Par François Jarraud
Voilà encore un livre qui a fait du bruit ! Paul Robert est simplement allé voir comment le système éducatif le plus performant fonctionne. Le résultat prend à rebrousse poil nos conceptions les plus ancrées. Xavier Darcos a-t-il lu Paul Robert ? Entre le projet ministériel et le système finlandais il y a bien des ressemblances…
Xavier Darcos a annoncé récemment une réforme du lycée où on trouve plusieurs éléments qui donnent à penser qu’il a pu être influencé par le système éducatif finlandais. Est-ce votre avis ?
Il est allé en Finlande et je crois qu’il a dit qu’il avait été fasciné par ce système, du moins au niveau du lycée.
Par exemple, les « points de convergence » qui posent le socle de la réforme évoque des formations modulaires. C’est le cas aussi en Finlande ?
C’est la caractéristique principale du lycée finlandais. Et ça n’a pas toujours été le cas. En fait c’est une réforme introduite à la fin des années 1980 qui a bouleversé, en dépit des résistances, la forme classique des études. En Finlande on a commencé par supprimer les filières avant d’imposer les modules. Il y avait une forte volonté de casser les filières, de mettre plus de souplesse dans les parcours des élèves.
Dans l’enseignement général finlandais, il y avait deux voies, la littéraire et la scientifique. On les a supprimé dès 1975. Ensuite seulement on a introduit un système de modules pour que les lycéens puissent profiter pleinement du lycée.
Il y a quand même une restriction : l’enseignement professionnel reste séparé. Dans mon livre je raconte que les Finlandais ont essayé de diminuer les différences entre lycée général et professionnel, par exemple en gommant toutes les différences dans les orientations à la fin de l’école fondamentale (NDLR : qui englobe dans un seul établissement ce qui relève en France de l’école élémentaire et du collège) de façon à créer une structure commune. Cela a été abandonné. Une autre tentative a consisté à essayer d’ouvrir les mêmes perspectives à la fin du lycée, les élèves du professionnel disposant de quotas réservés en université. L’expérience a été décevante. On en est resté à une orientation unique à 16 ans, à la fin de l’école fondamentale. Et elle repose trop souvent encore sur l’échec. Ils ont par contre mis en place un dispositif intéressant : une 10ème année d’enseignement fondamental réservée aux volontaires qui veulent améliorer leur niveau, en fait un redoublement librement consenti.
La réforme Darcos envisage de modifier le suivi des élèves. Qu’en est-il en Finlande ?
Un des aspects les plus intéressants du lycée finlandais, c’est que la classe y a disparu. A la place on a des modules, à l’image de ce qui existe en faculté avec les U.V. Les élèves composent leur cursus avec ces modules. Ils doivent suivre 75 « cours » sur 3 ans, chaque cours étant composé de 38 séquences de 45 minutes réparties sur 6 semaines. Sur ces 75, 45 sont obligatoires. 30 sont à choisir : il peut s’agir d’approfondissement d’un cours obligatoire ou d’une autre discipline. Par exemple, en histoire, les jeunes doivent suivre 6 cours obligatoires mais ils peuvent en prendre jusqu’à 9. Certaines disciplines sont totalement optionnelles et varient d’un lycée à l’autre. Par exemple un lycée a ouvert un cours de création d’entreprise qui est mené d’une façon très réaliste. Cela permet aux lycées de définir une identité en s’axant sur la musique ou les sciences par exemple.
Pour faire leur choix, les élèves sont aidés par des conseillers d’orientation. Ils les aident aussi sur le plan méthodologique : les conseillers travaillent avec eux leurs méthodes de travail, les aident à acquérir davantage d’autonomie. C’est un point essentiel pour faire passer une réforme de cette ampleur.
Quels sont les avantages de ce système ?
Cela développe l’autonomie des lycéens qui avancent à leur rythme. Il n’y a plus de redoublement, ce qui est aussi un avantage économique. Le jeune qui n’a pas été admis à la fin d’un cours peut toujours le repasser sans avoir à redoubler une année complète. Enfin cela responsabilise les lycéens.
Vous pensez que cela a changé les rapports entre profs et élèves ?
Certains professeurs se plaignent de la disparition de la classe et de la relation qui se construisait sur une année entière. Mais globalement les jeunes sont contents. Entre profs et élèves, ce qui est surprenant pour nous c’est la grande familiarité, l’absence du sentiment hiérarchique si présent ici. Les professeurs sont accessibles. On peut appeler son prof de maths sur son portable pour un conseil par exemple. A vrai dire, cette relation n’est pas liée à la modularité. Elle est déjà présente à l’école fondamentale.
Cette réforme a rencontré des résistances ?
Elles ont porté sur la disparition de la classe, ou encore sur l’autonomie des élèves. Certains pensaient que les élèves n’en avaient pas assez. Ou encore ils craignaient que cela renforce les inégalités sociales entre les élèves qui peuvent être aidés à la maison et ceux qui ne le sont pas. C’est en réponse à ces critiques qu’ont été créés les conseillers évoqués plus haut. Il y avait aussi la peur que les élèves ne choisissent que des modules faciles.
En France où pourraient être les freins ?
D’abord la précipitation : un changement de cette ampleur ne peut se faire en un an. Il a fallu 12 années en Finlande ! Cette réforme implique une refonte du métier d’enseignant dans un sens différent de ce qui semble se dessiner.
La formation des enseignants est différente en Finlande ?
Oui et c’est la clé de la réussite. Ils ont su lier la formation professionnelle et la progression dans le métier. Ils ont également associé étroitement formation théorique et pratique tout au long de la formation. Le résultat c’est qu’ils forment des enseignants qui ont une grande capacité à réfléchir sur leurs pratiques. Du coup d’ailleurs ils ont supprimé les inspections il y a 15 ans. Ils n’en ont plus besoin.
Une autre clé c’est la qualité du suivi des élèves dès le jardin d’enfant. C’est très important pour lutter contre les inégalités sociales. Les enfants sont testés dès leur plus jeune âge et quand des difficultés cognitives sont décelées un plan est mis en place pour les aider. Si on réforme le lycée sans rien faire en amont on maintiendra les inégalités.
Enfin la réforme fonctionne en Finlande grâce aux conseillers. Il faudrait être capable de les créer. En Finlande il y en a un pour 200 élèves. Actuellement dans mon secteur il y a un conseiller d’orientation pour 1 500 élèves…
Paul Robert
Dernier ouvrage publié :
Paul Robert, La Finlande : un modèle éducatif pour la France ?, ESF éditeur, 2008, 134 pages.
Sur le Café :
Compte-rendu de l’ouvrage
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