L’orientation, l’Université
Marie Duru-BEllat, sociologue à l’IREDU, a lancé récemment un pavé dans la mare en demandant de cesser « l’Inflation Scolaire », demandant notamment qu’on distingue le « bagage culturel » de tout élève, nécessairement exigeant, de son orientation scolaire.
» Aucun pays n’est assez riche pour allouer toutes ses richesses à l’éducation : des arbitrages s’imposent donc, qui rendent nécessaire d’expliciter les finalités recherchées. Si c’est davantage d’égalité entre les jeunes qui est visée, les recherches françaises ou européennes montrent qu’il est sans doute bien plus efficace de mettre en oeuvre des politiques de la petite enfance ou d’aide aux familles, du logement (etc.), que de développer un enseignement supérieur où les plus favorisés savent très bien se réserver les filières les plus rentables. Si c’est l’innovation et la compétition économique que l’on privilégie, alors il faut s’interroger sur ce que «produit» notre enseignement supérieur tel qu’il est : et, dans ce cas, ce n’est plus en termes quantitatifs («plus de la même chose») qu’il faut raisonner, mais en termes qualitatifs (de quels diplômés a-t-on besoin, dotés de quelles compétences ?) ». Dans une interview au Café considérée par certains comme très polémique, la sociologue ose poser une question redoutable aux partisans de l’accès de tous à l’Université, qui pour elle déclasse les diplôme et fait échouer les plus fragiles. Stéphane Beaud décrit dans « 80% au bac, et après ?… » la désillusion des enfants de cités qui entrent fièrement en fac pour « découvrir qu’on les a grugés », qui « errent dans des amphis trop vastes pour eux pour attendre dans le meilleur des cas un DEUG » (licence 2). Il est indéniable que chacun peut en effet constater, dans son entourage propre, l’immense gâchis social et économiques qu’induit l’abandon massif du cursus dès la première année par une bonne partie des étudiants, dont une bonne part de ceux des catégories sociales défavorisées qui abdiquent devant le mur infranchissable qu’ils découvrent brutalement : la perspective d’études nécessairement longues pour réussir, le manque d’accompagnement et de tutorat, les pratiques pédagogiques d’un autre âge de certains enseignants qui se demandent (ici aussi) ce que ces étudiants font là…
Mais pourtant la France ne produit pas assez de diplômés. Même en terme purement économique, faut-il investir davantage dans l’Education, ou cet argent est-il « gaspillé » au-delà d’un certain seuil ? Un synthèse effectuée par des économistes indique qu’une année supplémentaire de scolarisation pour tous les élèves d’un pays serait synonyme d’un point de croissance. Mais dans le même temps, elle demande de se méfier d’un effet d’optique : un pays n’investit-il pas dans l’Education parce que sa richesse augmente (et qu’il peut donc se le permettre) ? En tout état de cause, l’étude conclut qu’on aurait tort de guider le politiques d’éducation exclusivement par leur conséquence économique directe : si un travailleur « bien éduqué » sera directement plus efficace pour l’entreprise qui l’emploie, « on peut penser que l’éducation transforme la structure productive en étant une source de progrès technique et de croissance ». Si l’Education modifie les conditions économiques, on en conclut évidemment qu’en ces temps de mondialisation, une des forces essentielles des pays riches constitue à dégager de nouvelles ressources pour l’innovation et le développement, fondamentalement liées au niveau de qualification de sa population.
Toujours au centre du débat, l’OCDE valide cette hypothèse : « Les économies les plus compétitives seront celles qui produiront le plus d’information et de connaissances… On pourrait penser qu’avec un tel développement de l’éducation il y aurait une baisse de la valeur des diplômes. A l’évidence c’est le contraire. A l’exception de l’Espagne, les revenus et les autres variables qui nous informent sur la valeur sur le marché du travail de l’éducation ont augmenté plus vite que l’offre depuis 1998. La demande de personnel qualifié augmente plus vite que la fourniture par nos universités ». A l’appui de sa thèse des statistiques sur les salaires en fonction des diplômes. La France est justement un des pays où les écarts salariaux sont les plus forts entre travailleurs de niveau secondaire et diplômés du supérieur ».
Marie Duru-Bellat critique les positions libérales de l’OCDE :
pour elle, cette position « dictée par l’agenda de Lisbonne » ne permet pas de remettre en cause sa thèse de l’inflation scolaire :
il n’apporte aucune justification sérieuse du maintien d’une élévation du niveau d’instruction, notamment dans le Supérieur, autre que le crédo de l’économie de la connaissance (qui tarde à se traduire par l’explosion tant attendue des emplois qualifiés), et le » il faut rester les plus forts dans la compétition mondiale » ; on pourra de plus juger quelque peu prétentieuse cette volonté de se positionner comme l’ « économie de la connaissance la plus compétitive », se réservant les emplois « high tech » et laissant aux (stupides ?) pays pauvres les emplois les moins qualifiés. On pourra enfin se demander si cette course en avant apporte bien aux jeunes et aux pays ce qu’ils en attendent. Ce texte élude ces questions en restant au niveau d’un « toujours plus » qui ne peut tenir lieu de seule politique. »
Gageons que la « réforme de l’Université » annoncée, si elle ne s’attaque pas à ces questions, ne risque d’être qu’une grande mise en concurrence libérale des universités,
La crise ? Quelle crise ?
La réussite de tous, sans rire ?
Le risque d’une école libérale ?
Quelle formation, quel accompagnement pour les enseignants ?