Par Françoise Solliec
Cas singulier dans l’académie de Strasbourg, le lycée général Lambert (680 élèves, 60 enseignants) a décidé d’entrer dans l’ENT par le côté pédagogique, grâce à une exploitation assez complète des fonctionnalités de communication, utilisées jusqu’au sein de la classe. Mais les parents aimeraient bien avoir accès aussi aux relevés de notes et d’absences de leurs enfants.
Une démarche toute en douceur qui a porté ses fruits auprès des enseignants
Comme dans tous les établissements candidats au déploiement de l’ENT, un comité de pilotage a été mis en place, constitué d’une dizaine de personnes, proviseur adjoint, CPE, personne ressource informatique (PRI), enseignants, parents et élèves. Constatant que les personnels étaient satisfaits des outils administratifs en place (notes et absences) et ne souhaitaient pas en changer dans l’immédiat, le comité de pilotage a dès l’abord décidé d’orienter l’ENT comme support aux activités pédagogiques et la messagerie a tout de suite été ouverte aux élèves et aux personnels. Son utilisation a été immédiatement comprise par les élèves comme celle d’un outil professionnel dans un espace clos et il n’y a jamais eu de dérive à déplorer. D’autres outils ont été mis rapidement à disposition, tels les forums et la possibilité de dépôt dans l’espace documentaire.
Dès la rentrée 2005, deux membres du comité de pilotage, Dominique Zahnd et Hervé Furstoss, professeurs de SVT, ont fait partie d’un groupe de formation action au sein de l’IUFM d’Alsace. Ce groupe d’études et de ressources, GER, constitué par une équipe pluricatégorielle (enseignants du secondaire, formateurs, inspecteurs pédagogiques) et interdisciplinaire (Français, SVT, Histoire-Géographie, Mécanique, etc.) se consacre à l’élaboration de ressources pour l’enseignement sous forme de scénarios pédagogiques s’appuyant sur la collaboration entre les élèves et à la mise en pratique de ces scénarios dans les classes. « J’ai ainsi expérimenté un forum en terminale S ; les élèves avaient pour tâche de construire eux-même, de manière collaborative, le barème d’un devoir. L’expérience s’est révélée très positive puisque le barème proposé par la classe était tout à fait recevable » déclare Dominique Zahnd. « C’est important d’avoir l’occasion et le temps d’analyser ses pratiques dans un groupe de recherches. Cependant, c’est avec mon collègue Hervé Furstoss que j’ai réalisé la plupart de ces mises en œuvre pédagogiques : les idées naissaient souvent de nos discussions au sein du lycée. Enseigner dans le même établissement nous a facilité les choses». Au niveau du lycée, ajoute-t-elle « au début, les TICE ont été mises en pratique surtout par les scientifiques, mais maintenant on a des collègues intéressés dans de nombreuses disciplines. Ainsi un collègue d’allemand y est venu grâce à un travail avec la balado-diffusion. »
L’ENT ne s’est pourtant pas imposé d’un coup. Après les enthousiasmes du début, plusieurs réticences ont été exprimées par les enseignants, notamment la crainte de voir les élèves manier plus facilement les outils qu’eux-mêmes. Mais le comité de pilotage a su adopter une démarche toute en douceur et au bout d’un an, tous les enseignants se connectaient sur la plate-forme pour relever leurs messages internes. « Comme le lycée est petit » explique Dominique Zahnd, « beaucoup de choses se sont passées en salle des profs. Les collègues ont vu que ce n’était pas si compliqué et que l’ENT offrait de nombreuses fonctionnalités » Aujourd’hui, les trois quart des enseignants ont des échanges interactifs entre eux ou avec leurs élèves et plus de la moitié utilisent régulièrement l’espace documentaire. Cependant, les fonctionnalités ne sont pas toujours très faciles à utiliser ou n’existent pas encore et les évolutions de la plate-forme se font en priorité sur les modules de vie scolaire. En attendant la stabilisation de la nouvelle version livrée par Infostance, la direction du lycée a d’ailleurs décidé de conserver ses logiciels vie scolaire propres, mais en donnant accès aux utilisateurs via l’ENT.
Selon Dominique Zahnd, « les forums sont très intéressants car on s’affranchit un peu de la notion de temps ». Elle en a explicité plusieurs exemples sur le site du lycée ou sur Educnet et a même expérimenté un forum en présentiel dans le temps limité d’un cours. « Au départ, je trouvais saugrenue l’idée de communiquer par l’intermédiaire de machines alors que professeur et élèves étaient dans la même salle» nous confie-t-elle « mais en fait ça a super bien marché, puisqu’en 30 minutes le groupe-classe a pu résoudre l’énigme génétique proposée et que tous les élèves se sont exprimés».
Pour elle, l’utilisation généralisée des fonctionnalités de messagerie et de chat a introduit de nombreux changements dans l’établissement. « Par exemple un élève malade m’a informée à l’avance qu’il serait absent en TP. Je lui ai expliqué les manipulations à faire sur l’ENT et il a pu les réaliser de chez lui en même temps que ses camarades. Je suis intervenue en direct par chat auprès de lui et nous avons tous deux beaucoup apprécié cette première expérience de travail à distance en simultané. A l’inverse, un collègue a pu tutorer de chez lui une séance de travail de sa classe. Autre exemple, deux élèves habitant loin du lycée ont participé en ligne à une séance supplémentaire de préparation à l’épreuve anticipée de 1ère ES. ». L’attitude des élèves en classe change, les questions viennent beaucoup plus facilement, « on voit bien qu’il y a du vécu derrière et que les élèves travaillent en confiance avec cette messagerie institutionnelle ».
L’espace documentaire est également utilisé dans de nombreuses situations. Des enseignants déposent par exemple le corrigé des devoirs de la journée ; les élèves en prennent connaissance rapidement et sont beaucoup plus attentifs lors de la correction en classe. Un enseignant d’anglais a pris l’habitude (mais cela a quand même demandé un accompagnement technique) de mettre en ligne des extraits d’émission de la BBC ; les élèves déposent à leur tour des fichiers audio et expriment une demande croissante de travail oral. Dans certains TP de SVT, les élèves font des prises de vue qu’ils mettent en commun et utilisent éventuellement les clichés des autres dans leur compte-rendu. Beaucoup de documents sont d’ailleurs mis en commun sous des formes très diverses. Depuis 3 ans, les élèves ont eu le temps d’explorer différentes possibilités et sollicitent beaucoup les enseignants sur l’utilisation de l’outil informatique, car il leur permet de rendre un travail de qualité, esthétiquement satisfaisant.
Dans le comité de pilotage, les parents apportent un regard extérieur. Ils sont évidemment très demandeurs d’information sur les notes et les absences de leurs enfants (une consultation des notes devrait être possible prochainement), mais aussi sur la vie du lycée, les débouchés, les relations avec l’extérieur, etc. « Nous faisons des efforts pour tenir à jour les actualités et mettre des liens sur les informations susceptibles de les intéresser, mais nous manquons de temps » avoue Dominique Zahnd.
Au niveau de l’académie, les représentants du lycée au comité des utilisateurs se sentent un peu isolés. « Même s’ils sont intéressés par nos exemples pédagogiques, la priorité des autres établissements est clairement le bon fonctionnement des modules vie scolaire. Nous aimerions pouvoir disposer d’un wiki, ou d’outils plus conviviaux de construction de contenus » déclare Dominique Zahnd « mais peu de gens partagent nos préoccupations. Il y a encore beaucoup de discussions, notamment dans les collèges pour savoir ce qu’il convient d’ouvrir aux élèves. Je suis coauteure d’un parcours de formation Pairform@nce (modalité de formation hybride utilisant une plate-forme d’échanges à distance) et j’espère que cette construction contribuera à modifier les points de vue ».
« Après 3 ans de fonctionnement, il y a encore pas mal de difficultés techniques avec l’ENT » remarque Hervé Furstoss, administrateur ENT, personne ressource informatique de l’établissement, « ça n’a pas gêné les utilisateurs non avertis, ni les élèves qui s’en sont emparés facilement, mais cela a pu rebuter au moins une dizaine de collègues, qui avaient l’habitude d’utiliser l’outil informatique dans leur classe et qui n’arrivaient plus à faire aussi bien ce qu’ils faisaient auparavant ». L’ENT fait cependant partie du quotidien et les réclamations ne se font pas attendre quand il ne fonctionne pas.
Bien que les élèves estiment n’avoir pas assez de temps sur ordinateur, l’équipement du lycée est bon par rapport à la moyenne académique : 6 salles informatiques, 1 poste dans chaque salle de classe, 20 vidéoprojecteurs répartis dans l’établissement, un ensemble de portables en « classe mobile » et 6 postes en libre-accès. « Nous les conservons malgré des dégradations permanentes, car ils rendent un vrai service aux élèves pour aller récupérer leurs documents » explique Hervé Furstoss.
La venue de la société HP, chargée du suivi de projet dans le groupement qui a remporté le nouveau marché, doit permettre d’améliorer la situation au niveau du fonctionnement technique. Il existe désormais des outils de remontée d’incidents et une réponse plus cohérente et plus organisée est apportée aux demandes d’évolution de la plate-forme. L’entrée massive de collèges dans les établissements utilisateurs va sans doute à terme faire basculer les demandes vers des ouvertures de fonctionnalités différentes (créations de blogs notamment), mais le lycée n’en a pas encore vu les effets. En attendant, de petits outils de travail collaboratifs sont expérimentés et diffusés par certains enseignants.
« La vraie spécificité de l’ENT, c’est de fournir un point unique de rattachement, qui est clair et évite de se disperser » conclut Hervé Furstoss. « L’intégration de tous les outils qu’on utilise aujourd’hui dans une plate-forme unique, qui servirait également d’unique lieu de dépôt de documents serait une vraie plus-value. Il restera quand même à dynamiser nos relations avec les parents, ce qui sera sûrement plus facile dès que nous aurons répondu à leur demande de consultation intégrée des notes et des absences de leurs enfants ».