Par Virginie Mège
Le socle commun attend des élèves qu’ils soient capables en fin de collège de rédiger un texte correctement ponctué. Mais quelle représentation de la ponctuation les élèves ont-ils ? Dans quelle mesure cette représentation est-elle faussée par leurs pratiques de l’écrit au quotidien, notamment par la lecture de mangas et l’utilisation des outils de technologie moderne ? Comment aider les élèves à progresser ?
La ponctuation, un pictogramme ?
A la lecture des rédactions, on constate que la ponctuation n’est pas toujours utilisée à bon escient par les élèves. Pour eux, il s’agit avant tout de communiquer. L’histoire qu’ils inventent les emporte. Dans leur esprit, ponctuer signifie qu’il faut parfois couper les phrases pour faire respirer le lecteur. Ils mettent donc quelques virgules mais ne sont pas capables de justifier cette ponctuation. Leur texte s’apparente à un ruban de mots qu’on déroule, comme à l’oral, et qu’ils hachent de façon aléatoire.
Paradoxalement, dans ces mêmes copies, les élèves utilisent le point d’exclamation ou le point d’interrogation à outrance et n’hésitent pas à les doubler, voire à les tripler. Cette pratique s’explique peut-être par la lecture de mangas, où une bulle peut ne contenir que des signes de ponctuation et aucun texte. Bien sûr, le manga ne vient pas de la même culture d’écriture que la nôtre et ne tend pas à être un texte littéraire ; les codes ne sont pas ceux d’une rédaction. Cependant l’élève ne conçoit pas toujours la différence des genres et reste dans cet univers visuel et graphique quand il rédige. Dans le même esprit, la communication par écrit via MSN ou dans des forums sur Internet utilise de nombreux smileys ou emoticons. L’élève pense donc que le signe de ponctuation peut s’employer en lieu et place d’un mot ou d’une phrase, comme une sorte de pictogramme.
Le phénomène atteint une telle ampleur qu’on s’interroge. N’est-on pas en train d’assister à une nouvelle étape marquante de l’histoire de l’écriture ? Comme l’apparition de l’imprimerie, Internet ne bouleverse-t-il pas la ponctuation ? Cette évolution de l’écrit est-elle nécessaire ? Sur le site de l’Université de Napierville (Québec), l’Institut de Pointe-aux-Trembles déplore justement que « l’écriture n’arrive plus à être en adéquation avec ce qui s’exprime vocalement » et propose de nouveaux signes de ponctuation, par exemple le signe d’« Explosion de joie suivie d’une peine immense » avec « un point d’exclamation suivi de trois points dont celui du milieu est d’une teinte inférieure aux deux autres ». On peut évidemment se demander si de tels signes sont utilisables et utiles. La question de la nécessité de l’évolution de la ponctuation renvoie alors à celle de sa présence. Un texte correct au niveau syntaxique doit-il forcément être ponctué ? Pourquoi a-t-on créé la ponctuation ?
Le site de la BNF, dans un dossier consacré à « L’aventure des écritures », rappelle ainsi que l’Antiquité utilisait une écriture continue dont la lecture était faite à voix haute. Dans les inscriptions latines, on commence alors par mettre un point (punctum) entre chaque mot, d’où l’étymologie du mot « ponctuation ». Ce n’est qu’au Ier siècle avant J.-C. que la ponctuation se précise et qu’on sépare les mots. Au Moyen-Age et à la Renaissance, l’apparition de la lecture silencieuse « contribue à doter l’alphabet de dispositifs de plus en plus complexes dont la ponctuation fait partie ». Avec l’apparition de l’imprimerie, l’utilisation de la ponctuation s’affine encore.
A l’heure d’Internet, comment aider les élèves à atteindre une maîtrise de la ponctuation normée ?
Tout d’abord, si l’élève multiplie les points d’exclamation, cela signifie qu’il intègre, sans parfois même les avoir apprises, les notions d’actes de parole et de types de phrases. Il cherche à exprimer l’intensité d’un sentiment. Non pas à l’aide de mots ou de phrases, mais avec des signes qui compenseront la pauvreté de son lexique et ses hésitations syntaxicales. Le travail de la grammaire et l’enrichissement du vocabulaire sont donc indispensables.
D’autre part, quand le signe de ponctuation devient une sorte de pictogramme, l’élève confond sans doute signifiant et signifié, graphisme et linguistique. Ce même élève achève d’ailleurs parfois sa rédaction avec un grand « fin » en majuscules, souligné de vaguelettes. L’élève ne rédige pas une rédaction, il crée une oeuvre, tel un artiste ou un poète. On peut donc l’inviter à jouer avec le graphisme des signes de ponctuation et à créer des calligrammes, pour mieux tordre le cou à cette représentation erronée de la ponctuation.
Une fois débarrassée de sa dimension graphique attrayante, la ponctuation peut alors de nouveau faire l’objet d’une étude. L’élève révise les normes de ponctuation, même si une certaine liberté est tolérée. Comme le dit Jacques Drillon dans son « Traité de la ponctuation française » (Gallimard, 1991), « si la ponctuation était une science exacte, alors langue et pensée seraient identiques pour tous les hommes ». L’élève s’entraîne ensuite à présenter correctement des dialogues et à ponctuer des textes, notamment des énoncés dont le sens sera différent selon les choix de ponctuation. Les élèves sont également confrontés à des exercices liant grammaire et ponctuation, portant par exemple sur les relatives déterminatives et explicatives, les fonctions apposition et épithète détachée, etc. Enfin, on retrouve l’importance de la ponctuation dans la recherche d’effets, que ce soit pour l’étude de la forme emphatique avec la dislocation ou les figures de style comme l’accumulation.
Cette remédiation ne se limite cependant pas à l’écriture et s’avère très utile pour la lecture. Le socle commun précise justement que l’élève en fin de scolarité obligatoire doit pouvoir lire à haute voix, de façon expressive. La ponctuation l’aidera bien entendu dans ce sens. Les signes sont comparables à des didascalies. Non destinés à être lus, ils donnent des indications d’intonation, aident à repérer les voix de chaque personnage et à les distinguer de celle du narrateur. A ce propos, le dossier de la BNF, précédemment cité, précise que la ponctuation « correspond à une gestuelle : en l’absence de son auteur, elle permet de donner à un texte écrit, par un moyen visuel et silencieux, l’animation et le sens qu’il aurait donné en le lisant lui-même, grâce à un arsenal toujours plus compliqué de signes ». La ponctuation est donc un code indispensable à maîtriser pour bien lire. Son absence même fait sens. Des poèmes non ponctués de Mallarmé, Apollinaire ou Roubaud, offrent ainsi l’occasion pour la classe de s’interroger sur ce choix des poètes et sur le rendu à haute voix qu’on peut en faire. Les élèves réalisent que lire, c’est forcément suivre une ponctuation, quitte à la créer.
En fin de compte, travailler le texte ponctué comme le texte non ponctué, revient toujours à accompagner l’élève dans son acquisition des codes de la langue écrite. L’élève meilleur ponctueur, on l’espère, deviendra meilleur scripteur et meilleur lecteur.
Pour approfondir la question…
sur l’histoire de la ponctuation et ses codes
site de la Bibliothèque Nationale de France – Dossier « L’aventure des écritures »
http://classes.bnf.fr/dossiecr/si-parol.htm
autres sites intéressants
http://www.la-ponctuation.com/
http://www.interpc.fr/mapage/billaud/ponctua.htm
http://www.etudes-litteraires.com/regles-de-ponctuation.php
http://www.webzinemaker.com/admi/m6/page.php3?num_web=8526&rubr=2&id=249324
site de l’Université de Napierville (Québec) – communiqué de l’Institut de Pointe-aux-Trembles
http://www.udenap.org/ipt/ponctuation2.htm
quelques pistes pédagogiques
site Weblettres, textes rendus ambigus par l’absence ou l’absurdité de la ponctuation
http://www.weblettres.net/spip/article.php3?id_article=56
cours, exercices, séquences, textes à ponctuer, énoncés dont le sens change selon la ponctuation choisie
http://www.ac-grenoble.fr/lombardiere/francais/html/zponct.htm
http://primtice.education.fr/243
http://www3.sympatico.ca/fol-ecrit/folie11.html
http://www3.sympatico.ca/fol-ecrit/folie10.html
http://coursenligne.univ-artois.fr/Lettres/bouillon/Lf/fichiers/maup1.htm
http://www.ac-amiens.fr/pedagogie/lettres/banqoutils/ponctuation3.htm
http://www.discip.crdp.ac-caen.fr/lettres/six/Ponctuation.htm
http://www.banqoutils.education.gouv.fr/fic/E3FIGAM01.pdf
http://www.ac-noumea.nc/lettres/seqpoet.html
pour jouer avec le graphisme des signes de ponctuation
« Le Seizième signe » de Xavier Dandoy (Eoliennes, 2007) – présentation du livre
http://www.rezolibre.com/librairie/detail.php?article=1201
oeuvres picturales sur le point d’ironie
http://www.paganguild.org/point-ironie/gallerie.htm
ponctuation et lecture
ponctuation et lecture expressive
http://www.ac-grenoble.fr/ien.bourgoin2/spip.php?article68
à propos de la lecture à voix haute
http://eprofsdocs.crdp-aix-marseille.fr/La-lecture-a-voix-haute.html
http://www.weblettres.net/ar/articles/10_55_153_lp45.pdf
http://savoirscdi.cndp.fr/archives/dossier_mois/Conan/conan.htm
réflexions sur la ponctuation
disparition de la ponctuation et présentation d’un texte de théâtre non ponctué
http://www.camrouz.over-blog.com/article-6366279.html
la virgule vient-elle de l’écriture arabe ?
http://www.tug.org/TUGboat/Articles/tb24-3/mourad2.pdf
site Langue sauce piquante, réflexion sur la ponctuation d’hier et d’aujourd’hui
http://correcteurs.blog.lemonde.fr/correcteurs/2005/02/la_ponctuation_.html
et « La Ponctuation ou l’art d’accommoder les textes » d’Olivier Houdart et Sylvie Prioul (Seuil, 2006)
critique des phrases courtes dans les romans modernes
http://andre.bourgeois.9online.fr/Rufin.htm
réflexion sur le verset
http://remue.net/cont/conort1.html