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Le bureau du proviseur du lycée Jean Lurçat, à Paris, n’est pas l’officine d’un gestionnaire efficace et désincarné. Photos de classe, attestations plus ou moins poussiéreuses, vieille carte de France : le bureau de Gilbert Longhi est un lieu très personnel. Tout nous rappelle que le chef d’établissement a été élève et ne l’a pas oublié. La vivacité des gestes, l’accent sonore nous disent que nous sommes devant un homme qui a ses racines et ses engagements. FJ- Votre dernier livre s’intéresse aux « décrocheurs ». Il repose sur l’expérience du lycée Lurçat qui propose de nombreux dispositifs pour lutter contre le décrochage. GL- A l’origine, ces dispositifs n’ont pas été créés pour régler le problème des élèves de Lurçat en difficulté en les mettant dans des voies séparées de façon à améliorer l’homogénéité des classes. Notre structure a été voulue par la hiérarchie. Elle a compétence académique et accueille environ 230 personnes, parmi lesquelles seulement 6 ou 7 viennent de Lurçat. Nous prenons des jeunes qui vont de la fin du collège à la terminale. Nous avons une classe « 4 Z » (Z comme zèbre !) qui accueille des collégiens de plus de 16 ans en rupture de ban. Un autre dispositif, « la ville pour école » prend des jeunes en échec en fin de seconde, par exemple des élèves qui devraient tripler la seconde. On leur propose un tutorat et un va et vient entre l’école et leurs tuteurs. « Le lycée intégral » prend les adolescents comme des êtres complets, avec le poids de leur passé, et vise à les remettre dans le train des études en définissant un nouveau projet scolaire. « Le lycée du temps choisi » s’adresse à des jeunes de terminale qui ont échoué au bac. On leur propose des modules de formation individualisés dans la journée ou le soir, avec le suivi d’un tuteur qui n’est pas forcément un enseignant. Le « lycée de la solidarité internationale » accueille des collégiens et les amène à un niveau de première SMS en bâtissant un projet qui donne du sens à l’enseignement puisque les études sont valorisées par la participation à des projets de solidarité internationale. Ces dispositifs donnent à ces jeunes un statut scolaire, un adulte de référence et un parcours à la carte de façon à ce qu’ils reconstruisent leur relation avec l’école. C’est du sur-mesure. FJ- Ne pensez-vous pas que des formules plus classiques, comme l’apprentissage, permettraient à ces jeunes de recevoir une formation ? GL- L’orientation vers l’enseignement professionnel n’est pas forcément bien perçue par le jeune. Il ne veut pas faire le deuil d’une orientation « normale ». Il ne comprend pas que ses parents, ses profs lui refusent une seconde chance et prend cela pour une violence et le vit comme une forte dépréciation de soi.. C’est seulement après une période de renaissance qu’il pourra accepter une orientation vers l’apprentissage ou ailleurs. L’adolescent est une entité en mouvement, bien différente d’un adulte. Ce que nous faisons c’est leur accorder un moratoire administratif. On soigne les blessures des jeunes en leur donnant la possibilité de retourner à l’école. FJ- Le malade, c’est l’école ou le jeune ? GL- L’école n’est pas pathologique. Mais elle révèle la pathologie. Dans le passé, la famille aurait été le lieu du trouble. Actuellement les adolescents n’ont plus de conflit avec leurs parents. Le conflit s’est reporté sur l’école. FJ- Mais les décrocheurs ne veulent plus de l’école ! GL- Quand, à 17 ans, on reste à la maison et qu’on regarde les autres aller au lycée, c’est le statut de jeune que l’on perd. Le désir d’école, chez ces adolescents, je l’ai constaté et je peux affirmer qu’il existe. Il peut être caché par la honte et la peur de décevoir. Les adolescents veulent être comme tout le monde, des élèves. Ils ne veulent pas décevoir leurs parents. La phobie apparaît comme une protection. C’est lié à la dépréciation de soi, à l’incapacité de répondre à l’attente des parents. Ca génère des troubles psychosomatiques : instabilité, insomnie, peur d’entrer au lycée. L’ado dit « j’accepte les critiques, mais je ne supporte plus les reproches ». C’est le va-et-vient entre nous et l’école qui va créer l’envie d’école. FJ- Ces dispositifs seraient donc le lycée idéal, tel qu’il devrait être partout ? GL- En fait l’école s’est toujours intéressée à tous les publics, par exemple les élèves malades ou handicapés. Nous nous bornons à ajouter dans nos « écoles » une pédagogie moderne, celle des méthodes actives et nous évitons les pédagogies « dolosives », celles qui font souffrir l’élève. On essaie de réparer. Nous n’avons pas de doctrine, on invente spontanément. Les enseignants libèrent leur capacité créative qui est bloquée dans le système classique. Mais ça marche aussi parce que nous avons le soutien matériel du lycée : les postes, le CDI, le matériel etc. En échange cela apporte à tout le lycée une image de liberté, des profs plus épanouis, plus créatifs. Propos recueillis par François Jarraud Une présentation du lycée Jean Lurçat : Les dispositifs particuliers (site Mission de valorisation des innovations, académie de Paris) : Le cours de déontologie de G. Longhi, IUFM de Paris Le dernier ouvrage de Gilbert Longhi et Nathalie Guibert, Décrocheurs d’école. Redonner l’envie d’apprendre aux adolescents qui craquent, édition La Martinière. Fiche sur le livre de G. Longhi, Pour une déontologie de l’enseignement, ESF, 1998. Une analyse sévère des errements de l’école qui débouche sur des propositions concrètes pour une refondation par une déontologie de l’enseignement. Un livre que tout enseignant devrait avoir lu ! Fiche sur « La république lycéenne », ouvrage rédigé avec Marc Guiraud (Payot 1992) : |
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