Par François Jarraud
Refondation, réforme ou rupture ? La Lettre aux professeurs du président Sarkozy est ampoulée, pleine de clichés, interminable, confuse. Certes. Est-elle aussi lourde de dangers pour l’Ecole ?
La Lettre aux professeurs
« Le temps de la refondation est venu. C’est à cette refondation que je vous invite.. » déclare N. Sarkozy dans une lettre de 32 pages envoyée aux 900 000 enseignants.
Pour le président de la République, l’Ecole est dans une situation catastrophique. « . La culture commune qui se transmettait de génération en génération tout en s’enrichissant de l’apport de chacune d’entre elles s’est effritée au point qu’il est plus difficile de se parler et de se comprendre. L’échec scolaire a atteint des niveaux qui ne sont pas acceptables. L’inégalité devant le savoir et devant la culture s’est accrue ».
Il annonce donc des mesures qui mêlent retour à la morale et gestion du système éducatif. D’un coté c’est « récompenser le mérite, sanctionner la faute, cultiver l’admiration de ce qui est bien, de ce qui est juste, de ce qui est beau, de ce qui est grand, de ce qui est vrai, de ce qui est profond, et la détestation de ce qui est mal, de ce qui est injuste, de ce qui est laid, de ce qui est petit, de ce qui est mensonger ». De l’autre des propositions concrètes.
Elles se déclinent en trois termes. D’abord la suppression de milliers de postes par la diminution des horaires. » Il y aura moins d’heures de cours, où les moyens seront mieux employés parce que l’autonomie permettra de les gérer davantage selon les besoins, les enseignants, les professeurs seront moins nombreux ».
Second terme : autonomie des établissements doublée d’un contrôle étatique par évaluations. « Les établissements dans lesquels vous enseignerez auront une plus grande autonomie dans le choix de leur projet, de leur organisation. L’évaluation sera partout la règle et les moyens seront répartis en fonction des résultats et des difficultés que rencontrent les élèves ».
La dernière vision présidentielle, mais peut-être la plus lourde grave, concerne le retour à la sélection dès le primaire. « Nul ne doit entrer en 6e s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du collège. Nul ne doit entrer en seconde s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du lycée et le baccalauréat doit prouver la capacité à suivre un enseignement supérieur. »
http://media.education.gouv.fr/file/41/3/6413.pdf
Les réactions syndicales
Les syndicats ont réagi négativement à la Lettre de N. Sarkozy. Le Se-Unsa dénonce une lettre « longue et peu convaincante « . Il « déplore l’ignorance du président de la loi d’orientation de 2005… La question reste posée : le gouvernement Sarkozy-Fillon appliquera-t-il la loi Fillon ? » Le Sgen dénonce l’absence de dialogue puisque Sarkozy cadre déjà les discussions sur le métier d’enseignant. Le Snuipp y voit « de véritables impasses » : le gouvernement n’a pas le budget qui lui permettrait l’opération annoncée.
Le Snes met en évidence les contradictions de N.Sarkozy : « contradiction entre l’appel à une « Renaissance intellectuelle, morale, et artistique », fondée sur une culture commune revisitée et l’évocation du rétablissement de « barrages » à l’entrée en 6ème, en Seconde, à l’Université, contradiction entre la volonté de combattre les inégalités et les propos réitérés sur la disparition de la carte scolaire et la diminution de l’offre éducative. .. Contradiction entre l’idée de renforcer la coopération entre les différents éducateurs et la disparition programmée de milliers de personnels dans l’Education Nationale ».
http://www.snes.edu/snesactu/spip.php?article2638
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article1455.html
Syndicats et mouvements lancent une campagne d’explication
» Nous voulons une politique éducative ambitieuse faisant avancer notre Ecole publique en mettant au cœur la réussite de tous les jeunes. Nous voulons pour cela d’autres choix, un autre budget, une autre politique ». Quinze organisations, syndicats, parents d’élèves de la Fcpe, lycéens et étudiants, mouvements pédagogiques (UNSA-Education – Cé – La ligue de l’enseignement GFEN FCPE CRAP Cahiers Pédagogiques FOEVEN – FAEN FERC-CGT FSU SGEN-CFDT UNL FIDL UNEF FNEC-FP FO), ont lancé le 30 août un appel commun qui fait suite à l’annonce de la suppression de 11 000 postes à la rentrée 2008.
La réaction est unitaire mais modérée. » Nos organisations s’engagent à mener en commun une campagne d’explication et de sensibilisation de l’opinion. Elles se retrouveront pour envisager la suite à donner à leur action autour d’une initiative d’ampleur nationale ».
http://www.fcpe.asso.fr/ewb_pages/a/actualite-fcpe-1983.p[…]
Trois lectures
Sarkozy : Des idées confuses, une comptabilité claire
Quel texte interminable ! La Lettre du président Sarkozy n’aurait peut-être pas eu une bonne note, tant le style ampoulé agace, tant la pensée semble confuse. Comme nombre de potaches, la plume présidentielle emprunte. Telle vision joyeuse semble empruntée à Rousseau (C’est dans les forêts, dans les champs, dans les montagnes ou sur les plages que les leçons de physique, de géologie, de biologie, de géographie, d’histoire mais aussi la poésie, auront souvent le plus de portée, le plus de signification. Il faut apprendre à nos enfants à regarder aussi bien le chef-d’œuvre de l’artiste que celui de la nature.). Telle formule qui hait les mensonges à un képi multi-étoilé.
Il faut aussi relever bien des contre-vérités. Par exemple, si notre système éducatif a ses défauts et doit progresser, comment écrire » qu’il est plus difficile de se parler et de se comprendre » ou que « l’échec scolaire a atteint des niveaux qui ne sont pas acceptables. L’inégalité devant le savoir et devant la culture s’est accrue ». Ces approximations stylistiques ou autres enrobent quatre propositions précises.
On notera d’abord que la déclaration présidentielle tranche sur des questions qui vont être soumises par le gouvernement à la commission sur le métier de professeur. On peut dès lors s’interroger sur la marge de manoeuvre de la commission censée éclairer le ministre sur le métier d’enseignant et de son président…
On ne s’étonnera pas de voir le président revenir sur l’idée de l’autonomie des établissements comme élément de performance du système éducatiif. Or son efficacité n’est pas démontrée. L’autonomie totale est souvent négative. Ainsi, selon Nathalie Mons, « une totale décentralisation est associée aux résultats les plus faibles » (Améliorer l’Ecole, PUF). Plus qu’autonomie totale, il convient de trouver le bon équilibre entre les capacités de décision locales et le cadre national dans lequel il s’exerce. Il n’est pas impossible que le modèle qui s’inscrit dans le projet de N. Sarkozy soit celui de l’enseignement privé sous contrat qui associe pouvoir local et gouvernance nationale. Il semblerait hasardeux d’affirmer qu’à recrutement social égal il soit marqué par une efficacité plus grande…
Une autre idée concerne le pilotage du système éducatif par les résultats. Or l’efficacité d’un établissement ou d’un enseignant ne sont pas aussi faciles que cela à établir. L’enseignant efficace n’est ce pas aussi celui qui aide les élèves à construire une bonne estime de soi ? C’est sans doute celui dont les élèves ont des acquis supérieurs à ceux de classes comparables. Mais dans ce cas comment faire la part des relations entre les élèves dans ces progrès et celle du maître ? Ces acquis profitent-ils à tous les élèves de façon égale ou le maître n’est-il pas plus efficace avec certains ?
Finalement, seul l’objectif budgétaire est affirmé clairement par le président. Le candidat avait promis un gros effort financier sur les Zep. Cet élément a déjà disparu, seule compte la récupération de moyens. Comment améliorer l’efficacité de l’Ecole avec moins de moyens ? L’équation garde ses inconnues.
Une réflexion de N. Mons : la France fait-elle le bon choix ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/[…]
Trois propositions du candidat Sarkozy
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/83_[…]
P. Frackowiak : La Lettre de Sarkozy est-elle utile ?
« La lettre du président de la République aux enseignants ne manque pas d’intérêt… cette lettre existe et qu’elle peut – du moins on peut l’espérer – être discutée. Elle aborde des problèmes délicats que d’autres n’ont pas eu, il faut bien le dire, le courage de traiter: les programmes, les disciplines, l’interdisciplinarité, la charge de travail des élèves, les missions des professeurs… Elle constitue un évènement dans l’histoire contemporaine de l’école si tant est que l’on soit capable de l’utiliser pour réformer et non pour revenir à des modèles dont elle ne dit pas suffisamment qu’ils avaient fait la preuve à partir des années 60 de leur insuffisance au regard des enjeux nouveaux de la société. C’est, sauf erreur ou oubli, la première fois depuis les premiers pas de la rénovation de l’école à la fin des années 60 qu’un président s’adresse de cette manière aux enseignants et décrit sa vision de l’école ». Pierre Frackowiak analyse pour les lecteurs du Café la lettre du président aux enseignants et y trouve quelques aspects positifs.
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/070907Lalettree[…]
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2007/09/05092007Accueil.aspx
La rentrée et ses problèmes selon P. Meirieu
» Si l’on regarde de près ce que suggère le gouvernement et que l’on prolonge les pointillés, le but est clair : imposer à l’ensemble du système éducatif français le modèle de l’enseignement privé sous contrat. Par quoi se caractérise, en effet, un établissement privé sous contrat ? Pas d’astreinte à la carte scolaire, une plus grande autorité du chef d’établissement, des libertés d’embauche de personnels sur budget propre, une « culture d’établissement » plus forte, un souci de se positionner face à la concurrence et, de plus en plus, une nostalgie à l’égard des cérémoniaux traditionnels, du port de l’uniforme, de la distribution des prix, etc. Évidemment, il ne s’agit pas de condamner en bloc tout ce que fait l’enseignement privé sous contrat… Mais, de là à en faire le modèle de fonctionnement du système… il y a un pas, un abîme à vrai dire : l’abandon du modèle de l’école républicaine ! » Philippe Meirieu analyse sur son site les enjeux de la rentrée.
http://www.meirieu.com/nouveautesblocnotes.htm
Pour l’OCDE l’Ecole française est trop inégalitaire et pas assez efficace
L’OCDE demande plus d’autonomie et de concurrence dans le système éducatif français. Comment améliorer la performance du système éducatif français ? L’Ocde, sous la plume de Paul O’Brien, relève ce qu’elle estime être des faiblesses du système éducatif français. « Certains aspects du système éducatif – la carte scolaire et une affectation des enseignants centralisée, par exemple – sont manifestement conçus pour tenter d’imposer l’égalité de traitement. Les travaux que nous avons cités suggèrent que la France, du moins comparée à un petit nombre d’autres pays, ne fait pas beaucoup mieux que les autres pays pour limiter la transmission des inégalités. D’autres facteurs, le fait que l’on tolère l’existence de lycées d’élite, les ressources consacrées aux classes préparatoires, l’importance attachée au classement des étudiants dans des établissements où seule une infime proportion d’étudiants peut être admise , projettent l’image d’un système dont la motivation est de repérer, puis de privilégier la minorité qui réussit. »
L’organisation reconnaît la position médiane de la France dans l’Ocde pour les dépenses éducatives. Mais elle s’inquiète de trois faits. La formation des enseignants lui semble insuffisamment pédagogique, le redoublement est trop important enfin les établissements manquent d’autonomie. P. O’Brien croit en effet dans l’impact positif de la mise en concurrence des établissements.
Par suite, l’organisation recommande le droit pour le chef d’établissement de choisir ses enseignants et une clarification en ce qui concerne la carte scolaire.
http://www.olis.oecd.org/olis/2007doc.nsf/43bb613[…]
Education : la France fait-elle le bon choix ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2007/r2007_[…]
Des rentrées ailleurs
R.D. du Congo : Rentrée perturbée
« Aucune silhouette bleu blanc dans les rues de Kinshasa » écrit Le Potentiel, un quotidien congolais. La rentrée n’a pas eu lieu comme prévu du fait de la grève des enseignants. Ils demandent une augmentation de salaire que le gouvernement semble incapable de payer.
D’autant qu’une solution commode le tente, bien que, officiellement, le gouvernement congolais ait décidé la gratuité de l’enseignement à partir de cette rentrée : faire payer aux parents les « frais de motivation », des droits d’écolage qui complètent la paye des maîtres.
En attendant, un enfant sur trois n’est pas scolarisé (un taux plus élevé qu’en 1991). Seulement 39% des écoliers finissent les 4 années du primaire. Un adulte sur trois est analphabète. Nombre d’écoles sont dépourvues de bancs et de tables. Pire encore, des écoles publiques n’ont jamais eu de titre de propriété ce qui incite d’autres administrations à occuper leurs terrains.
http://fr.allafrica.com/stories/200709040264.html
http://fr.allafrica.com/stories/200708310013.html
http://stats.uis.unesco.org/unesco/TableView[…]
Cameroun : Les écoles explosent
« Nous avons 5000 élèves pour 50 salles de classe. Une moyenne de 100 élèves par classe alors que les textes prévoient 60 par classes. C’est très difficile de gérer cet effectif ». Ce proviseur n’et pas seul dans ce cas. Dans tout le pays la rentrée est difficile. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.
Le Cameroun promet la gratuité de l’enseignement primaire ce qui a fait gonfler le nombre d’élèves. Et les mauvaises conditions de travail font que le taux de redoublement est énorme.
Article de Cameroon Tribune
http://fr.allafrica.com/stories/200709050883.html
Effectifs : Article de Cameroon Tribune
http://fr.allafrica.com/stories/200709050873.html
Suisse : Les cantons harmonisent leurs systèmes éducatifs
Adopté par referendum en mai 2006, le plan d’harmonisation des systèmes éducatifs suisses franchit une nouvelle étape avec un accord entre cantons. Le « concordat de collaboration intercantonal » fixe les grands principes de cette harmonisation, précise Le Temps.
L’école suisse commencera partout à 4 ans. Le primaire durera 8 ans. Il sera suivi de 3 ans de secondaire obligatoire. Des contenus précis d’enseignement et des tests communs seront définis d’ici 2008. L’harmonisation complète sera terminée en 2014. Les cantons n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les langues étrangères étudiées entre partisans de l’anglais et des langues nationales suisses.
Article du Temps
http://www.letemps.ch/template/regions.asp?page=7&article=209468
Le programme Harmos
http://www.cdep.ch/f/CDIP/Geschaefte/framesets/mainHarmoS_f.html
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/2006/europe[…]
Mali : Quand un président se penche (trop) sur l’Ecole…
« Contractez ce texte en environ 1000 caractères ou 139 mots ». L’exercice paraît bien classique. Il va pourtant conduire, le 14 juin, Bassirou Kassim Minta, professeur au lycée Nanaïssa Santara de Bamako, directement en prison. Un lieu où un journaliste et quatre directeurs de journaux l’ont suivi.
Evidemment tout est dans le sujet. Le texte à contracter raconte l’histoire d’un président de la République qui engrosse sa maîtresse, une jeune étudiante, et exerce des pressions pour qu’elle avorte.
Allez savoir pourquoi ! Il se trouve que le président de la République malienne s’est reconnu dans ce personnage peu reluisant. Le professeur, puis le journaliste qui a fait connaître ce fameux devoir, puis son directeur qui l’a laissé publier l’article, puis trois autres directeurs de journaux qui ont osé aborder ce sujet, tous sont maintenant sous les verrous accusés « d’offense et complicité d’offense au chef de l’Etat ».
Le dernier épisode a eu lieu le 21 juin : le président de l’Union des journalistes d’Afrique de l’Ouest, Ibrahim Famakan Coulibaly, a été agressé par la police malienne durant une manifestation pour la défense de la liberté de la presse et hospitalisé.
Le président A. A. Touré a décidément une façon prometteuse de commencer son mandat (il a été élu en avril dernier). L’association Reporters sans frontières demande la libération des journalistes et du professeur. Beaumarchais reste immortel : « Pourvu que je ne parle ni de l’autorité, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, je puis tout imprimer librement, sous la direction, néanmoins, de deux ou trois censeurs ».
L’article qui a tout déclenché
http://www.rsf.org/IMG/pdf/Info-Matin_-_Article_SOD.pdf
http://www.maliweb.net/category.php?NID=19569
Sur le Café, un rappel d’un événement français…
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2006/10/index1010[…]