Benoît Falaize : l’Etat de l’enseignement de l’immigration en classe.
« Nous vivons à la merci de certains silences » écrit Modiano. La capacité à reformuler l’histoire de l’immigration pour la faire entrer dans notre « roman national », c’est un défi à relever pour l’Education nationale.
La Cité de l’immigration a demandé un état des lieux à l’INRP.L’Ecole primaire, comme le reste de l’Ecole, a fait longtemps une confusion entre l’immigration et l’histoire de la nation française, du fait que le présent obérait toutes les situations. Cette situation perdure aujourd’hui avec l’actualité. Mais du coup, on oublie ce qui doit être le cœur de l’enseignement de l’histoire
Quels enseignements dans le rapport de l’IG sur l’enseignement de l’Histoire à l’Ecole ?
– Dans les programmes de 2002, on se rapproche, avec le travail de Philippe Joutard, d’une réflexion générale sur la construction du territoire français par des vagues successives d’immigration.
– Dans les manuels scolaires, c’est plus ambigu. Il faut attendre les toutes dernières années pour trouver des textes significatifs (sauf peut-être la référence à l’Affiche Rouge). A un ou deux près, quelques documents existent sur l’immigration (équipe de France de foot, émigrés albanais), mais pas sur l’histoire de l’immigration. On parle depuis le présent.
– Les manuels de géographie représentent les quartiers de Marseille, racontent les flux successifs de population.
– En éducation civique, le thème est peu présent au primaire, contrairement au secondaire.
– Dans la plupart des manuels, le rapport est permanent entre le « eux » et « nous »
Si on regarde les pratiques enseignantes, les enseignants entendus dans les enquêtes reconnaissent être en difficulté. Ils travaillent surtout le « vivre ensemble », dans un aspect qui tend vers le moral, comme c’est souvent le cas dans le cas des problèmes historiques qui « posent problème » : on est dans le « tout le monde est gentil », le « respect des cultures »… On « profite » de la présence d’enfants qu’on « reconnaît » comme d’origine étrangère pour poser la question de l’origine : « vous allez demander à vos parents de dire d’où ils viennent ». Imagine-t-on qu’on fasse la même chose avec les déclarations d’impôts ? Est-ce qu’on sait bien avec quoi on joue sur cette question ? Les élèves ne deviennent plus les « objets » de l’enseignement, mais des « sujets » de l’enseignement. « Il s’agit ni plus ni moins que d’une déconsidération sociale reconsidérée scolairement », et ce avec les meilleures intentions du monde envers des élèves souvent socialement et géographiquement relégués, qui ont été accueillis par les instituteurs.
Pourquoi donc demander aux enfants d’origine étrangère d’être porteurs de l’histoire de l’immigration, alors qu’en tout état de cause ils n’ont pas les mots pour dire les choses ? Pendant combien de générations on considérera que tout Rachid est un immigré ?
Quelques faits sur l’histoire de l’immigration
Quand on pense immigration et histoire, on pense ou à l’esclavage, ou à l’Algérie.
L’histoire de l’immigration devrait parler de toutes les vagues successives (Clovis était un enfant de la deuxième génération… qui se considére comme un romain… et défend l’empire) « Invasion barbare », évidemment une notion à remplacer par l’immigration barbare qui dure 4 siècles, et éventuellement sauve l’économie de l’Empire romain au IIIe siècle.
Le mot « immigration » intervient à la fin du XIXe, au moment où le phénomène est vécu par les Français comme « problématique », c’est à dire après que la « francisation » de la IIIe République ait gommé les particularités locales. En 1889, c’est la première loi du « droit du sol », qui fonde la nationalité, parce que tous les enfants italiens qui commencent à travailler dans les champs vont devenir autant de maîn d’œuvre pour la « revanche » contre les allemands : on n’a plus assez d’hommes pour faire la guerre…
Comment faire ?
Quand on passe à l’histoire au lieu de faire la morale, on change tout de suite de perspective. On comprend que les immigrés habitaient la banlieue parce que c’était là qu’étaient les lieux de production. (cf « Villes et banlieues en France », Favre). Tout ce qui aujourd’hui fait la Une du 20h y existait déjà : les agents qui ne pouvaient pas y entrer, quand même les immigrés uxembourgeois étaient vécus comme in-intégrable. Quand on lit la violence de ce qui était écrit contre les Italiens ou les Auvergnats, on mesure mieux ce qui se passe aujourd’hui…
Les arts plastiques peuvent être également mis à contribution : nombre de peintures décrivent la misère de l’immigration belge ou le départ des italiens.
La littérature (cf Medhi Charef, « A bras le cœur ») est évidemment aussi un bon support pour mettre à distance en réfléchissant au trois temps : parcours d’émigration (ils viennent de quelque part), l’exil et son caractère ambivalent), l’immigration (le moment où on s’intègre dans une nouvelle société)
En géographie, l’étude des images qui montrent l’évolution du mode urbain permet de retrouver l’histoire de ce qui a existé avec eux…
Philippe Seguin a expliqué dans un rapport de la cours de comptes qu’il n’y a jamais eu de politique d’immigration en France, tout a été laissé aux mains du patronat. Rien d’étonnant à ce que la politique scolaire soit restée impensée : « L’Ecole ne cesse de parler des autres, mais jamais du NOUS qui nous compose ». C’est une nécessité d’ordre éthique, encore plus qu’historique….
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