Par Françoise Solliec
Depuis de nombreuses années, ce collège ambition réussite de 550 élèves, la plupart de conditions sociales très défavorisées, a misé sur la pédagogie de projet et le développement des TICE pour assurer la motivation et le désir d’apprendre de ses élèves. L’ENT a donc dû prendre sa place dans un contexte déjà riche en expériences, en réflexions et en habitudes.
« Ca va lentement, mais ça progresse »
Notre première expérimentation de « cartable électronique » date des années 2000, nous explique Laurent Mougel, professeur de SVT et administrateur ENT, lorsque nous avons été sollicités par les éditions Bordas et Nathan qui recherchaient des classes de 3ème pour utiliser leurs manuels numériques, SVT et histoire-géo. Cette expérience a duré deux ans, d’abord avec des tablettes graphiques, puis avec de vrais portables. A l’issue de l’expérimentation, le collège a décidé d’acquérir les portables sur des fonds propres (taxe d’apprentissage). Nous n’avions guère été convaincus par les ressources proposées (simple numérisation des manuels existants avec quelques exercices interactifs) et nous avons donc décidé de créer nos propres ressources pour faire travailler une classe de 5ème dont chaque élève disposerait d’un portable.
La direction du collège a complètement soutenu le projet, déclare Amina Ajabali, principale-adjointe. Une équipe d’enseignants volontaires a été constituée et les familles des élèves de 6ème ont été informées de la mise en place de cette classe à la rentrée suivante. Les élèves ont été choisis sur la base du volontariat, après remise de lettres de motivation et rencontres avec les familles. Cela a représenté un très gros travail pour les enseignants, car ils ont conçu entièrement leurs supports, mais le résultat a été plus qu’à la hauteur de nos espérances. Nous avons vu tout au long de l’année grandir la motivation des élèves et se renforcer la cohésion du groupe ; il n’y a eu aucun absentéisme. Cependant, la progression scolaire n’a rien eu de remarquable : la classe était de niveau très moyen et les enseignants ont parfois souffert de la lenteur du déroulement des cours. Cette même classe a poursuivi l’expérience en 4ème, mais pas au niveau de la 3ème, car certains enseignants craignaient que l’échéance du brevet ne représente un obstacle à ces méthodes de travail.
Une demande de nouveaux équipements a été formulée auprès du rectorat et du conseil général pour poursuivre l’expérimentation avec une autre classe de 5ème (actuellement en 3ème), mais le déploiement des ENT et la multiplication des accès Internet ont entraîné une réponse négative. La seconde classe a donc de fait fonctionné un peu différemment, dans une salle spécifique munie d’un tableau interactif, mais en utilisant les mêmes ressources. Constituée selon les mêmes modalités, quoiqu’avec la contrainte supplémentaire d’une option LV1 anglais (de fait les élèves avaient deux langues en 6ème), la classe était de bien meilleur niveau et il est difficile d’identifier dans leurs bons résultats scolaires l’apport spécifique dû à leur « cartable numérique ».
Pourtant, insiste Amina Ajbali, le plus de l’outil informatique est évident. Les enseignants du collège sont confrontés à des élèves en très grande difficulté (80% de CSP défavorisées, 38% de résultats positifs à l’évaluation 6ème de français et 45% en mathématiques), dont certains proviennent des 4 foyers sociaux du secteur avec une présence parfois discontinue, sans compter les élèves de l’UPI, à mi-temps dans une autre institution. Seuls quelques élèves du quartier résidentiel en limite du Neuhof (quartier très difficile de Strasbourg) assurent un minimum de mixité sociale. Les TIC permettent aux enseignants de se sortir de la problématique d’une pédagogie différenciée face à une grande diversité de difficultés et de surmonter nombre d’entre elles.
L’ENT a été implanté dans le collège en 2004, dans la première vague d’expérimentation. Chaque salle de classe a été équipée d’un PC connecté sur le réseau de l’établissement et à Internet. Le module absences a été ouvert pour commencer, ainsi que la messagerie, et les comptes ont été ouverts pour l’ensemble de l’équipe éducative et des élèves (les parents n’ont eu un accès direct que l’année suivante). La grande crainte pour les personnels était de se retrouver noyés sous le flot des messages élèves, mais nous dit Amina Ajbali, « ils s’en servent de manières intelligente ». Ce sont les professeurs principaux qui remettent leurs codes d’accès aux élèves, au cours d’une séance de travail et d’explications sur la charte informatique du collège.
De plus en plus de profs déposent des documents pédagogiques sur l’ENT, même si l’essentiel des ressources élaborées pour les premiers cartables numériques restent sur le serveur de l’établissement ou sur les sites Internet où elles ont été déposées initialement. « Cela représenterait un trop gros travail de bascule et la plate-forme ENT n’a pas encore toutes les fonctionnalités nécessaires. Nous offrons simplement une passerelle depuis l’ENT » déclare Laurent Mougel.
Les élèves qui disposent d’une connexion à domicile consultent volontiers les modules notes et absences. « Ils connaissent leur note avant la remise des copies et cela permet de dépasser le moment d’émotion en séance » constate Laurent Mougel. Ils ne représentent cependant qu’un peu plus du tiers des élèves et de nombreux efforts ont été consentis pour réduire cette fracture numérique. Par exemple, une convention a été passée avec l’association locale Cybercafé, qui recycle des ordinateurs anciens et offre à prix modéré des forfaits de connexion Wi-fi pour un temps limité, permettant d’équiper une centaine d’élèves méritants des deux collèges du quartier d’un ordinateur avec forfait de connexion.
De même l’accès de nombre de familles pose encore problème, regrette Amina Ajbali. « On offre bien un peu de formation lors de la remise des codes d’accès et on met quelques PC en libre-service, mais la participation des familles qui en auraient le plus besoin reste très faible ». Cependant, « ça va très lentement, mais ça progresse. Par exemple, à cette rentrée, les élèves avaient été voir à l’avance la composition des classes ». Le développement de l’ENT est ainsi lié à sa capacité à offrir des contenus diversifiés et des informations le plus à jour possible.
En ce qui concerne la formation des nouveaux enseignants, « on a un système d’autoformation par groupe disciplinaire ; on montre beaucoup ce qu’on fait, cela donne envie à nos collègues » explique Laurent Mougel, qui évalue aujourd’hui à plus du quart des enseignants ceux qui utilisent l’ENT à des fins purement pédagogiques (tous les enseignants sans exception utilisent les modules notes et absences). C’est cependant en termes de communication que l’ENT semble apporter le plus : « les professeurs principaux utilisent beaucoup leurs listes de diffusion pour donner rapidement des informations sur les élèves, certains professeurs donnent des devoirs et les récupèrent sur l’ENT, nous sommes maintenant en contact permanent avec les responsables des foyers du secteur et les directeurs d’école du REP ont accès à l’agenda du collège ».
Mais, pour le collège, l’ENT ne représente qu’une partie des briques dans la construction des TICE. « On dispose aujourd’hui d’un équipement très important par rapport aux autres collèges : 10 tableaux interactifs (un par discipline), 15 video-projecteurs et une toute nouvelle classe mobile de 24 portables, car il semble important que chaque élève puisse travailler individuellement sur l’ordinateur » affirment Amina Ajbali et Laurent Mougel. Le B2i est en place et devrait cette année connaître un taux de réussite frôlant les 100%. « Même si les élèves sont parfois un peu blasés devant les outils offerts (l’utilisation de la vidéo fait partie de leur quotidien), ils adorent passer au tableau interactif et souhaitent aller tout le temps en salle informatique ». Les taux d’occupation de ces salles sont d’ailleurs élevés et le seront davantage avec la mise en place des ateliers de soutien organisés dans le cadre de l’accompagnement éducatif. La labellisation « ambition réussite » et la venue des professeurs référents ont considérablement augmenté le travail en groupe de niveaux dans les classes et l’outil informatique a été encore davantage utilisé, notamment en mathématiques.
« La diversité des supports aide les élèves à varier et soutenir leurs efforts » conclut Amina Ajabali. « Plus qu’avec notre taux de réussite au DNB (54%), c’est en termes de motivation et de poursuites de scolarité que nous mesurons la réussite due à notre investissement. Nous n’avons quasiment plus de décrochage et conservons nos élèves jusqu’à la fin de la 3ème. Nos taux de poursuite d’études sont de 40% en seconde générale, 35% dans la voie professionnelle. Les autres signent des contrats d’apprentissage. L’an dernier sur 122 sortants, seuls 5 élèves, dont 3 n’ont pas donné suite à notre demande de rencontre, se sont retrouvés sans solution en juillet ».