! Cela encourage-t-il les enfants en difficulté ?

Et la motivation ?

Mais enfin, on dit bien que la récompense motive !

En fait la motivation c’est ce qui a du sens pour l’élève. Si une récompense peut induire une certaine motivation externe, c’est la motivation interne, le fait de se sentir concerné par ce qu’il fait, qui le motive vraiment. Il faut que cela réponde à une de ses préoccupations, entre dans un de ses projets. Ce n’est donc pas la récompense qui crée la motivation ; par contre, elle peut détruire le peu d’envie que les élèves en difficulté peuvent avoir, lorsqu’ils feront des efforts qui ne seront pas reconnus à travers leurs résultats. Pour réussir, quand on est « mauvais élève », il faut commencer… par être reconnu et ne pas se sentir rejeté.

Valoriser le mérite et la compétition c’est créer un conditionnement qui n’a donc que peu de rapports avec la motivation.

Et ce n’est pas cela qui permettra de lutter contre l’échec scolaire, qui compensera les classes surchargées, les postes d’enseignants supprimés, les 15% d’élèves qui ne savent pas lire en entrant au collège, les 150.000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans aucun diplôme !

En fin de compte, l’obéissance et la docilité, activées par la récompense des uns, ouvrent la porte à… la violence des autres, puisque c’est le seul échappatoire qui leur reste ! La moindre faille sera exploitée. Et la répression ne règlera rien ; plus elle sera accentuée, plus la violence sera grande. C’est véritablement ce que nous voulons ? On ne pourra pas nous obliger à récompenser les élèves si nous ne le désirons pas !

Gérard De Vecchi

Maître de conférences en sciences de l’éducation

Auteur de : Ecole : sens commun… ou bon sens. Manipulations, réalité et avenir, Delagrave, 2007.

Site : http://www.EveryOneWeb.fr/gdevecchi

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http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/04/devecchi1504.aspx

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http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/Programmes_Vecchi2.aspx



[1] Remarque d’Eveline Charmeux dans son blog : http://www.charmeux.fr/blog/index.php

[2] Vilfredo Pareto, Traité de sociologie générale, Librairie Droz, 1916.