« Que
peut réellement savoir un psychologue, des milliers d’articles qui se
publient chaque mois ? Un petit nombre d’article a un retentissement
considérable, certains ne rencontrent pas de problématique sociale (par
exemple les travaux sur l’arithméthique). Pourquoi le
problème de
la lecture s’est-il posé ces dernières années, qui a fait que de
nouvelles propositions émergent ? »
Tout
vient, selon Michel Fayol, des années 60, au cours desquelles le
passage brutal à la démocratisation du collège change l’objectif de la
scolarisation primaire :
–
une dominante de l’activité de compréhension, le remplacement
de
la lecture à haute voix par la lecture silencieuse (rendu obligatoire
en 1972)
–
la lecture devient un instrument d’apprentissage dans les
autres
disciplines du collège, imposant l’objectif d’une élévation
considérable du degré de maîtrise exigé.
Dans
les années 80, l’apparition du « pilotage par les indicateurs de
performance » va obliger les pays à réagir (Allemagne, Suisse). C’est
la présentation politique des résultats qui aménera des inflexions dans
les politiques éducatives.
Comprendre
les influences des différents courants de la psychologie
Pour comprendre le présent,
un retour historique sur l’influence des différents courants de la
psychologie
A
la fin de la deuxième guerre mondiale, la psychologie expérimentale se
cantonne à la mémoire, la perspective dominante est behaviouriste. La
révolution cognitive, venant des Etats-Unis par Chomsky à travers son
brûlot qui tue Skinner, déclare qu’on ne sait rien sur le langage. Les
connaissances précédentes disparaissent, apparemment enfouies.
Différents courants apparaissent :
–
Piaget à
Genève, dont la pensée se diffuse alors que ces recherches s’arrêtent
dans les années 60.
– un courant s’intéresse aux
problèmes de lecture/écriture, avec Emilia Ferreiro,
reste minoritaire dans nombre de pays et médiatiquement faible.
Peut-être ne font-ils pas non plus, à l’époque, les efforts
méthodologiques nécessaires. Ce courant ressurgit aujourd’hui avec des
idées qu’on aurait tort de négliger (Fijalkov).
–
le courant qui travaille sur la compréhension
reste étonnamment très faible, voire balbutiant. Il faut attendre les
années 80 pour voir apparaître les travaux de Martine Raymond. Ce
courant reste peu développé malgré le pointage déficient dans les
évaluations internationales.
Emergence du modèle à deux voies
–
le courant majoritaire
se structure début 80, quand la psychologie cognitive se dote d’un
modèle général, un nouvel idéalisme qui laisserait à penser qu’on
pourrait aborder l’Esprit d’une manière scientifique… La «neuropsychologie
» va bouleverser le paysage en donnant l’idée d’une « étude objective »
du fonctionnement de l’esprit : on développe, notamment sur la lecture,
l’idée qu’on puisse étudier le fonctionnement de l’esprit sans
référence anatomique (rupture forte avec la neurologie). On se met à
observer, dans les images informatiques, des patients capables de lire
des mots familiers sans lire des pseudo-mots (d’où l’idée de la voie
directe) et des patients capables de faire du décodage mais qui n’ont
plus d’accès aux mots du lexique (voie par assemblage)
Encore
aujourd’hui, ce modèle à deux voies reste le modèle dominant, même s’il
est contesté.
Cela
va induire l’idée que quand on lit, on a deux manières de faire : une
laborieuse par le B.A.-BA, une plus directe. Certains chercheurs vont
donc alors postuler qu’il serait possible, pour gagner du temps vers la
compréhension, de s’abstraire du déchiffrage, en apprenant directement
à reconnaître la forme du mot (Smith, Goodman, Foucambert). A l’époque,
c’est scientifiquement légitime. Mais rapidement, les expériences
disent que le contexte asurtout un effet pour les faibles
lecteurs, et que la « reconnaissance » de la forme des mots ne permet
pas d’identification précise. Cependant, des travaux très intéressants
se poursuivent encore aujourd’hui sur la manière dont l’œil se pose sur
un texte, mais son poids est devenu beaucoup plus faible.
L’approche
par « assemblage » va prouver que la phonologie, le décodage et la
connaissance des lettres permet d’apprendre à lire, mais aussi
d’apprendre à mettre en mémoire la forme orthographique des mots, c’est
à dire d’accéder à la voie directe…
Mais peut-on pour autant parler de «
méthodes » ?
« Je
pense qu’on met l’accent sur des « outils », des « techniques » qui
permettent, comme dans tous les apprentissages, d’améliorer les
résultats. Une méthode,
c’est beaucoup plus général :
la « méthode naturelle», c’est une philosophie générale : on plonge
dans une perspective de communication. Mais rien n’empêche à des
enseignants qui se revendiquent de cette méthode, de cette philosophie,
d’utiliser des «outils» de type phonologiques pour tel ou tel
entraînement de compétence. Ne confondons pas les perspectives… »
Pour
Michel Fayol, l’idée des cycles était une idée très intelligente :
avoir des objectifs de fin de cycle, dans une perspective d’utiliser la
durée pour les atteindre, en acceptant des différences
interindividuelles sur des temps longs : « Quand
on parle de conscience phonologique, de connaissances des lettres, on
ne peut pas faire comme si tous les élève en étaient tous au même
point, au risque de les mettre en grande difficulté : la syllabe est
facile à délimiter, mais le phonème est à construire dans des processus
de catégorisation à entraîner sur le temps long. On connaît le phonème…
quand on sait lire ! Comment gérer ces différences sans penser à des
entraînements explicites pendant plusieurs mois, voire plusieurs années
? On est loin du PPRE… »
Aujourd’hui,
le courant sur la compréhension nous apprend que compréhension et
lecture sont deux domaines à travailler spécifiquement, mais que le «
point de conjonction » pose problème. Peut-on travailler
systématiquement la compréhension ? La réponse semble être positive,
mais encore peu de travaux en attestent … Le traitement des inférences
et des anaphores est à faire, mais à partir de quel âge ?
Encore d’immenses incertitudes…
Selon
le psychologue clermontois, « nous ne savons pas encore grand-chose sur
plusieurs questions » :
–
au cours préparatoire, doit-on aller des unités isolées vers
des
phrases, ou faut-il partir de textes pour aller vers des analyses
descendantes ? Entre les mérites respectifs de la fusion ou de
l’analyse, nous avons peu de résultats…
–
l’acquisition de l’orthographe
passe-t-elle surtout par la lecture, ou plutôt par l’apprentissage de
l’écriture ? Même très précocément en moyenne et grande section c’est
un excellent moyen naturel de faire de la décomposition en syllabes et
en phonèmes, mais aussi de mémoriser l’orthographe des mots…
–
comment
procèdent réellement les enseignants ? L’importance
de certaines dimensions (phonologie, écriture, enseignement de la
compréhension…) est certes avérée, mais tous ces travaux sont faits
sans mesurer la spécificité de telle ou telle intervention magistrale.
Il faudra bien, un jour ou l’autre, non pas évaluer les méthodes, mais
évaluer la manière d’utiliser les outils : la formation des maîtres pourrait
s’intéresser très précisément à la manière dont les enseignants
utilisent les outils de manière optimale, en leur garantissant la
liberté de « méthode », c’est à dire de posture professionnelle, qui
n’a rien à voir avec les outils qu’ils peuvent utiliser…