Le problème des biens publics
Jeu n°2
Adapté de Marks Melanie, Lehr David and Brastow Raymond T. : Cooperation versus Free-Riding in a Threshold Public Goods Setting: A Classroom Experiment (pdf), Journal of Economic Education, Volume 37, Number 2 / Spring 2006
Niveau : classe de Première
Objectif : donner à comprendre la notion de bien public et le caractère problématique de la coopération
Notions clefs : Bien public, Incitations, Coopération, Passager clandestin
Procédure
Le jeu se déroule en 12 rounds, en demi-groupes. Une feuille d’instruction est distribuée aux élèves, qu’ils doivent lire attentivement. Le professeur donne toutes explications nécessaires puis insiste sur le fait qu’ils ne doivent en aucun cas communiquer avec leurs camarades pendant toute la durée du jeu.
Chacun dispose de 25 euros, qu’il répartira à sa guise parmi deux comptes : un compte privé rémunéré au taux de 10 % ; un compte collectif qui rapporte un revenu de 2,4 euros à chacun si et seulement si la collecte totale sur le compte atteint la masse critique de ___ euros (12 € x N). Faute de quoi, les contributions individuelles sont restituées au sociétaire et automatiquement placées sur son compte privé.
Exemple : avec 10 joueurs, le seuil critique est de 120 euros. Avec 8 joueurs, le seuil est de 96 euros.
Le professeur distribue à chaque élève sa feuille de gain et 12 bouts de papiers sur lesquels il reportera le montant de sa contribution au compte collectif. Prévoir autant de petits papiers blancs que d’élèves et de tours – eg, avec 10 élèves, il faut 120 papiers blancs. Pour gagner du temps, le professeur assigne à chacun une lettre. L’élève reporte sur son papier sa lettre et sa contribution : par exemple, l’élève A cotise 12 et écrit « A12 ».
Un élève ramasse les papiers, puis lit à haute voix les contributions. Pendant ce temps, un autre élève reporte au tableau les résultats. On calcule le montant de la collecte, puis chacun remplit sa feuille de gain.
A la fin du jeu, on fait les comptes. Ceux dont les gains > 44 euros gagnent un chocolat, le premier gagnant quant à lui deux chocolats. Ceux dont les gains > 36 euros gagnent un cachou. Les autres ne gagnent rien. De cette façon, le nombre de gagnants sera plus ou moins élevé selon que le groupe coopère ou non. A la limite, si chaque élève adopte une stratégie coopérative (i.e. place 12 euros sur le compte collectif), le score final de chacun sera de (2,4 x 12) + (13 x 0,1 x 12) = 44,4 ! En ce cas, tout le monde gagne un chocolat…
Les élèves sont ensuite invités à consigner par écrit les leçons qu’ils retirent du jeu et les réponses aux questions suivantes :
– Quelles étaient les principales stratégies possibles ?
– Laquelle (lesquelles) avez-vous adopté ? Pourquoi ?
– Votre stratégie a-t-elle été influencée par les stratégies adoptées par les autres ?
– Si le groupe a raté le coche lors d’un round, cela affecte-t-il votre contribution au round suivant ?
Le professeur collecte les réponses puis une discussion ouverte peut s’engager. Si on a du temps, on peut refaire le jeu en divisant le groupe en deux, avec d’un côté les free riders et de l’autre les plus altruistes. Il est intéressant d’observer alors ce qui se passe.
==> Télécharger la feuille de gains et les instructions à distribuer aux élèves et un modèle de fueille de résultats (professeur)
Application
Le jeu s’est déroulé avec 13 participants. Le montant des contributions individuelles est reporté dans le tableau ci-dessous.
Feuille de résultats
Rounds |
Contributions des élèves au compte collectif |
Total |
||||||||||||
A |
B |
C |
D |
E |
F |
G |
H |
I |
J |
K |
L |
M |
||
1 |
15 |
12 |
10 |
1 |
10 |
10 |
5 |
25 |
10 |
5 |
10 |
12 |
15 |
140 |
2 |
15 |
14 |
13 |
0 |
15 |
10 |
8 |
25 |
12 |
7 |
20 |
25 |
20 |
184* |
3 |
10 |
13 |
10 |
0 |
15 |
10 |
7 |
25 |
15 |
7 |
5 |
10 |
0 |
127 |
4 |
10 |
10 |
12 |
1 |
5 |
8 |
5 |
0 |
20 |
5 |
10 |
10 |
0 |
96 |
5 |
10 |
13 |
13 |
0 |
12 |
12 |
6 |
0 |
12 |
10 |
10 |
12 |
0 |
110 |
6 |
15 |
15 |
25 |
0 |
20 |
15 |
7 |
0 |
15 |
10 |
12 |
12 |
10 |
156* |
7 |
13 |
12 |
5 |
0 |
15 |
13 |
7 |
0 |
8 |
8 |
10 |
13 |
9 |
113 |
8 |
12 |
15 |
10 |
1 |
7 |
12 |
7 |
0 |
15 |
10 |
10 |
14 |
0 |
113 |
9 |
15 |
15 |
12 |
0 |
2 |
12 |
4 |
0 |
14 |
10 |
10 |
15 |
0 |
109 |
10 |
15 |
15 |
15 |
0 |
11 |
15 |
4 |
25 |
13 |
10 |
10 |
15 |
0 |
148 |
11 |
15 |
17 |
12 |
1 |
10 |
15 |
5 |
25 |
13 |
10 |
10 |
15 |
8 |
156* |
12 |
15 |
16 |
10 |
1 |
1 |
10 |
5 |
25 |
14 |
10 |
10 |
15 |
25 |
157* |
Deux grands types de stratégies sont mises en œuvre, auxquelles une majorité d’élèves se tiennent tout au long du jeu : quelques élèves privilégient une démarche coopérative, voire altruiste, contribuant invariablement 12 euros ou plus (et jusque 25 euros !). D’autres préfèrent jouer les passagers clandestins, contribuant moins que leur part voire pas du tout. Au fil du jeu, les stratégies évoluent toutefois, certains ajustant leurs contributions pour se rapprocher du seuil. Mais, faute de coopération, le seuil critique de 156 n’a été atteint qu’à quatre reprises (coiffées d’un astérisque).
La discussion finale montre que tous les élèves ont bien saisi les effets d’interdépendance inhérents à la structure du jeu. Voici quelques réactions types :
¤ « Machin n’a jamais contribué plus de 5 ou 6 euros. Moi, ça m’énerve. Il joue trop perso. On n’avait pas le droit de parler, mais j’avais vraiment envie de lui dire ma façon de penser ».
¤ « Vers le milieu du jeu, j’ai contribué seulement un euro. J’avais quelques scrupules, mais j’avais observé que d’autres avaient fait pareil auparavant ».
¤ « Au début, je me demandais pourquoi certains étaient si radins, et puis j’ai compris qu’en procédant ainsi, ils augmentaient leurs gains aux dépens des autres ».
¤ « Quand Machin a commencé à réduire ses contributions, en ne donnant plus que 8 euros, alors qu’on n’atteignait pas le seuil des 120 euros, j’ai réalisé que la contribution d’un individu pouvait être déterminante. Il ne tenait qu’à moi de contribuer un peu plus pour atteindre le seuil. Pourtant, je n’en ai rien fait, parce que j’ai pensé qu’un autre le ferait. »
Pour élargir la réflexion, on peut demander aux élèves de répondre chez eux aux questions suivantes :
– De quelles situations réelles peut-on rapprocher la situation de jeu que vous venez d’expérimenter ?
– Au vu de l’expérience, quel mécanisme incitatif pouvez-vous imaginer pour atteindre à chaque fois le seuil ? (mais pas plus, car ce serait socialement inutile et personnellement coûteux)
Des élèves ont proposé d’adopter des sanctions à l’encontre des free riders. Ceux qui ne contribuent pas suffisamment sont exclus de la communauté. Auquel cas, le bien ne serait plus un bien public (il devient excluable) mais un bien de club… D’autres proposent de substituer un système de taxations aux contributions volontaires. Mais cela suppose l’existence d’un tiers pouvoir capable de mobiliser une capacité de violence supérieure à celle de n’importe quel membre, bref un Etat.