Isabelle GRAS, de l’orthophonie à l’enseignement d’adaptation : un parcours au service des enfants en difficulté.
Interview de Caroline Ricard
Après quatorze années comme orthophoniste, Isabelle Gras décide de passer de l’autre côté de la barrière pour mieux comprendre et aider les enfants présentant des troubles des apprentissages.
Isabelle est actuellement maître E, mère de quatre enfants, et sculpteur.
Quelles ont été les étapes de son parcours professionnel ?
C’est en Terminale, lors d’une journée « portes ouvertes », qu’Isabelle découvre le métier d’orthophoniste. Jusque-là, elle hésitait entre médecine et enseignement. A présent, elle comprend qu’elle peut allier les deux pôles qui l’attirent le plus : thérapie et transmission.
Son objectif en tête, elle prépare le concours, fait trois ans d’études, et s’installe en libéral.
S’ensuivent alors quatorze années d’exercice de la profession, ponctuées de trois créations de cabinets au gré des déménagements. Quatorze années au cours desquelles Isabelle se donne avec passion à son métier. Elle en découvre la grande polyvalence (rééducations de dyslexies, mais également de dysphonies, aphasies, surdités,…), la satisfaction d’être « son propre patron », la richesse des relations entretenues avec les enfants et les adultes qu’elle rééduque et les professionnels avec lesquels elle est en étroite relation (médecins, enseignants, spécialistes, et parents). Par-dessus tout, elle apprécie la relation privilégiée avec les enfants présentant des troubles des apprentissages.
Puis vient une certaine lassitude, l’impression d’avoir fait le tour de la question, le besoin d’aller explorer d’autres champs : psychologie ? Psychomotricité ? Isabelle hésite encore, lorsque deux événements vont lui apporter la réponse. Tout d’abord, l’annonce d’un troisième enfant fait peser plus lourdement les contraintes liées à l’exercice d’une profession libérale; Isabelle aimerait pouvoir passer de vrais mercredis et soirées avec ses enfants et ne plus se contenter du baiser du soir.
Et puis son mari vient de réussir le concours de professeur des écoles. Passionné par son nouveau métier (encore une reconversion réussie !), il lui parle longuement de son vécu de classe, et évoque l’existence des classes d’adaptation. C’est une révélation ! Isabelle sent que là est la voie qu’elle cherche. « J’étais mûre ! Il fallait alors que je réussisse, je me suis donnée à fond pour préparer le concours. ». Inscription au CNED, alternance de moments d’euphorie et de doute, elle est pourtant certaine d’avoir fait le bon choix… à tel point qu’elle vend la clientèle de son cabinet quatre jours avant les résultats du concours !
Isabelle a la chance d’être nommée sur un poste d’adaptation dès sa première année, à titre provisoire. Mais il lui faudra ensuite exercer cinq ans dans des classes ordinaires avant de retrouver ces enfants en difficulté qui la passionnent. Elle apprend qu’une CLIS dys (Classe d’Intégration Scolaire pour Dyslexiques) s’ouvre à la rentrée 2004, à 10 km de chez elle. Pas de doute possible : « Cette classe est pour moi ! ». Et, en effet, qui mieux qu’elle peut prendre la responsabilité de ce poste ? Cependant, pour être titularisée, Isabelle doit passer un CAPA-SH (Certificat d’Aptitude Professionnelle pour les Aides spécialisées, les enseignements adaptés et la Scolarisation des élèves en situation de Handicap). Qu’à cela ne tienne ! Elle reprend le chemin de l’IUFM et obtient le diplôme.
Oui, mais voilà, Isabelle découvre vite l’envers du décor : les élèves qui lui sont confiés ne sont pas tous recrutés sur des critères définis de façon stricte, et elle se voit contrainte d’accueillir aussi des élèves atteints de troubles massifs associés (troubles de comportement), ou relevant d’une orientation différente (déficience mentale). Elle se donne sans compter pour créer des parcours pédagogiques individualisés, au plus près des besoins de ses élèves, mais elle sait bien que son efficacité est limitée par la trop grande hétérogénéité du groupe. Et, après 3 années de CLIS dys, le doute s’installe… « Je crois fermement à ce genre de structure, mais à deux conditions : que les enseignants soient bien formés, et que les élèves soient bien recrutés, afin qu’elle ne se transforme pas en voie de garage. Car sinon, autant laisser ces enfants dans leur classe, avec un suivi orthophonique, un PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative), et l’aide d’un maître d’adaptation. »
Le regroupement d’adaptation ! Nous y revoilà ! « En 2007, un poste d’adaptation se libère dans le village où nous habitons. Je postule, et je l’obtiens. Après un an en tant que maître E (maître d’adaptation), les événements prouvent que mon choix était judicieux : une CLIS (Classe d’Intégration Scolaire) ne peut pas fonctionner correctement si le recrutement des élèves n’est pas homogène. De plus, je m’aperçois de la réelle utilité de ce poste E. Depuis la loi de 2005 sur le handicap, on tâche de scolariser l’enfant au plus près de son milieu, et de monter un projet pour que l’école s’adapte à ses difficultés et l’aide à mieux apprendre. »
De l’orthophonie à l’enseignement d’adaptation, quelles compétences transversales Isabelle a-t-elle mises en oeuvre ?
Ce parcours professionnel est en parfaite cohérence avec ses aspirations, et s’est imposé comme une évidence. Après avoir rééduqué des élèves présentant des troubles des apprentissages, Isabelle a voulu remonter à la source, au moment où l’on apprend à lire, écrire et compter. A présent, elle fait un pont entre ces deux pôles. « J’ai toujours voulu aider les enfants en difficulté, ceux qui sont en échec, ou à la frontière de l’échec, et dont on ne peut assez s’occuper dans une classe ordinaire aux effectifs chargés. Mon expérience d’orthophoniste est très utile dans le poste que j’occupe à présent. Je suis dans une position intermédiaire entre la rééducation (relation individuelle), et la classe : comme une passerelle. Les collègues me réservent un très bon accueil, car mes compétences sont reconnues. Je pense que ces postes devraient être multipliés et qu’une part plus importante devrait être réservée aux troubles des apprentissages dans la formation initiale des maîtres. »
Est-il facile d’évoluer dans son métier ?
« Non, ce n’est pas facile. Il faut savoir POURQUOI on le fait, car alors on trouve COMMENT le faire, et le moteur pour le faire. Dans mon cas, c’est toujours le besoin d’efficacité qui m’a fait évoluer. Quand je ne me sens plus assez efficace, j’ai envie d’ajouter une corde à mon arc, de m’ouvrir à d’autres possibilités pour avancer et être plus en phase avec mes aspirations. Et il y a toujours ce défi, qui pousse à la créativité : trouver les conditions à mettre en place pour que l’enfant puisse se mettre en apprentissage, en action d’apprendre. Je cherche à aplanir les difficultés annexes pour le mettre sur la voie et le rendre autonome. »
Quelles sont les prochaines étapes de son parcours ? La formation ? La publication ?
« Je suis persuadée qu’il y a des trésors de pédagogie à redistribuer, et que s’il était possible de sortir de sa classe pour aller observer se qui se passe dans d’autres classes, alors nous gagnerions en efficacité auprès des élèves. Car on finit par se scléroser dans des schèmes de cours. Alors, oui, la formation… J’ai d’ailleurs été amenée à intervenir dans la formation d’AVS (Assistant de Vie Scolaire) il y a 2 ans. Mais je crois beaucoup à l’efficacité de la formation « entre pairs », à l’échange de pratiques et de ressources. Il n’existe encore pas assez de lieux d’échanges entre les équipes et les réseaux, ou de publications spécialisées pour l’adaptation et l’intégration scolaire. Il n’est pas impossible qu’un jour je veuille mettre par écrit les ressources tirées d’expériences pratiques… ».
Isabelle est aussi sculpteur : comment cette activité artistique s’articule-t-elle avec toutes les autres ?
Les arts plastiques ont toujours été la matière de prédilection d’Isabelle, celle où elle se réalisait, celle aussi qui apportait un effet bénéfique aux élèves, en développant leur motricité fine et améliorant leurs capacités d’attention et de motivation. « Le travail de la terre contribue à un éveil artistique, et aide les enfants en échec à trouver une motivation pour venir en classe. » Depuis quelques années, Isabelle rejoint son atelier dès qu’elle le peut, pour que naissent entre ses mains des formes d’une grande sensibilité. Elle a déjà reçu de nombreux prix (voir www.isanou.com).
Le parcours d’Isabelle est un exemple de plus montrant combien il est important, voire vital, d’écouter ses aspirations professionnelles, d’aller où elles nous conduisent. Etre mobile, d’un métier à l’autre, ou au sein même de son métier n’est pas chose facile, mais n’est jamais impossible !
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