Par Gilles Badufle
Avec la « Suite portable Hist-Géo », Gilles Badufle, professeur d’histoire-géographie en Normandie, offre à ses collègues un outil adapté à leurs pratiques, gratuit et copiable, un véritable bureau portatif. La Suite c’est aussi l’exemple d’une édition électronique spontanée venue du terrain. Est-elle susceptible de changer les pratiques dans la classe ? Comment est-elle perçue par l’institution ?
Comment en êtes-vous arrivé à concevoir cette clé ?
La généralisation des clés USB s’est accompagnée d’une chute des prix avec des capacités croissantes, aussi le succès a-t-il été rapide: quel enseignant, quel élève, ayant un ordinateur, ne possède pas au moins une clé ? Si, en quelques mois l’usage de clé USB pour stocker son travail s’est banalisé, simultanément le développement de programmes portables l’a transformée en un outil polyvalent pour utilisateur nomade, et donc, les enseignants l’ont vite appréciée et adoptée. Le système propriétaire U3 mis en place par les grands groupes a été délaissé au profit de systèmes ouverts, orientés vers le libre ou le gratuit.
C’est ainsi qu’après avoir dans le passé conçu le cédérom, la « Boîte à outils du Prof Hist-Géo », j’ai envisagé de créer l’équivalent sur une clé, fallait-il encore trouver le « lanceur » idéal… après divers tests, le système mis au point par Bruno Ploteau « Le Bureau de Poche » m’a séduit. J’ai pu lancer en novembre 2006 une adaptation nommée le « Bureau de Poche du Prof Hist-Géo » qui a eu un franc succès (plus de 30000 visiteurs en 7 mois, et le site Clubic annonce, de son côté, 4440 téléchargements). Cette clé a aussi été l’occasion d’ échanger avec de nombreux collègues de tous les horizons.
Quels outils et ressources trouve-t-on ? Sur quels critères les choix sont-ils faits ?
La nouvelle clé « Suite Portable Hist-Géo » a été développée suite à l’évolution du lanceur du bureau de poche, à l’origine freeware, vers un produit en shareware (Feather Office). Je ne souhaitais pas continuer dans cette direction pour ce type de réalisation pédagogique puisque l’essentiel du contenu est lié à d’autres applications gratuites. Le nouveau produit qui reprend et enrichit l’ancien est désormais basé sur un lanceur « libre » (ASuite) ce qui garantit sa pérennité.
Toutefois la « Suite Portable Hist-Géo » n’est pas sous licence libre au sens traditionnel mais sous licence CCC qui en interdit la vente. En effet, j’ai eu dans le passé avec Cart’OOo, quelques problèmes avec un éditeur privé qui a tenté de l’exploiter commercialement, aussi ai-je dû verrouiller cet aspect via une licence CCC, ce que certains ayatollahs du libre me reprochent parfois d’autant que la clé comprend des produits diversifiés : libres, freewares et même en version « démo ». Le choix des logiciels s’est fait à partir d’une stricte sélection, basée sur mes usages et expériences personnels ; il a donc porté sur des logiciels usuels, standards, indispensables, simples d’utilisation, en français… en un mot, les « meilleurs » ! Aussi trouve-t-on des dizaines de logiciels classés, de la suite bureautique aux divers utilitaires (lecteur multimédia, retouches d’images …). Il n’a pas été question de réaliser une compilation exhaustive : est présent, tout ce qui est indispensable au quotidien, les logiciels trop pointus ou spécifiques ayant été volontairement écartés ; de toute façon, chacun peut facilement modifier la clé et y ajouter les logiciels de son choix. La « Suite Portable Hist-Géo » s’adresse à un large public et non pas à des spécialistes.
La clé étant orientée vers l’histoire-géographie, le choix des outils disciplinaires a été très restreint puisque d’une part, ils sont rares, et, d’autre part, peu répondent aux nécessités d’une clé : être « portable » (sans installation, léger et gratuit !). Il s ‘agit donc des outils OOo.HG (Atlas’OOo, Cart’OOo et Chron’OOo), de quelques logiciels de cartographie, et de rares logiciels histoire et géographie. Toutefois trois logiciels, conçus par des collègues enseignants, et reconnus pour leur excellente qualité pédagogique sont présents sous forme de « Démo » : ils sont complètement fonctionnels, seul le nombre de cartes est limité. A noter que l’achat d’une seule licence (à coût modéré) suffit pour un établissement et ses enseignants, cette clé permettra de tester efficacement ces produits. Pour compenser la raréfaction des logiciels disciplinaires, un accès direct vers des produits en ligne, essentiellement de cartographie, a été conçu ; cette nouvelle orientation semble prometteuse avec l’essor du Web 2. Seuls, sont bien représentés, les logiciels « Jeux de localisation », car ce sont des produits gratuits largement diffusés ainsi que la rubrique « Animation » avec des animations pédagogiques de type Flash hors ligne ou en ligne.
Une rubrique intitulée « Pédagogie » propose des logiciels simples permettant de créer des « minibooks » et divers « exercices interactifs ». A partir du Menu de la clé, sont accessibles, des ressources disciplinaires classées thématiquement, mais limitées aux 80 « essentiels » incontournables ; à noter qu’ils sont aussi pré-positionnés dans le marque-pages du navigateur Firefox de la clé. Un espace de travail « Mes documents » est présent pour stocker ses propres données avec une association automatisée des fichiers avec les logiciels présents sur la clé.
Il ne s’agit donc ni d’une apologie du libre, ni d’une volonté de promotion du libre, d’ailleurs la clé est avant tout conçue pour fonctionner sur un ordinateur windows ! La clé est, en fait, un concentré des réalisations et conceptions de tous ceux qui souhaitent partager leur création, mis à la disposition de tous. Certes, elle incite à l’utilisation de produits libres, telle la suite OpenOffice, mais qui s’en plaindra ? Ni les élèves qui peuvent utiliser gratuitement la même suite complète à la maison comme dans l’établissement, ni les comptables qui feront de substantielles économies, ni les responsables réseaux qui respecteront la légalité des licences… seuls ceux qui refusent de changer leurs habitudes grinceront des dents avant de s’y faire très vite.
Comment se situe cette clé face aux autres productions?
Par ailleurs d’autres clés orientées éducation se sont développées : telle, en précurseur, la clé libre Framakey, et sa version quasi identique, avec label Éducation Nationale, « Clé en main », non téléchargeable sur le site du CRDP de Paris, et donc … payante (35 € la clé de 512 mo !). Celle-ci n’ a pas été retenue en raison d’une part de sa restriction d’origine aux produits exclusivement « libres » alors que d’excellents freewares existent, et, d’autre part, en raison de la relative complexité des modifications à réaliser pour la transformer et la faire évoluer.
Également le MEN a organisé une vaste opération de prestige et de communication en proposant aux seuls nouveaux enseignants (Plc3) une clé de 2 Go dont le contenu est basé sur des ressources éducatives « officielles & institutionnelles », certaines « payantes » en liaison avec les éditeurs privés et donc, un abonnement gratuit est offert, mais pour un an seulement (parfois limité en nombre de téléchargement). Six mille clés, pour trois disciplines dont l’histoire-géographie, ont été distribuées en février pour un budget d’1 million d’Euros (soit 166 € la clé) alors qu’il s’agit essentiellement de liens internet que l’on aurait pu mettre, très simplement, sur un portail à disposition de tous… et pour un coût beaucoup moins élevé. En fait, il s’agit, indirectement, d’inciter les jeunes collègues à utiliser des ressources en ligne, privées et payantes, afin d’abonner leurs établissements. Une sorte de promotion pour les éditeurs qui auraient « proposé des conditions commerciales exceptionnelles » .
Cette clé n’est donc pas accessible en téléchargement ; elle n’offre aucun lien vers les sites éducatifs de collègues ou associatifs, alors qu’ils sont les plus dynamiques et ne présente aucune ressource « libre ». En effet, le MEN n’a pas encore choisi la voie du logiciel libre contrairement à la Gendarmerie, l’Assemblée Nationale, le Ministère de la Culture, la Direction des impôts, le Ministère de l’Agriculture, la Région Bretagne, … Dommage et incompréhensible ! Audit et évaluation nous sembleraient indispensables pour mesurer d’une part le coût réel de cet engagement exclusif vers les produits commerciaux, et, d’autre part, les choix contestables vers des solutions peu efficaces (une Clé sans outils !) ou touchant une toute petite minorité de collègues (images satellitaires surévaluées par la SDTice qui y consacre l’essentiel alors que les priorités des enseignants de base sont ailleurs). L’économie ainsi faite devrait permettre une vraie relance de l’usage pédagogique des Tice, vers tous les professeurs, avec de réels moyens, entre autres, pour former les enseignants : c’est une nécessité.
Il n’existe pas de concurrence entre la « Clé du Men » et la « Suite Portable Hist-Géo » tant les produits sont différents dans leur concept et finalité. La clé du Men est une collection (parfois confuse) de ressources officielles accessibles en ligne et de produits d’éditeurs privés parfois anciens (labellisés Rip), sans outils pour les exploiter, l’ensemble étant uniquement mis à disposition des nouveaux enseignants. A l’opposé la « Suite Portable Hist-Géo » est ouverte à TOUS les enseignants, (mais ausssi aux étudiants, élèves…) librement téléchargeable, très simple à utiliser et facile à enrichir. Et surtout, c’est un produit « indépendant », ouvert, orienté à la fois vers des outils logiciels libres et freewares, et vers des ressources pédagogiques très variées (y compris officielles). Rien n’est exclu.
Aussi, quelles sont les réactions de l’Institution ?
Dans ce contexte spécifique où le hasard m’ a fait publier une clé gratuite et ouverte avant que le MEN ne réalise son opération médiatique, l’Institution ne pouvait que s’en désintéresser avec dédain. Rien d’étonnant puisque traditionnellement, les productions réalisées par des collègues (par exemple les remarquables logiciels Wincarto de JM Bonnefoy, Cartes et Croquis de S Genevois et OpenOffice Hist-Géo, mais aussi tous les sites web d’enseignants et associations) sont systématiquement ignorées : pour les responsables du MEN, un enseignant ne peut concevoir un produit pédagogique de qualité, seules, les grandes maisons d’édition ou les organismes officiels en seraient capables… d’ailleurs le Ministère parle de » garantie pédagogique » de « contenu de qualité » pour sa clé « validée par l’Inspection ».
Ainsi, l’Institution n’a jamais valorisé, en histoire-géographie, les réalisations pédagogiques privées des enseignants, pourtant, certaines sont devenues aujourd’hui des incontournables sur la toile … Nonobstant, les concepteurs n’ont jamais rien demandé à l’institution, le succès de leur réalisation auprès des collègues, obtenu par le bouche à oreille démultiplié par le net, est un gage de qualité pédagogique ; une reconnaissance officielle n’aurait rien apporté de plus.
Si officiellement l’Institution se voile les yeux en s’enfermant dans son carcan, en fait, elle se montre agacée par le succès des productions conçues par des enseignants de base. Toutefois, quelques IG et IPR qui ont pu en mesurer et apprécier l’efficacité sur le terrain, sont convaincus de leur intérêt et de leur nécessité mais le font savoir… officieusement.
Quels usages et pratiques de cette clé ?
La clé est avant tout un outil pour les utilisateurs nomades : l’enseignant passe de salles en salles, voire d’un établissement à un autre, il travaille aussi bien dans « la salle des profs » qu’à son domicile et l’ordinateur portable n’ a pas encore remplacé le cartable ! Aussi la clé permet-elle, en tout lieu, à la fois de stocker et de créer (ou modifier) ses documents pédagogiques avec ses outils personnels, indépendamment des ordinateurs utilisés. C’est une avancée considérable qui facilite et simplifie le travail quotidien, c’est pourquoi la première version était nommée ‘Bureau de Poche du Prof « . Toutefois l’usage en classe, devant les élèves, est lié à la présence d’un ordinateur portable et d’un vidéoprojecteur, ce qui est encore loin d’être généralisé puisque bien souvent ce matériel nécessite dans les établissements réservation à l’avance ce qui n’est pas l’idéal.
D’abord et avant tout, l’enseignant va pouvoir stocker ses cours qu’il pourra, n’importe où, modifier avec les outils de la clé. Le collègue plus expérimenté avec les Tice pourra enregistrer ses documents multimédias pour les intégrer, ou mieux, pour les transposer en « minibook « , en « exercices interactifs », en pages web, la clé devenant ainsi à la fois une base de données pédagogiques, et, une sorte de mini ENT personnel particulièrement convivial et pratique. Elle est aussi le moyen privilégié qui permet l’accès aux ressources pédagogiques incontournables pré sélectionnées et, surtout, elle offre les outils qui permettent d’exploiter véritablement l’immensité des ressources ou du moins de les récupérer facilement pour illustrer un cours. Tout son, vidéo, photo, animation est directement exploitable via la clé, y compris les ressources payantes en ligne des éditeurs privés. Mais, c’est aussi une possibilité d’ utilisation « personnelle » qui dépasse le cadre professionnel (mail, messagerie instantanée…), c’est pourquoi elle est ouverte (ajout de logiciels) et que l’aspect détente n’est pas oublié… (télévision en ligne, musique, vidéo, jeux…)
La clé ne révolutionne rien, elle facilite les usages de ceux qui utilisent couramment les tice et devrait inciter les autres collègues à faire de même puisque l’environnement logiciel est désormais préconfiguré, personnalisé et stable : les manipulations étant simplifiées et réduites, l’outil devient rassurant. C’est donc l’aspect efficacité/simplicité qui demeure son atout principal et qui devrait influer sur les pratiques de enseignants.
Quel est son avenir ?
La « Suite portable Hist-Géo » devrait connaître des évolutions régulières mais peu fréquentes (1 à 2 fois par an) en fonction des mises à jour et des nouveautés logicielles. Également, est envisagée, la mise en place d’ une procédure simplifiée de sauvegarde et restauration.
Il semblerait souhaitable que ce type de clé s’ouvre d’une part à toutes les disciplines et d’autre part aux élèves. Une très simple adaptation serait nécessaire (supprimer quelques produits et en ajouter d’autres), mais il faut trouver les bonnes volontés et les logiciels disciplinaires gratuits idoines, rien de rédhibitoire d’autant que la clé est ouverte, sa licence CCC autorise une transposition. De plus, toutes les indications pour modifier et améliorer la Suite Portable Hist-Géo » sont détaillées sur son site web (rubrique « Aide »).
La prospective est toujours délicate, toutefois, il semble que l’avenir des clés USB pour ce type d’utilisation soit limité. En effet, l’évolution récente montre une nette orientation vers les produits et les stockages directement en ligne. Espérons que le libre et gratuit y trouvent pleinement leur place.
En attendant que chacun profite pleinement d’un outil gratuit librement téléchargeable, la « Suite portable Hist-Géo », y compris pendant ses vacances!
Gilles Badufle.
Entretien : F. Jarraud