Vous avez fondé une association, quels sont ses objectifs ?
Pascal Arthuis, Laure Bourdet et moi-même avons co-fondé l’association Helpen en septembre 2024 afin de lutter contre le harcèlement moral au sein de l’Éducation nationale et de briser le silence autour de cette réalité encore trop méconnue. Reconnue d’intérêt général en février, notre association poursuit plusieurs objectifs majeurs. Nous œuvrons d’abord à rendre visible le harcèlement moral dans l’institution en documentant ses mécanismes et en publiant des témoignages circonstanciés, afin de lutter contre l’omerta qui entoure ce sujet. Nous accompagnons également les victimes dans leurs démarches administratives et judiciaires, car nombre d’entre elles se retrouvent isolées et démunies face à la complexité des procédures et à l’absence de soutien institutionnel.
Par ailleurs, nous militons pour une évolution du cadre réglementaire en mettant en lumière les défaillances de la protection fonctionnelle et le manque de suivi des signalements, tout en proposant des mesures concrètes pour mieux protéger les agents. Enfin, nous bâtissons un réseau d’entraide pour que les enseignants et personnels en souffrance ne soient plus livrés à eux-mêmes face à une administration souvent indifférente, voire hostile.
Au-delà de cet accompagnement, nous menons un travail de sensibilisation auprès des élus et des décideurs afin que le harcèlement moral soit reconnu comme un véritable enjeu de santé publique, et non réduit à de simples « conflits interpersonnels » trop souvent minimisés. Cette semaine, nous avons été reçus à Matignon par une conseillère du Premier ministre qui soutient notre démarche et nous apporte son aide stratégique. Nous rencontrons prochainement des conseillers ministériels de la Justice, de l’Éducation nationale et de la Fonction publique, ainsi que des députés, sénateurs et élus locaux pour faire avancer notre cause.
C’est un sujet que vous connaissez, voulez-vous apporter votre témoignage ?
Depuis 2020, ma carrière dans l’Éducation nationale a été marquée par un harcèlement moral, reconnu comme tel. Ces agissements ont d’abord été initiés par une collègue professeure de mathématiques avant d’être relayés par un secrétaire administratif et de se muer en harcèlement amplifié par une proviseure. Progressivement, il s’est transformé en un harcèlement institutionnel, puis en un « mobbing », c’est-à-dire un harcèlement collectif quasi-généralisé au sein de cette cité scolaire. Ce climat s’est traduit par la propagation de rumeurs malveillantes, des accusations infondées, de la diffamation, des injures et des menaces, ainsi que par une surveillance permanente, des sanctions injustifiées, un isolement professionnel et des représailles. Ces attaques répétées ont profondément affecté ma vie, tant sur le plan professionnel que personnel.
Avant mon effondrement, j’avais tenté d’alerter sur le harcèlement dont j’étais victime, mais aussi sur d’autres faits graves, dans un registre santé et sécurité au travail qui n’existait même pas à cette époque. En pleine crise sanitaire et dans le contexte de l’assassinat de Samuel Paty, j’avais découvert que des menaces de mort proférées par des élèves contre des enseignants avaient été volontairement dissimulées pendant plusieurs mois. Lorsque j’ai dénoncé ces faits dans un forum de discussion, j’ai immédiatement fait l’objet d’attaques sur ma probité, mon éthique professionnelle et un prétendu sexisme, détournant ainsi l’attention du sujet initial. Peu après, un signalement anonyme à la proviseure m’a accusé de vouloir « jeter l’opprobre sur la communauté éducative », ce qui a conduit à ma convocation au rectorat pour un « recadrage » et a précipité mon effondrement professionnel, psychologique et personnel. Seuls ma famille et mes amis m’ont soutenu pendant les trois années de maladie qui ont suivi.
Face à cette situation, j’ai suivi toutes les procédures officielles : signalements dans un registre qui n’existait pas encore, demandes de protection fonctionnelle, médiations. À chaque étape, j’ai été confronté à une inertie institutionnelle totale, voire à ce qui s’apparente à une forme de complicité active. Après deux ans d’arrêt maladie, et alors que ma situation financière était aggravée par des retenues sur salaire abusives, j’ai été contraint de reprendre mon poste sans aucun aménagement, sous la menace d’une rétrogradation imposée par une nouvelle inspectrice générale. De retour au lycée, j’ai dû affronter une hostilité quasi généralisée et un « mobbing » collectif de la part de nombreux collègues, tandis que l’administration restait passive face à cette situation.
J’ai tenu un an avant d’obtenir gain de cause devant le tribunal administratif, qui a reconnu mon droit à la protection fonctionnelle ainsi qu’à la reconnaissance de ma maladie professionnelle. Pourtant, cette décision de justice n’a fait qu’exacerber l’hostilité à mon égard, et à ce jour, plus d’un an après le jugement du tribunal administratif, le rectorat de Paris n’a toujours pas appliqué les mesures ordonnées. Aujourd’hui, nous allons faire une demande indemnitaire de réparation auprès de l’administration.
Ce harcèlement ne s’est pas limité à l’établissement : l’administration a multiplié les entraves à mes démarches, retardant autant que possible la reconnaissance de ma maladie professionnelle, refusant ou « oubliant » mes congés – ce qui me plaçait en situation d’abandon de poste – et égarant mes demandes de protection fonctionnelle. Même les décisions de justice en ma faveur ont été ignorées, ce qui illustre l’impunité dont bénéficient ces pratiques.
Finalement déplacé par décision ministérielle, j’espérais retrouver un cadre de travail apaisé. Or, la collègue professeure à l’origine du harcèlement a également été mutée dans le même établissement pendant ma période d’arrêt. À mon retour, elle était présente dans le cercle de mes nouveaux collègues linguistes et a poursuivi ses agissements. Elle a non seulement continué à me diffamer publiquement, mais a aussi nui à d’autres personnes, en toute impunité. Malgré cela, j’ai choisi de me recentrer sur mon métier et ai retrouvé du sens à ma mission, notamment grâce à mes élèves.
Viendra peut-être un jour le temps de la justice. Une plainte pénale a été déposée en 2021 contre les acteurs de ce harcèlement, mais aucune action n’a été entreprise en quatre ans par les services de police ou la justice pour faire cesser ces agissements ou instruire la plainte avec constitution de partie civile. Le temps judiciaire n’est pas le temps de ce que subissent les victimes. Si seulement une personne avait recadré cette professeure, peut-être rien de tout cela ne se serait produit.
Mon cas est loin d’être isolé et n’est pas le plus grave, bien que l’accumulation de ces épreuves me confère aujourd’hui une connaissance approfondie de ces mécanismes. De nombreux collègues sont confrontés aux mêmes stratégies : pressions, isolement, menaces sur leur carrière et leur santé. L’objectif de l’association est de documenter ces situations et de démontrer qu’elles ne sont pas des exceptions, mais les symptômes d’un dysfonctionnement systémique au sein de l’Éducation nationale. Trop souvent, l’institution, au lieu de protéger ses agents, contribue à leur marginalisation, les laissant seuls face à un combat inégal et épuisant.
Vous accompagnez les professeurs victimes de harcèlement. Comment et avec qui travaillez-vous ?
L’association accompagne les enseignants victimes de harcèlement moral en leur offrant un soutien structuré, fondé sur l’écoute, l’expertise et l’action. Face à une institution souvent sourde aux alertes, elle se positionne comme un acteur engagé pour la défense des personnels en détresse.
Helpen œuvre également à la mise en réseau et à la sensibilisation. En collaboration avec d’autres associations engagées (comme Aide aux profs), des personnels déterminés à briser l’omerta et des acteurs institutionnels conscients de la nécessité de réformes, elle documente des cas précis pour mettre en lumière les dysfonctionnements structurels et exiger des changements profonds.
L’association se veut aussi force de proposition pour former les personnels de direction, les gestionnaires et d’une façon plus générale l’ensemble des agents à ces problématiques, pour mieux les combattre. Notre association agit pour que ces violences institutionnelles cessent d’être considérées comme des cas isolés, car c’est la solitude des victimes qui rend ce délit encore plus destructeur. En mettant en avant des témoignages concrets et en portant ses revendications au plus haut niveau, l’association veut imposer la prise de responsabilités et faire évoluer les pratiques. Car aider les victimes, c’est aussi exiger une transformation en profondeur de l’Éducation nationale. Il est temps que l’impunité cesse, et que la honte du harcèlement change de camp.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
plus d’information: Helpen
Guillaume Delaby : Motiver les élèves de CPGE en anglais avec les TICE
