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Faut-il mener 50% d’une génération à un diplôme de l’enseignement supérieur ou la France produit t-elle déjà trop de diplômés ? Le débat est ouvert depuis la publication du livre de Maris Duru-Bellat sur « l’inflation scolaire ». Il est relancé par le rapport du HCEE qui prend partie contre la thèse de la sociologue.
Marie Duru-Bellat, avec François Dubet, dénonce une inflation scolaire qui aggrave les inégalités sociales et qui a décroché de la vie économique. » Aucun pays n’est assez riche pour allouer toutes ses richesses à l’éducation : des arbitrages s’imposent donc, qui rendent nécessaire d’expliciter les finalités recherchées. Si c’est davantage d’égalité entre les jeunes qui est visée, les recherches françaises ou européennes montrent qu’il est sans doute bien plus efficace de mettre en oeuvre des politiques de la petite enfance ou d’aide aux familles, du logement (etc.), que de développer un enseignement supérieur où les plus favorisés savent très bien se réserver les filières les plus rentables. Si c’est l’innovation et la compétition économique que l’on privilégie, alors il faut s’interroger sur ce que «produit» notre enseignement supérieur tel qu’il est : et, dans ce cas, ce n’est plus en termes quantitatifs («plus de la même chose») qu’il faut raisonner, mais en termes qualitatifs (de quels diplômés a-t-on besoin, dotés de quelles compétences ?). Si c’est l’insertion des jeunes qui importe, alors privilégier une réponse en termes de «plus d’école» fait peser sur le système éducatif une responsabilité écrasante et absout par avance le monde patronal pour son manque d’implication dans les questions de formation ». Et on constate en effet que la hausse du PIB n’a pas suivi exactement celle des dépenses en éducation.
Face à ces arguments, les chercheurs du HCEE posent la question de la rentabilité économique et sociale de l’éducation. Et ils rapprochent les analyses traditionnelles sur la rentabilité de l’éducation comme investissement économique du cas particulier de la France tel qu’il est décrit par Aghion et Cohen.
« Dans leur récent rapport Éducation et croissance 8, Philippe Aghion et Élie Cohen distinguent les « économies d’imitation » des « économies d’innovation ». Les premières ont un potentiel élevé d’assimilation des technologies produites ailleurs et doivent investir prioritairement dans les niveaux scolaires favorisant les imitations et la mise en œuvre des nouvelles techniques, à savoir l’enseignement primaire et secondaire. Pour croître, les secondes doivent contribuer à l’innovation technologique et disposer pour cela d’une main-d’œuvre hautement qualifiée et d’activités de R&D. Selon eux, la France qui s’est, jusque-là, en grande partie, contentée d’être une économie d’imitation et d’adaptation, doit désormais se développer massivement par l’innovation. Pour passer du premier au second modèle et être capable de soutenir la croissance économique grâce à l’innovation, elle doit forcément investir dans l’enseignement supérieur. Leur constat est simple : après s’être nettement rapproché du niveau américain au cours des Trente Glorieuses, le niveau de productivité français a cessé de converger à partir du début des années quatre-vingt. Il a même commencé à décrocher depuis le début des années quatre-vingt-dix. Selon eux, cette dégradation renvoie d’abord à une dégradation des indicateurs relatifs à l’innovation ».
Pour le HCEEE, « on peut estimer que la source de croissance du capital économique réside dans l’accumulation illimitée du capital humain et de l’activité de recherche et développement. Dans ce modèle la croissance s’appuie sur l’accumulation des connaissances, sur le développement de la R&D et sur l’innovation. En termes de stratégie internationale, soit la France est innovante et trouve en elle-même ses sources de croissance, soit elle se contente d’imiter et de suivre la croissance américaine et surtout asiatique. Un tel schéma de développement nécessite une mutation de l’enseignement supérieur à tous ses niveaux de formation et demanderait à : augmenter le nombre de diplômés supérieur court (d’où l’intérêt de l’objectif 50 %) ; inciter les poursuites d’études longues et particulièrement de niveau doctoral… Or, en France, le niveau de formation de la population adulte, qui est un des indicateurs de capital humain, se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE, mais derrière les pays du nord de l’Europe ou encore derrière les États-Unis et l’Espagne. De même, les jeunes français de 25-34 ans totalisent un nombre moyen d’années de formation initiale parmi les plus faibles des pays de l’OCDE et la place en vingt-quatrième position sur trente pays (2003) ».
Et le HCEEE appuie ses réflexions sur les récentes prévisions économiques pour affirmer que « les besoins de recrutement de diplômés du supérieur se développeront nettement alors que ceux de niveaux moindres vont continuer de baisser » Pour eux le besoin réel de diplômés du supérieur devrait se situer à 50% plutôt qu’à 46%.
Le débat aboutit donc à deux visions différentes pour la France. Les experts du Centre d’analyse stratégique (Marc-Antoine Estrade), proches du premier ministre, ont récemment dressé le portrait d’une France quasi immobile en 2015. Stabilité du taux d’accès au bac et dans le supérieur, recrutement massif de personnes peu qualifiées (aides à domicile (+ 200 000), aides soignants (150 000), d’employés administratifs (+ 100 000), de personnels de manutention (+ 92 000), d’employés de maison (+ 80 000). Le taux de chômage des bacs +2 et +3 serait de 2% en 2015, celui des bacheliers de 21%, 25% des cap-bep et 56% des sans diplôme ou BEPC. Une vision bien différente de celle du HCEEE.
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