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Les solutions mixtes, avenir des FOAD
Entretien avec Viviane Glikman BD- Votre dernier ouvrage « Des cours par correspondance au « e-learning », paru aux PUF ces jours-ci, propose un panorama des formations ouvertes et à distance. Pouvez-vous, dans un premier temps, nous dire si finalement ces changements de termes assez récents sont le reflet de véritables changements en éducation et en formation ? Alors qu’on peut apprendre à distance depuis un siècle et demi, c’est récemment, en effet, au cours des dernières décennies, qu’on observe une accélération des changements dans le vocabulaire utilisé pour désigner l’ensemble des modalités pédagogiques qu’on peut regrouper schématiquement sous le vocable » FOAD « , abrégé de » formations ouvertes et à distance » (je préfère employer le pluriel pour marquer la variété des dispositifs concernés). Ces changements recouvrent, à n’en pas douter, des modifications de la réalité, à différents niveaux. D’abord, on peut noter que ces changements sont souvent dus à l’apparition sur le marché, elle-même accélérée, de technologies chaque fois dites » nouvelles « , auxquelles recourent les dispositifs de formation à distance. Ainsi, les cours par correspondance du XIXe et du début du XXe faisaient exclusivement appel à des supports écrits et, comme leur nom l’indique, au courrier postal. Les formations multimédias, qu’on a d’abord appelées » multi-médias » (avec un tiret), multipliaient les supports (écrit, radio-télévision et vidéo, puis informatique, télématique, téléphone pour le tutorat, etc…). Le » e-learning « , quant à lui, dans lequel le » e » renvoie à des médias électroniques (comme dans » e-mail » ou » e-business « ) est né très récemment avec le recours aux réseaux Internet et Intranets… et je passe ici quelques épisodes. Ces évolutions sémantiques recouvrent aussi, parfois, une volonté, de la part des opérateurs ou des politiques, de modifier l’image de marque de l’offre éducative correspondante. Par exemple, on note le passage fréquent du terme » enseignement à distance « , qui se réfère au point de vue de l’organisme et des détenteurs du savoir qui » enseignent » et se trouve ainsi connoté d’une image institutionnelle, au terme » formation à distance » qui (pour reprendre une formule de France Henri dans Le Savoir à domicile, en 1985) « recouvre sémantiquement les concepts de l’enseignement à distance et de l’apprentissage à distance », « englobe les deux temps du processus éducatif » et les « traite de façon dynamique ». De manière générale, parler de « formation » à distance au lieu d’ « enseignement » à distance impliquerait une évolution vers une prise en compte du point de vue des apprenants… peut-être plus volontariste qu’effective, dans certains cas. Enfin, l’introduction de la notion » d’ouverture » de la formation, dans le contexte français, correspond notamment à la difficulté de faire reconnaître, dans le contexte législatif de la formation professionnelle continue, la formation entièrement à distance, dans laquelle le temps consacré aux activités d’apprentissage est peu contrôlable, et par conséquent à difficile à comptabiliser au titre de la loi. L’alternance de séquences en » présentiel » (stages ou autoformation plus ou moins assistée dans un lieu dédié à la formation) et de séquences à distance contourne en partie cette difficulté, mais conduit dans le même temps à insister sur la » flexibilité » du dispositif, terme (ici encore) valorisant et qui laisse imaginer une centration sur l’apprenant, parfois davantage invoquée que réelle. Quant aux changements pédagogiques, c’est une autre histoire. Les technologies de l’information et de la communication sont trop souvent investies du pouvoir magique de transformer, par leur seule existence, des modes de connaissance et des rapports à la formation dont elles ne sont qu’un instrument parmi d’autres. Or, ces outils ne sont, en eux-mêmes, porteurs que de changements techniques. Ils peuvent, certes, favoriser un renouvellement des pratiques pédagogiques (je dis bien favoriser et non susciter), mais à condition que celui-ci soit souhaité par les opérateurs de la formation et les formateurs eux-mêmes – quant aux apprenants, on leur demande rarement leur avis. Seule une volonté de transformation de la relation formateur/formé et du rapport au savoir peut permettre aux technologies de « révolutionner » la pédagogie – ce qui peut aussi se faire sans elles. Il n’en reste pas moins que les potentialités du » e-learning « , grâce aux réseaux, sont immenses, notamment pour contribuer à faire vivre des communautés éducatives d’apprenants et de formateurs à distance, à entretenir des relations interpersonnelles et à activer le » lien social » indispensable à tout processus d’apprentissage. Les technologies précédentes ne le permettaient pas ou mal, et c’est une avancée très importante. Encore faut-il que ces potentialités soient utilisées de manière adaptée aux publics et que leur complexité ne décourage pas les moins armés face aux outils et aux modes d’expression écrite qu’ils requièrent. BD- Pensez vous que la formation initiale et continue des enseignants puisse intégrer davantage de « FOAD » dans les années à venir ? Toutes les formations pourraient intégrer davantage d’activités d’autoformation assistée, à distance ou sur site, les formations continues comme les formations initiales, qu’il s’agisse ou non de celles des enseignants. Il est notamment intéressant de former à distance des personnes qui auront ensuite à intervenir dans des formations à distance, de sorte qu’elles découvrent » de l’intérieur » la situation d’un apprenant à distance. Trop d’enseignants à distance connaissent mal les publics auxquels ils s’adressent et les difficultés de la situation d’apprentissage à distance (sentiment d’isolement, difficultés à organiser son temps et ses activités, à gérer sa vie d’étudiant en même temps que sa vie familiale et professionnelle, exigence d’une autonomie qui ne va pas toujours de soi, etc.). La vraie question consiste à s’interroger sur les raisons qui conduisent à introduire la distance, ou la flexibilité des formations ouvertes, dans un dispositif de formation. Le plus souvent, il s’agit de faire des économies, économies de locaux, économies d’enseignants. Or, chaque fois que les technologies ont été convoquées dans cette unique perspective, on s’est aperçu que » ça ne marchait pas « . Aux Etats-Unis, par exemple, le tout » e-learning « , largement adopté dans un souci de rentabilité, s’est avéré particulièrement peu efficace et l’engouement qu’il a suscité commence à refluer. A l’université, on s’aperçoit peu à peu que les formations » ouvertes « , alternant présentiel et distance, celles que Maryse Quéré a appelées » sur-mesure « , ne peuvent répondre aux besoins des étudiants qu’à la condition d’y introduire une forte composante de présentiel et, lors des séquences en autoformation, un soutien tutoral significatif. Si l’on ajoute à cela la nécessité de fabriquer des produits pédagogiques multimédias bien étudiés et régulièrement actualisés, il n’est pas certain que les économies attendues se réalisent. Ce qui compte, en effet, si on veut que les formations ouvertes et à distance participent à la démocratisation de la formation, c’est-à-dire la rendent accessible au plus grand nombre et en excluent le moins possible, c’est de s’attacher avant tout, au-delà des supports techniques et des produits didactiques, à tout ce qui constitue l’efficacité du service de formation et, notamment, à l’accompagnement des apprenants. Cela, c’est sans doute ce qui coûte le plus cher et tous les opérateurs ne sont pas disposés à en tenir compte autant qu’il le faudrait. BD- La FOAD se développe essentiellement dans le monde de la formation des adultes, pensez vous qu’elle ait une possibilité de développement dans le monde de l’enseignement scolaire ? La formation a distance existe déjà, dans l’univers scolaire, avec les cours destinés aux élèves du primaire au secondaire, dans l’incapacité de se déplacer (malades, handicapés) ou résidant loin d’un établissement d’enseignement, en particulier à l’étranger. Elle peut aussi avoir un rôle de soutien scolaire pour des élèves qui vont à l’école, mais qui, en difficulté dans certaines matières, ont besoin d’un renforcement. Ces publics scolaires représentent une proportion importante, bien que non majoritaire, des inscrits au Centre national d’enseignement à distance (le CNED). Par ailleurs, j’ai déjà partiellement répondu à cette question, en terme de développement de l’autoformation assistée. Mais je ne suis pas sûre qu’on puisse, dans les établissements scolaires, parler de FOAD – en tous cas, si on accepte la définition de la formation à distance que je propose, à savoir » tout type de formation organisée, quelle qu’en soit la finalité, dans laquelle l’essentiel des activités de transmission des connaissances et d’apprentissage se situe en dehors de la relation directe, face à face (ou » présentielle « ) entre enseignant et enseigné, et fondée, par conséquent, sur la dissociation de ces deux types d’activités dans le temps et/ou l’espace « . Après tout, on peut jouer sur le » O » de » ouvertes « , peut-être… mais ce terme » ouvertes » est vraiment très flou, je le discute dans mon livre. Toutefois, il est certain qu’on peut introduire des séquences de formation à distance dans l’école, à condition qu’elles soient justifiées et ne constituent pas un » pis-aller « . Il reste le problème de la formation des enseignants du scolaire. Notamment dans le secondaire, ils ont été formés à enseigner, rarement à assurer un soutien tutoral individualisé, personnalisé, et c’est bien cela qui est nécessaire, si l’objectif est celui d’une efficacité renforcée. Sinon, à quoi servirait de développer les FOAD en milieu scolaire ? BD- Comment situez vous des initiatives comme celle du Café Pédagogique dans l’univers de la formation ouverte et à distance ? Peut-on considérer cela comme de la formation ? Vous soulevez là un autre problème de vocabulaire qu’on rencontre en permanence, celui de la distinction entre » formation » et » information « . Cela dépend, en effet, de la manière dont on définit la formation. S’il s’agit d’une acquisition organisée de connaissances portant sur des contenus structurés selon une progression pédagogique dont les pré-requis sont clairement définis (ce terme est alors synonyme d’éducation), le Café Pédagogique ne fait pas de la formation, il parle de formation. C’est bien, c’est important, mais ce n’est pas, en soi, une formation, un dispositif de formation, avec toutes ses composantes. Si on emploie le mot » formation » dans son sens le plus large, au sens d’éducation » informelle « , en l’opposant à l’éducation » formelle « , on peut considérer le Café Pédagogique comme de la formation. Mais est-ce que, dans ce cas, toute information ou toute acquisition d’ordre culturelle ne relèverait pas de la formation ? A la limite, la télévision généraliste, avec ses pièces de théâtre, ses ciné-clubs, ses documentaires, ses magazines, ses reportages et ses débats d’actualité, ses jeux même, qui font appel à des connaissances variées, etc., ce serait aussi de la formation. Cependant, toutes ces émissions ne sont éducatives que de manière diffuse, au sens où toute information nouvelle élargit le champ des connaissances de celui qui la reçoit, mais rien ne guide le téléspectateur dans cette masse de messages hétérogènes et ne lui permet de construire progressivement un savoir organisé. De la même manière, l’Europe parle de » e-Learning » pour toutes les activités en relation avec l’éducation et/ou la formation dans lesquelles l’ordinateur intervient, qu’il s’agisse d’apprendre à s’en servir, à communiquer avec, d’équiper des classes ou d’apprendre à distance. C’est difficile de s’entendre sur les termes, et de les définir sans ambiguïté, surtout dans un domaine aussi sensible, dans lequel les phénomènes de mode sont aussi prégnants. BD- La FOAD a-t-elle un avenir ou n’est-elle qu’un feu de paille médiatique ? Non, je ne crois pas que les FOAD (décidément, je tiens au pluriel) ne soient qu’un feu de paille médiatique. Les modèles de formation ont évolué, au cours des siècles, forme socratique, préceptorat, transmission frontale…, en fonction du contexte socio-économique et des idéaux pédagogiques, mais, d’une part, ces modèles ont rarement été exclusifs les uns des autres, même si des modèles dominants s’imposent à un moment donné, et, d’autre part, leur succession ne s’est jamais opérée de manière radicale. Les FOAD correspondent aujourd’hui à un besoin. Les difficultés du marché de l’emploi, l’instabilité des carrières professionnelles et la complexité accrue des métiers concourent à l’accroissement de la demande sociale de formation « tout au long de la vie » et, de ce fait, à l’amplification de toutes les actions de formation permanente et continue. De même, la » massification » de l’enseignement supérieur constitue une nouvelle donne. Les modes traditionnels d’enseignement, en face à face, par stages ou cours du jour ou du soir, sont désormais insuffisants à satisfaire cette demande. Dans ce contexte, les FOAD ne peuvent que se développer. Je pense, en fait, qu’on va vers une convergence de la distance et du présentiel, une imprégnation réciproque de ces deux modalités d’enseignement, ce qu’on peut appeler des formations » hybrides » ou ce que le secteur commercial de la formation a tendance à appeler (tiens, voilà encore un nouveau vocable à la mode !) les » solutions mixtes « . Les formations en présentiel feront sans doute de plus en plus appel à des séquences en autoformation et les formations à distance recourront davantage à des rencontres en face à face ou, du moins, à des échanges pédagogiques plus importants. Mais je ne pense pas que ce phénomène sera très rapide. Il pourrait même connaître des régressions, si un équilibre entre produits éducatifs médiatisés et services de formation, intégrant la dimension interpersonnelle et sociale, n’est pas plus accompli que par le passé et si la prise en compte des usagers et de leurs représentations demeure peu effective. Dans ce cas, les nouvelles technologies disponibles, aussi prometteuses soient-elles, risquent à terme, comme cela s’est déjà produit pour de plus anciennes, d’être récusées faute d’avoir réalisé les ambitions démesurées dont elles auront été investies. Et ce serait dommageable, car, je le répète, je crois à leur potentielle utilité. Entretien : Bruno Devauchelle
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