les enseignants ?
Pour Anne-Marie Chartier,
qui ouvre la dernière séance du marathon de trois jours de travail, le
débat n’est pas qu’organisationnel, il est aussi théorique. « La légitimité, aujourd’hui,
vient souvent des savants plus que des militants. Mais tout le monde
sait qu’il ne suffit pas d’avoir accès à Internet pour utiliser les
savoirs dans sa classe. Sans théorisation de l’activité de formation,
on reste faible par rapport au discours scientitiques ».
Et
au moment où les IUFM entrent dans l’Université, elle demande de
réfléchir aux modalités de formation d’un point de vue théorique, pas
simplement d’un point de vue didatique. « Il faut inventer des
situations pédagogiques de formation. Or, on ne valorise pas assez les
formations qui théorisent l’intelligence des situations, à partir de
tous les savoirs, mais aussi des savoirs de la classe. Ce sont ses
moments qui aident les enseignants à trier dans ce qui leur paraît plus
efficace, plus pertinent. « Il ne s’agit pas seulement de partir des
situations scolaires pour les légitimer, mais de comprendre comment
elles répondent aux acquis des différentes didactiques… »
Parmi les invités à donner des
exemples concrets, Sylvie
Cèbe veut que la formation puisse contribuer à du «
développement dans l’urgence », en outillant les stagiaires débutants
pour la classe qu’ils vont rencontrer.
« On a peu de
recherches sur le développement professionnel. On navigue à vue sur les
questions de formation. » On dispose de discours de
stagiaires, de récits dont on a peu d’analyse… Les stagiaires
témoignent souvent qu’on leur transmet des « savoirs experts », et les
formateurs oublient parfois qu’ils laissent aux débutants un lourd
chemin pour construire
les outils qui vont avec. « Leur insécurité cognitive les
taraude, ils ont peur de ne pas savoir faire, de ne pas être aussi bon
que le vieil instit chez qui ils ont été en stage. Ils ne savent
parfois même pas comment agir avec des groupes». Ils réclament donc des
outils « qu’ils peuvent utiliser », pas des « outils utopiques ».
Pour la désormais
genevoise, il faut donc aider les enseignants débutants à « organiser
de l’attendu », dans le but de leur donner les moyens de « faire face à
l’inattendu ». Et donc, « réduire leur degré de liberté », prendre au
sérieux leur souci d’être outillés sur la planification des activités
de classe, avec des outils qui le permettent. « Et à ce moment là
seulement, on peut les faire remonter aux savoirs savants ». Il fut
donc redécrire les raisons précises de faire des enseignants, pour
lever l’éventuelle opacité de leur action.
Quelles sont les modalités ordinaires de
formation ?
D’ordinaire, explique-t-elle, on part
d’une situation de référence, issue de la classe, mais charge est
laissée aux étudiants d’abstraire, de décontextualiser, puis de
recontextualiser pour un autre niveau ou une autre activité. Ils
modélisent qu’« il faut partir des représentations des élèves », mais
en concluent à tort qu’il ne sont pas autorisés à enseigner. Ils
survalorisent la résolution de problème, les situations de découvertes.
« Ils font comme si on leur avait laissé croire, en formation, qu’il
n’y avait qu’un seul type de « situation de référence » qu’il faudrait
mettre en œuvre à tout moment et en toutes disciplines ».
Quel autre modèle peut-on imaginer ?
Les
formateurs savent que les jeunes enseignants sont centrés en même temps
sur plusieurs préoccupations : la maîtrise du groupe, la planification
didactique, la régulation du déroulement de la tâche… Ils sont centrés
sur leur propre activité, et non celle des élèves.
« Nous pensons donc qu’il faut
les aider à se mettre en sécurité dans la « tâche », pour qu’ils
puissent dégager de la ressource pour regarder faire les élèves ».
C’est pourquoi Sylvie Cèbe revendique de les aider à s’outiller, en
leur donnant des tâches qu’ils n’ont pas à inventer, à tester. Ensuite
seulement, on éclairera les enjeux de savoirs, lorsqu’ils commenceront
à s’approprier les outils.
« Parce que nous postulons que c’est ainsi que nous allons vers les
théories… ». Pour elle, les stagiaires ne sont pas des «
innovateurs », mais des débutants qui s’approprient les gestes du
métier, en les explicitant. « La grande difficulté des débutants est de
changer de point de vue sur ce qu’ils font : passer de « je vais leur
faire faire… » à « je vais leur faire apprendre …. », de montrer quels
types de tâches permettent d’enseigner ».
Un exemple ?
Par
exemple, la « copie différée » ne fait pas l’objet d’enseignement :
apprende à copier « lapin » est nécessaire, même si ce n’apparaît pas
noble.
Et il y a des tâches qui peuvent y aider : par
exemple enlever le modèle pour « mettre dans sa tête », et donc mettre
des mots (le nom des lettres) pour mieux comprendre comment s’y
prendre.
Cette situation « minimum », utilisée
régulièrement, permet de mieux comprendre comment aider réellement les
enfants « en difficulté », c’est à dire ceux qui ont le plus besoin de
l’école pour leur enseigner ce qu’ils n’auront pas à l’école…