Par Monique Royer
Le système de formation professionnelle continue, réformé en 2004, fait l’objet d’un certain nombre de critiques sur son efficacité. Les premières rencontres parlementaires sur la formation professionnelle, organisées le 11 décembre à Paris, revenaient sur un rapport du Sénat pour le commenter, l’illustrer dans un prélude de ce qui pourrait être l’acte II de la réforme de la formation. Au fil des tables rondes, les échanges tournaient autour de trois grandes questions : à quoi sert la formation, comment l’organiser et qui doit en être le responsable ?
Le constat partagé
Les différents acteurs réunis (partenaires sociaux, représentants de l’ANPE, des chambres de commerce, de l’Afpa, du Cnam, des organismes collecteurs des fonds de formation, responsables politiques) semblaient à priori d’accord sur les constats. Plus de 150 000 jeunes sortent du système scolaire chaque année sans diplôme, la formation va majoritairement aux diplômés de l’enseignement supérieur travaillant dans des entreprises de plus de dix salariés. Il faut donc que la formation professionnelle continue s’adresse en priorité aux personnes qui ont besoin de se qualifier, dans une perspective d’employabilité c’est-à-dire de plus forte probabilité de conserver ou de trouver un emploi. Derrière ce consensus, demeurent des questions de fond. Les attentes, le financement, la gouvernance, les choix politiques, la philosophie même du système, sont en jeu. La loi de 1971 visait à offrir une seconde chance à tous les salariés. Instaurée dans un contexte économique florissant, elle a émoussé ses attraits sur les arrêtes de la crise. Depuis, des dispositifs comme la validation des acquis de l’expérience, puis la professionnalisation et le droit individuel à la formation, tous les deux instaurés par la loi de 2004 ont instillé une touche d’individualisation. Entre temps, la formation avait changé d’objectif : d’outil de promotion sociale elle est devenue au fil des années un élément essentiel de la politique nationale de traitement social du chômage. La décentralisation a confié aux Régions la responsabilité de la formation. Ce sont les petites et moyennes entreprises qui créent principalement des emplois.
Le monocle économiste
En prélude, André Zylberberg, auteur lui même d’un rapport sur le système de formation chaussait le monocle de l’économie pour exposer son analyse du système, plus précisément avec la théorie du rendement. La théorie du rendement s’intéresse aux gains supplémentaires obtenus grâce à la formation soit au niveau privé (individu, productivité de l’entreprise) soit au niveau collectif (société). Au niveau des individus, le rendement augmente avec le niveau de qualification. Le rendement collectif englobe les gains obtenus par la collectivité par exemple en matière de diffusion des savoirs, d’amélioration de la citoyenneté ou de baisse de la délinquance. Les risques de sous-investissements pour la performance et l’équilibre social de la nation sont alors à considérer tout autant que le poids potentiel d’investissements pour l’économie du pays. Placer l’analyse de la réforme sous les faisceaux des gains collectifs resitue le débat dans la sphère des choix politiques. Dans le domaine de la formation, comme pour toutes les dépenses publiques, l’absence d’évaluation réelle amoindrit la portée de l’analyse. Développer une culture de l’évaluation en menant des expérimentations, par exemple, est pour André Zylbeberg partie intégrante de la réforme qu’il faudra mener pour améliorer l’efficacité du système français de formation en sachant réellement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Le kaléidoscope des entreprises
Les chiffres fournis par la mission sénatoriale montrent un plus faible engagement des TPE (très petites entreprises) et des PME (petites et moyennes entreprises) dans la formation : 74 euros par salarié contre 719 euros dans les entreprises de plus de dix salariés. Gérard Lenoir, de l’AGEFOS PME, Opca (organisme paritaire collecteur des fonds de formation) qui intervient auprès des Pme et des Tpe, explique ce phénomène par le fait que l’entreprise recherche des solutions dans sa proximité, son bassin d’emploi. Il faut faire face à l’absence d’un salarié. Maryse Dumas, de la CGT, souligne d’ailleurs que le financement de ces remplacements est un obstacle et qu’il faudrait le prévoir dans les améliorations du système.
Pour les grandes entreprises, la formation occupe un rôle stratégique dans leur développement. Des formations qualifiantes longues sont mises en place dans des groupes comme Accor ou les entreprises de la Fcd (Fédération des Commerces de Détail). Les formations par alternance (apprentissage ou contrat de professionnalisation) sont très prisées. Chez EDF, la formation favorisera le traitement de la dernière partie de carrière, plus longue désormais, par des reconversions en interne. Du côté de la fonction territoriale publique, la formation est une obligation statutaire. Mais au delà, elle permet à des personnels de catégorie C très hétérogènes d’y avoir accès. Pour les collectivités locales, l’enjeu est d’anticiper sur les nouvelles responsabilités liées à la décentralisation. L’obligation de formation permet aussi de traiter des problèmes spécifiques comme l’illettrisme.
La mosaïque des publics
La formation s’adresse à tous : demandeurs d’emploi, salariés, jeunes sortis de l’école sans diplôme. Elle devrait toucher en priorité les publics peu qualifiés. Or, ce sont les moins demandeurs, parce qu’ils craignent un retour à l’école ou encore parce qu’ils ressentent la formation comme une sanction. Si l’acquisition de nouvelles compétences est suivie d’une reconnaissance de l’entreprise par une revalorisation salariale à court ou moyen terme, la formation est plus attractive, mais ce n’est pas toujours le cas. Attirer vers la formation réclame parfois une démarche stratégique. Pour Jacques Solovieff du fonds d’assurance formation des entreprises de travail temporaire, proposer un parcours à long terme à des publics confrontés à la précarité, à la résolution des problèmes du quotidien, n’a pas de sens . Des formations courtes seront privilégiées pour ensuite déboucher sur un parcours diplômant, lorsque la projection dans l’avenir, la construction de projet à long terme sera plus évidente.
L’accès des demandeurs d’emploi n’est pas non plus aisé : difficulté de trouver un financement, une formation adaptée. Annie Thomas de la Cfdt préconise la mise en place d’un dispositif spécifique pour les demandeurs d’emploi peu ou pas diplômés, afin qu’ils obtiennent une formation longue diplômante. Il s’adresserait aux exclus du marché du travail : demandeurs d’emploi de longue durée, Rmistes.
Les taillis de la réponse formation
A cette mosaïque des publics, répond une multitude de financements et d’acteurs décisionnaires. Le rapport Lambert sur les relations entre état et collectivités locales montre bien cet enchevêtrement des responsabilités. Jean-Pierre Denanot, Président de la Région Limousin, rappelait quant à lui le rôle des régions dans la politique de formation. La formation est un élément fondamental de sécurisation des parcours professionnels et les régions doivent mettre en place une organisation favorisant des parcours de formation adaptés aux besoins.
La formation initiale, et l’Education Nationale, grande absente à la tribune, ont fait l’objet de diverses attaques, pourtant, la question de la complémentarité entre formation initiale et formation scolaire est cruciale pour mettre en place une formation tout au long de la vie . Des rapprochements sont également fondamentaux autour de la question de l’orientation. La formule de mixité a été trouvée par la formation par alternance fort prisée des entreprises et citée comme modèle par plusieurs politiques présents. La validation des acquis de l’expérience est également plébiscitée pour adapter les parcours diplômants en fonction des savoirs et des savoir-faire déjà maîtrisés. La formation à distance est une formule qui s’adapte aux besoins de solutions de proximité, en particulier des petites entreprises.
Laurence Paye Jeanneney, directrice du CNAM souligne l’évolution nécessaire de l’offre de formation dans une logique de l’analyse de la demande. Le besoin de chaque individu est analysé, à la loupe de son projet professionnel. Il valide ce qu’il sait déjà faire, ce qu’il connaît déjà, par la validation des acquis de l’expérience. L’usage des Tice permet de proposer une formation de proximité par la formation à distance ou le relais de centres locaux. Mais, pour développer ce type de démarche, il faut reconnaître les missions des enseignants qui ne relèvent pas du cours en présentiel.
Entre l’individu et le collectif
La piste individuelle est déjà suivie depuis quelques années, en complément des plans de formation mis en œuvre par les entreprises. Depuis la dernière réforme, le droit individuel à la formation est attaché à l’individu. Dominique Balmary, président du Conseil National de la Formation Professionnelle Tout au Long de la Vie (CNFPTLV) préconise un droit universel à une formation différée, qui engloberait la formation initiale et la formation continue. Le capital de départ s’épuise au fil des années d’études et se reconstitue avec les années de travail. Ce droit universel favoriserait un accès à la formation pour les publics peu qualifiés. Mais derrière cette notion d’individualisation des droits à la formation, on voit poindre aussi la responsabilité individuelle vis à vis de sa propre employabilité. Jusqu’à maintenant, c’est l’employeur qui est responsable de la mise en place d’une formation pour adapter les compétences du salarié aux évolutions de son emploi. Stéphane Lardy, de Force Ouvrière s’interroge sur les conséquences de ce glissement de responsabilité. L’instauration d’une sécurité dans le parcours du salarié ne doit pas désengager l’entreprise de ses obligations en matière de formation, y compris financières.
La voix politique de la majorité était relayée par deux anciens membres de gouvernement : Gérard Larcher et Jean-Pierre Raffarin. Pour l’ex premier ministre, le capital humain est le premier facteur de développement et la valorisation de ce capital humain un enjeu stratégique où la formation occupe une place prépondérante. La crise du travail constitue le diagnostic sur lequel repose la politique du gouvernement durant cinq ans. Trois valeurs composent son postulat : « le travail favorise l’émancipation et non pas l’aliénation », « le travail est un facteur de liberté et non un rouage du déterminisme social », « il faut encourager le lien social et la culture du projet ». La sécurisation des parcours professionnels est un moyen de faire face au « nomadisme de l’emploi ». Au même titre que les flux financiers circulent rapidement, l’emploi deviendra de plus en plus mobile, les structures de plus en plus flexibles. Dans cette vision libérale, le système de formation doit vivre de façon biologique avec une ouverture, une fermeture de sections en fonction des besoins. La priorité est donnée aux logiques des personnes et des territoires qui doivent garantir leur attractivité. Le système de formation, perçu comme une sédimentation de dispositifs, sera simplifié, les organismes de formation seront mis en concurrence. Ce tableau, fort porté sur la responsabilité individuelle, constitue le cadre des négociations prochaines sur le contrat de travail et la flexisécurité.
Les rencontres parlementaires ont montré à quel point l’évolution de la formation s’inscrit dans les évolutions qui imprègnent les politiques sociales et de l’emploi. L’approche territoriale est importante : à la mesure du bassin d’emploi pour les petites et moyennes entreprises, de la Région pour le financement des formations des demandeurs d’emploi. L’approche individuelle tend à s’imposer au détriment des négociations collectives. Le capital-formation, la construction d’une réponse adaptée au maximum à la demande, la responsabilisation individuelle sur sa propre employabilité vont dans ce sens, avec des aspects positifs (la reconnaissance de l’expérience, des acquis) et négatifs (le cadre collectif s’estompe).
La formation tout au long de la vie est souhaitée de toute part, englobant formation initiale et formation continue. Pour qu’elle devienne réalité sans doute faudra t’il que les deux univers se rencontrent, au delà des idées reçues et parfois des défiances entre école et monde économique.