Par Jean-Pierre Meyniac et François Jarraud
Wikipedia, ou l’histoire sans historien
« Un travail historique sans propriétaires et avec de nombreux et anonymes auteurs est quelque chose d’inimaginable pour notre culture professionnelle… Pourtant en quelques années, Wikipedia est devenu le plus important travail d’écriture historique en ligne, le plus lu de tous les travaux historiques en ligne et la plus importante ressource historique sur le web ».
Dans un article du Journal of American History, Roy Rosenzweig, George Mason University, analyse l’impact de Wikipedia sur le rapport à l’histoire des Américains et des chercheurs. Wikipedia est-il une bonne source historique ? Bien sûr, puisque tout le monde peut y écrire, l’encyclopédie en ligne brasse des erreurs parfois grossières, parfois issues du vandalisme. Et les efforts faits par l’encyclopédie pour y remédier n’arrangent pas toujours les choses. Ainsi R. Rosenzweig a beau jeu de montrer que les règles éditoriales élaborées par Wikipedia (chercher la neutralité, interdire les polémiques) renvoient à une conception arriérée, voire naïve, de l’Histoire. Cela encourage l’histoire la plus conventionnelle et la plus factuelle. Et c’est aggravé par l’absence de transparence dans les droits éditoriaux. Wikipedia souffre aussi, selon R. Rosenzweig, de graves distorsions qui sont autant de fautes historiques. Les gens y écrivent sur les sujets qui les intéressent. Ainsi l’article sur le politicien Lyndon LaRouche compte deux fois plus de mots que celui sur Woodrow Wilson. Des personnages très secondaires ont de copieux articles dans Wikipedia alors que des pans entiers de l’histoire ne sont pas traités.
Faut-il condamner Wikipedia ? R. Rosenzweig ne le pense pas. « Les professeurs n’ont pas plus à craindre d’étudiants commençant un travail avec Wikipedia qu’avec n’importe quelle autre source classique. Ils ont beaucoup à craindre d’étudiants qui s’arrêteraient à Wikipedia » rappelle-t-il. Pour lui, Wikipedia s’oppose à la confiscation de l’Histoire par les états autoritaires, assure une liberté d’expression en Histoire et permet la construction d’une histoire populaire. Alors les historiens doivent-ils seulement contempler le phénomène depuis l’Olympe universitaire ? Ce n’est pas l’avis de R. Rosenzweig. Pour lui Wikipedia offre un outil d’édition qui permet un retour sur investissement pour les citoyens. Puisqu’ils financent par leurs impôts l’édition historique pourquoi n’auraient-ils pas accès gratuitement au savoir historique ? Il invite donc les universitaires à s’emparer de l’outil et à construire collectivement un manuel d’histoire ou des recueils de documents historiques. Un beau projet qui pourrait se heurter à une des clauses éditoriales de Wikipedia : si les spécialistes sont officiellement bien venus, Wikipedia interdit les approches originales. Difficile de faire de l’Histoire sans historien.
Article du JAH
http://chnm.gmu.edu/resources/essays/d/42
Daniel Letouzey entretient une série de pages et de liens sur les débats qui agitent la collectivité des historiens et des enseignants. Vous en saurez plus, beaucoup plus !
http://clioweb.free.fr/debats/wikirr.htm
http://clioweb.free.fr/debats/wikirr2.htm
Enseigner les questions sensibles
« L’historien affronte en permanence le danger » écrivait Marc Bloch. Le même Marc Bloch se souvient d’un mot « étonnant » que prononça son maître, Charles Seignobos : « Il est très utile de poser des questions, mais très dangereux d’y répondre ». C’est dire que les sujets difficiles ont toujours existé, qu’ils changent d’une époque à l’autre et d’un pays à l’autre. L’histoire est une discipline subversive ». En décembre 2005, André Kaspi a ouvert le séminaire national « Quelles pratiques pour enseigner des questions sensibles » en rappelant le caractère sensible de l’enseignement de l’histoire. Les actes de cet important colloque sont maintenant publiés par EduScol.
Car si l’historien a toujours du se garder de choquer, « il n’empêche que la question revêt aujourd’hui une acuité particulière ». André Kaspi relève « trois sujets difficiles » : la religion, les Etats-Unis et la Shoah. Une enquête réalisée par l’APHG confirme ces thèmes auxquels elle ajoute la colonisation et le Proche Orient. L’enquête apporte de nombreux témoignages qui montrent la montée des extrémismes dans certaines régions (région parisienne, sud-est) et particulièrement la progression de l’antisémitisme.
Que faire ? Les actes invitent le professeur à maintenir le programme et à éveiller la réflexion et l’esprit critique. Malheureusement l’enquête met aussi en évidence le manque de fermeté de l’administration ici ou là…
Les actes :
http://eduscol.education.fr/D0217/questions_sensibles_actes.htm
Rappel : comptes-rendus signalés par le Café 72
http://cafepedagogique.studio-thil.com/disci/histoire/72.php
Enseigner les sujets controversés, l’ECEHG
« Les objectifs de ECEHG sont d’élaborer des réponses à un problème mal identifié dans la recherche en éducation et porteur d’une demande sociale croissante : comment transmettre une connaissance objectivée des drames du dernier demi-siècle (colonisation, Shoah, première guerre mondiale…), sans éluder leurs dimensions subjectives (mémoires meurtries, et éventuellement en concurrence) ? » L’équipe de l’ECEHG propose des ressources sélectionnées et des mises au point sur certains sujets : colonisation décolonisation, histoire de l’esclavage, histoire de l’immigration, déportation et extermination, génocide arménien, communismes. Une adresse à retenir.
Enjeux contemporains de l’enseignement en histoire-géographie