« Quand abordera-t-on en lieu et place de ces querelles illusoires d’heures, les questions pertinentes pour transformer l’école ? Quels savoirs sont aujourd’hui prioritaires pour un enfant du XXIème siècle ? Qui peut croire que le but de l’école primaire, c’est seulement apprendre à « lire, à écrire et compter ». Pourquoi n’y a-t-il pas de place pour apprendre à… parler, à avoir confiance en soi ou à développer son imaginaire, son inventivité, sa réflexion critique, son esprit d’initiative dans une société en grand manque ? » Revenant sur la décision de réduire de 26 à 24 heures le temps scolaire, André Giordan montre l’inanité de cette mesure.
Suppression de fait des 35 heures… Diminution de 26 à 24 heures du temps scolaire hebdomadaire à la rentrée. Le président et le gouvernement actuels font une véritable fixation sur les heures ! Mais une question se pose précisément : l’heure est-il un bon repère du travail effectué ? De même, l’heure de cours est-elle un «bon» indicateur de la quantité d’enseignement ou mieux de la qualité de ce qui a été appris ? Représente-t-elle quelque chose de vraiment tangible ? N’est-on pas chaque fois dans le leurre !
Pour ce qui est de l’emploi, il est des pays comme la Suisse où l’on travaille officiellement 42 heures. Mais dans celles-ci sont comprises la demi-heure café de 9h30 et le thé-biscuits de l’après-midi. Quant à l’intensité de l’effort, il est fort variable ! Le rythme de travail est beaucoup plus lent ou posé dans les pays du Nord de l’Europe ; on prend son temps à l’usine, au bureau… Cela est encore plus variable en matière de système scolaire. Il n’y a rien de comparable entre une heure d’enseignement en Chine et une heure en Finlande !… La différence peut être encore plus grande entre une heure dans une école à Saint Jean Cap Ferrat ou à Vaulx-en-Velin.
Que signifie alors la déclaration du Ministre de l’éducation nationale Xavier Darcos :
« la durée hebdomadaire de l’instruction obligatoire passera, pour tous les élèves, de 26 heures à 24 heures, soit un total de 864 heures d’enseignement par an, ce qui reste bien au-dessus de la durée moyenne d’enseignement des pays qui obtiennent les meilleures performances scolaires dans les classements internationaux » ? [1]
ou la suivante :
« Cette nouvelle présentation des horaires permet de marquer plus particulièrement l’importance donnée à l’apprentissage des mathématiques et du français. Ainsi, le volume horaire hebdomadaire réservé au Français sera désormais de 10 heures en cycle 2 et de 8 heures en cycle 3 , alors qu’il variait, pour le cycle 3, entre six et huit heures dans les programmes précédents. De même, l’horaire d’éducation physique et sportive est renforcé, passant de 3 heures à 4 heures par semaine, conformément à la volonté du Président de la République. Les programmes de sciences, d’histoire géographie et de pratique artistique sont recentrés sur l’essentiel. »
Tout semble sérieux, bien construit, pensé… A si méprendre ! Pourtant n’est-ce pas seulement un effet d’annonce de plus ! En lieu et place, des questions devraient se poser pour comprendre : par exemple, où est donc comptabilisée la demi-heure de récréation quotidienne ? Dans le temps du français puisque c’est un des rares moments où les enfants peuvent véritablement parler ou en éducation physique puisqu’ils bougent. Et pourquoi diminue-t-on le temps d’enseignement, quand le projet est d’accroître les programmes et de relever le niveau d’exigences pour remédier aux difficultés de l’école ?
En mettant en avant les horaires, comment faire dans un temps plus court pour introduire de nouvelles matières : « une langue vivante étrangère », « l’éducation au développement durable », « l’histoire de l’art », puisque tel est également le projet. Avec dix heures de français, cinq heures de mathématiques, quatre heures de sport plus l’heure et demie de langue vivante, que reste-t-il aux sciences et aux technologie, à l’éducation artistique, à l’instruction civique et à la « culture humaniste », autres matières conservées au programme ? Le résultat est simple : 3h en cycle 2 pour le tout (contre 6 heures auparavant) et 5h au cycle 3 (contre 9h30 auparavant).
Ces « beaux » calculs auraient du sens si une heure d’enseignement était une heure d’apprentissage. Il faut être ministre ou comptable analytique pour le croire ! Au quotidien dans une classe, tout est autre. Fait-on du français, uniquement en cours de français ? Autre illusion ministérielle… Parfois l’élève s’exerce plus à la pratique de notre langue en période d’histoire ou en cours de sciences. Il doit y faire des recherches documentaires ; il est obligé d’argumenter pour écrire un projet. Il y trouve plus d’intérêt que dans une suite d’activités séquencées où sont séparées vocabulaire, grammaire, orthographe et sens.
Qu’apporte à l’enseignement, cette volonté de compartimenter, de morceller en disciplines et sous-disciplines ? Le contraire de ce qui est attendu en réalité… Les évaluations montrent une diminution de la motivation, le temps effectif de l’apprentissage est réduit. Il faut que l’élève entre dans le travail, trouve du sens à l’exercice à faire. Il est certaine heure où sur 60 minutes, l’élève apprend 10 minutes… et encore ! Quand on observe une classe, que de temps perdus à attendre, à régler des questions d’organisation, voire de discipline. Dans cette conception de l’école, seule la bonne note peut encore fournir un peu d’envie d’apprendre, toutefois l’esprit consommateur de l’enfant est renforcé. Ce dernier entre alors dans une position d’attente qu’il conserve durant toute sa scolarité et qui fait perdre un temps immense d’apprentissage. Le « bon » élève attend que le maître enseigne pour apprendre. Pour la plupart des élèves tout devient alors prétexte à distraction ou à violence, la situation scolaire devient insupportable pour tout un chacun.
Favoriser l’autodidaxie, apprendre à l’élève à apprendre, favoriser son autonomie, son inventivité a contrario sont beaucoup d’heures gagnées. Les illusions pédagogiques sont nombreuses, et elles ont la vie dure ! Pourquoi attendre le lycée pour se rendre compte que les élèves ne sont pas assez « engagés » ou « autonomes » comme le remarque le même ministre Darcos dans sa réforme des lycées, et par là mal préparés aux études supérieures ou à la vie professionnelle. Tout le système préalable –et cela va être amplifié par cette nouvelle réforme- a favorisé la passivité, la docilisation des esprits, la soumission des comportements, –sauf chez quelques enseignants atypiques–.
Quand abordera-t-on en lieu et place de ces querelles illusoires d’heures, les questions pertinentes pour transformer l’école ? Quels savoirs sont aujourd’hui prioritaires pour un enfant du XXIème siècle ? Qui peut croire que le but de l’école primaire, c’est seulement apprendre à « lire, à écrire et compter[2] ». Pourquoi n’y a-t-il pas de place pour apprendre à… parler, à avoir confiance en soi ou à développer son imaginaire, son inventivité, sa réflexion critique, son esprit d’initiative dans une société en grand manque ? Etc.. Pourquoi les savoirs pertinents pour décoder l’époque ne sont-ils pas encore à l’école ? Pourquoi n’envisage-t-on toujours pas des initiations au droit, à l’économie, à l’anthropologie ou à l’éthique dès l’école maternelle ? Autant de savoirs désormais indispensables au quotidien et qui demandent une imprégnation très jeune.
Quand se rendra-t-on compte que ce n’est pas quand le maître enseigne que l’élève apprend ! L’apprentissage est un processus complexe qui ne peut passer par une « bonne » méthode. L’élève apprend à partir de ce qu’il est, son activité intellectuelle doit être engagée en permanence. Les ressorts sont multiples : la dynamique et la personnalité de l’élève sont déterminantes, ses conceptions préalables s’avèrent des passages obligés. L’enseignant ou du moins l’environnement éducatif est bien sûr prépondérant mais rarement comme on le croit, par une pédagogie de la transmission ou de l’activité. Tout est affaire de désir, de rencontres, d’interactions, d’aventure même…
Apprendre est une élaboration de sens ; c’est se confronter à la réalité, aux autres, à une culture ; c’est s’exprimer, argumenter, mais autant formaliser, modéliser, mémoriser. C’est encore et surtout mobiliser ensuite les savoirs et surtout prendre de temps pour réfléchir sur leur place, leur rôle et leurs usages ; autant de moments le plus souvent absents à l’école. Il faudra bien un jour revoir sérieusement l’emploi du temps, le cloisonnement disciplinaire et les activités pédagogiques, voire l’organisation constante en classes et en niveaux d’une part, et certainement la formation des enseignants d’autre part. Ce que l’enseignant peut seulement transmettre en direct est sa propre passion d’apprendre.
André Giordan
André Giordan a été de nombreuses années enseignant dans le primaire et le secondaire en France. Il est actuellement professeur à l’université de Genève et expert européen pour les questions éducatives.
En complément
– sur l’école
A. Giordan , Une autre école pour nos enfants ? Delagrave, 2002
– sur l’apprendre
A. Giordan, Apprendre ! Belin, 1998, nlle édition 2002
Sur le Café : dernier article d’A. Giordan
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/CommissionAttalie[…]
[1] Xavier Darcos , Présentation des nouveaux programmes du primaire, Discours – Ministère de l’Education nationale, 20/02/2008.
[2] Pourquoi continue-t-on à amplifier artificiellement le français et les maths ? Les connaissances visées en fin de l’école primaire sont semblables à celle attendues en fin de classe de 5ème. Quand travaillera-t-on sur une cohérence des programmes entre l’école primaire et le collège !