Par Pierre Frackowiak
Comment les « nouveaux IUFM », qui se mettent en place au sein universités, formeront-ils les futurs maîtres ? Pierre Frackowiak, I.E.N., réagit à la lecture de la revue interne de l’IUFM du Nord-Pas-De-Calais…
Le numéro spécial de « Passerelle », le journal interne de l’IUFM du Nord-Pas-de-Calais, consacré à l’intégration de l’IUFM à l’Université d’Artois, ne manque pas d’intérêt. L’analyse de D-G Brassart, le directeur de l’IUFM, toute de retenue et de diplomatie, le regard croisé des secrétaires généraux, les comptes-rendus des rencontres entre les personnels avec le relevé des questions posées, le tableau de présentation des deux structures et l’interview de C. Morczewski, le président de l’Université, constituent un document utile et révélateur.
L’interview du président de l’Université est particulièrement importante. Par sa longueur: elle est environ deux fois plus longue que l’analyse du directeur. Est-ce le premier signe d’un rapport de force ou de pouvoir ? Par son contenu qui laisse apparaître d’emblée l’une des dérives possibles de la réforme des IUFM. A la question: « quelle politique de formation des maîtres souhaitez-vous défendre? », il répond:
« Je récuse aussi le vieux débat entre tenants de la formation « d’érudits » et les adeptes du « tout pédagogique ». S’il n’est de science que du général, il n’est de didactique que disciplinaire: l’enseignant, y compris celui du premier degré, doit avoir été formé au plus haut niveau dans une discipline, de préférence académique, à partir de laquelle, il pourra opérer toutes les transpositions ensuite nécessitées par sa polyvalence, et, espérons-le, transmettre de surcroît le goût de ces disciplines. Mais cette érudition ne suffira pas si l’un et l’autre ignorent les conditions de transmission pédagogique de ces « savoirs savants », les méthodes de transposition scolaire, bref s’ils n’ont pas reçu une solide formation, en matière de didactique et de pédagogie, sans oublier les autres piliers du référentiel de compétences, bien sûr. »
Il faut lire attentivement ce texte, les lignes et entre les lignes.
On sait d’abord que lorsque l’on récuse un vieux débat, c’est toujours pour mieux valoriser ou dissimuler un choix délibéré. Nul doute que récusant l’autre vieux débat voisin entre républicains et pédagogues, le président de l’Université prendrait le parti des républicains et récusant l’autre vieux débat entre conservateurs et progressistes, son positionnement serait tout aussi clair. Il consent du bout du stylo à évoquer subrepticement la pédagogie la liant à tort à la didactique et il rappelle, c’est bien le moins qu’il puisse faire quand même, le référentiel de compétences. Mais à l’évidence, l’essentiel, bien sûr, c’est d’être formé au plus haut niveau d’une discipline académique et de parier sur les capacités de transposition qui seraient naturelles ou magiques.
Cela veut dire clairement que la pédagogie est secondaire (ou primaire au sens péjoratif), accessoire. La discipline, les disciplines, vous dis-je!
Cela veut dire clairement que les vrais problèmes rencontrés dans les vraies classes par les vrais maîtres sont dérisoires. En maîtrisant parfaitement une discipline académique et sa didactique, on pourra transposer des compétences par la transmission et maîtriser par la même la transposition de la transmission. La construction des savoirs et des compétences que les pédagogues distinguent de la transmission serait sans intérêt. On part du postulat bien connu et qui a créé tant d’obstacles à la démocratisation qualitative du système éducatif que le modèle de la transmission est universel, éternel, indiscutable, qu’ayant bien fonctionné pour les élites, il n’y a aucune raison qu’il ne fonctionne pas pour les masses. L’ennui des élèves, l’incompréhension qu’ils manifestent par rapport aux apprentissages scolaires, l’échec scolaire persistant malgré les dispositifs et les moyens trouveront des solutions avec l’érudition disciplinaire et peut-être avec le talent inné des enseignants. La prise en compte des savoirs informels, sociaux, extra scolaires, les réflexions sur les limites des disciplines scolaires au regard de l’accroissement exponentiel des savoirs de l’humanité, de l’émergence de nouvelles disciplines, de la sous estimation de certaines disciplines (pourquoi ne fait-on pas du droit et de l’économie à l’école?), de l’influence des médias, est totalement ignorée. Edgar Morin et ses sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, largement diffusés par l’UNESCO, et les pédagogues (tous des pédagogistes!) peuvent ranger leurs cartables et leurs ordinateurs. La discipline, les disciplines, vous dis-je!
J’ai la faiblesse et sans doute l’outrecuidance, n’étant qu’instituteur- inspecteur, de penser que l’échec scolaire a hélas encore de beaux jours devant lui et que ce n’est pas ce que la Nation et l’institution scolaire attendent des nouveaux enseignants.
Les écoles, et sans aucun doute les collèges qui ont été victimes du choix de la généralisation du petit lycée napoléonien à la totalité des enfants entrant en 6ème en opposition à une école fondamentale couvrant toute la scolarité obligatoire, attendent des enseignants ayant un haut niveau de formation dans le domaine des apprentissages (Comment un enfant apprend-il?), capables de travailler en équipe, d’assurer continuité et transversalité des apprentissages, de prendre en compte l’hétérogénéité des élèves, de réduire le temps d’enseignement collectif frontal (la transmission), de permettre aux élèves de se fabriquer des outils mentaux (et si l’Ecole se donnait comme objectif de développer l’intelligence?), de gérer les conflits entre élèves et avec les parents, d’ouvrir l’école sur la vie, de donner du sens aux apprentissages en les reliant aux savoirs non scolaires, de se mobiliser sur les projets… parfois de survivre dans des milieux où l’école n’est plus respectée… Ces compétences ne sont pas un supplément d’âme, une concession aux pédagogues ou un caprice. Elles sont fondamentales, vitales, prioritaires… Elles ne sont pas construites actuellement, le totalitarisme des disciplines académiques sévissant toujours envers et contre toutes les réalités du terrain et contre le malaise des enseignants qui mesurent leur degré d’impuissance face à l’échec scolaire, qui sont angoissés parce que démunis et qui n’ont d’autre recours, dans le second degré, que de se réfugier dans une légitimité disciplinaire qui ne résout rien.
La discipline, les disciplines, vous dis-je!
Si l’intégration de l’IUFM à l’Université conduit à ce qui apparaît dans la déclaration du président de l’Université, bonjour les dégâts!
Monsieur le Ministre, Monsieur le Recteur, Monsieur le Directeur de l’IUFM… au secours! C’est l’avenir de l’Ecole et sa démocratisation qui sont en jeu.
Pierre FRACKOWIAK
Voir également :
Sur la Café, article de P. Frackowiak sur le HCE
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2007/HCE_frack.aspx
Sur le Café, article de P. Frackowiak sur le rapport Bentolila
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/grammaire06_1.aspx
Dossier du Café sur la formation des enseignants
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/formation_index.aspx
http://www.lille.iufm.fr/Passerelle-no27.html