Il faut enseigner la Grammaire ! Encore faut-il savoir ce que c’est… et à quoi ça sert…
-> Page2 : Les interventions des spécialistes Compte-rendu de la journée de l’ONL (Observatoire National de la Lecture)
Patrick Picard
Le ministre lit-il les programmes le matin au déjeuner ? Ouvrant, le 8 mars, les travaux de l’Observatoire de Lecture (dont le silence a été assourdissant depuis l’ouverture de la polémique autour de la circulaire ministérielle sur la lecture), il a fait une brève mais fracassante déclaration sur la suite du chantier. « Vos travaux doivent déboucher sur des décisions concrètes dans l’intérêt des élèves« . Après avoir une nouvelle fois justifié ses actes sur la lecture, le ministre a visé le thème du jour : « il ne peut y avoir d’expression sans maîtrise préalable des règles d’orthographe« . Il est selon lui « illusoire » d’en faire l’économie, « car c’est la formation même de la pensée qui est en jeu« . La partie « Observation réfléchie de la Langue » (ORL) des programmes de 2002 est une idée « intéressante« , mais il faut absolument l’accompagner d’un « apprentissage systématique, progressif et exhaustif des conjugaisons et des règles de la grammaire« . Le débat lancé par le ministre est resté en filigrane de la journée, sans toutefois émerger formellement. Pourtant, le débat sur l’ORL agite la profession : la salle était pleine, et plusieurs centaines d’inscrits n’avaient pu avoir leur sésame pour la journée… Le matin, consacré à l’intervention de quatre spécialistes de la question, fut occupé à faire le point des connaissances scientifiques sur la question (voir en seconde partie d’article). L’après-midi, devant traiter des difficultés rencontrées sur le terrain, commença par une douche glaciale avec la présentation des résultats d’une étude menée par Danièle Manesse sur 30 000 élèves de 25 secteurs de collèges : en 20 ans, les erreurs que les élèves font face à une dictée » classique » de 83 mots ont considérablement augmenté. Les CM2 qui faisaient 12 fautes en 1987 en font 18 aujourd’hui, les élèves de 3e qui faisaient 8 fautes en font 13 aujourd’hui. Facteur préoccupant, la part des erreurs de conjugaison et d’accords dépasse la moitié, et les élèves de ZEP semblent ne plus progresser en 6e et 5e. Tentant d’interpréter ces résultats, D. Manesse avança plusieurs facteurs : le temps consacré à l’étude de la langue, le discrédit des pratiques de répétition ou de mémoire, la baisse des normes symboliques dans la société en général (au sens énoncé par Erick Prairat), la baisse du rapport au texte écrit, mais aussi la difficulté des nouveaux enseignants à s’emparer des compétences grammaticales, et les injonctions contradictoires de la société à réclamer tout et son contraire à l’Ecole, la chargeant sans cesse de nouvelles missions en la sommant de n’en abandonner aucune… Martine Safra, inspectrice générale, rebondit sur le « temps scolaire » qui ne cesse de se « réduire », et rappela les ambitions des programmes : pour amener les élèves à comprendre que la langue fait système, il faut qu’ils réfléchissent sur la langue, mais aussi qu’on leur donne des outils. « Les programmes demandent de dégager des régularités, des différences, des règles. Mais il ne faut pas s’arrêter à la découverte : tant en lecture qu’en production d’écrit, il faut structurer, mémoriser, automatiser. On ne baisse pas les exigences, on change de point de vue, on cherche les notions-clés pour écrire : l’identification du verbe et du sujet, l’accord du sujet-verbe, l’accord au sein du groupe du nom… en sont évidemment.« Sylvie Plane, professeur à l’IUFM de Paris, poursuivit sur ces notions-clés à travailler avec les élèves, en demandant de privilégier la rentabilité : avant de travailler les exceptions, travaillons les choses simples et régulières qui structurent l’essentiel des difficultés de l’écrit. « On ne donne pas des listes à apprendre, mais des principes. Cela suppose de changer notre manière « naturaliste » de fabriquer des catégories grammaticales sans les réinterroger. On n’attend pas que les enfants sachent dire ce qu’est un nom pour leur apprendre à parler. Et pour écrire ?« De la salle, l’inspecteur général Jean Hébrard avança une explication : lorsque des gens sensés ne plus être des illettrés utilisent la langue comme le font aujourd’hui les jeunes qui déforment la langue écrite pour l’utiliser, c’est qu’ils se l’approprient. « C’est cyclique dans l’Histoire : on a les lettres des classes populaires qui s’échangeaient avec le front pendant la guerre de 14. Et on voit qu’écrire lorsqu’on en a socialement besoin, ce n’est pas la même chose que répondre à une demande scolaire.« L’avis de la représentante des parents de la PEEP, s’exprimant également au nom de la FCPE, eut le don de ramener la salle au trivial : « Les parents ne savent pas quoi faire pour aider leurs enfants à apprendre, ne comprennent rien, ont recours aux cahiers parascolaires ou aux cours privés. Faites leur plus de place…« Le Café Pédagogique posa une question de la salle : « Les enseignants n’ont pas d’a-priori contre les programmes, mais ne savent pas comment les mettre en œuvre, notamment en ORL ou en production d’écrit. Quelles aides leur donne-t-on pour ces évolutions professionnelles ? Quand sortiront les documents d’application sur l’ORL au cycle III tant attendus ?« . La salle bougea, la tribune aussi… La sortie des documents ? Pas de date à communiquer… M. Trouillet, IEN, et Isabelle Turlan, maître-formateur à Toulouse, engagés dans le travail de terrain, avaient pourtant cité des expériences concrètes à mutualiser dans la formation continue… Se gardant le soin de conclure, Erik Orsenna, président de l’ONL, fit référence à ses rencontres dans les classes, et le message qu’il souhaite y faire passer : « écrire ensemble pour quelque chose d’utile, de doux ou de violent, c’est tellement important, tellement plaisant, comme un trésor, mais tellement rare…« . Plus politiquement, il revint sur la demande du ministre que l’ONL passe au crible les manuels. E. Orsenna annonça vouloir relever le challenge : « Quand vous lisez le programme, vous comprenez ce qu’on demande à l’Ecole. Mais quand vous lisez les manuels, vous ne comprenez pas ce qu’on demande a des élèves de 4e… La mission de l’ONL, c’est d’avoir le débat entre les gens de la recherche et le terrain… La langue, ça bouge. Et quand on se demande « à quoi ça sert », on a forcément raison.«
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Page publiée le 09-03-2006 |