Une passionnante expérience de réduction du taux de redoublement en classe de seconde a été mise en place à la rentrée de septembre 2006 au lycée Jean-Baptiste Corot de Savigny sur Orge. Le Proviseur du lycée et la professeure principale de la classe de 1eS qui regroupe des élèves en difficulté à l’issue de leur classe de seconde présentent le dispositif original qu’ils ont conçu et offre déja des résultats très encourageants.
Entretien avec Helios Privat, Proviseur
Pouvez-vous nous présenter le lycée Corot et le projet qui vous a valu d’être retenu pour le programme Réussite pour tous ?
Le lycée Corot est le plus grand lycée de France : 2800 élèves à la rentrée 2006. Il accueille un public sociologiquement hétérogène. Environ un tiers des lycéens habitent un quartier très défavorisé. Depuis plusieurs années, nous sommes attentifs aux difficultés des élèves de seconde. Nous accueillons cette année 27 classes de seconde, et chaque année environ 150 de ces élèves doivent redoubler. Nous connaissons bien les causes de ces redoublements. Pour l’essentiel, il y en a trois : d’abord la difficulté à assimiler le programme ; ensuite l’insuffisance et parfois l’absence totale de travail personnel ; enfin les déficiences culturelles. Rien qui ne soit déjà bien connu. Depuis plusieurs années, nous réfléchissons à ce que nous pourrions faire pour lutter contre ce phénomène. Finalement, nous avons réussi cette année, grâce au soutien du Rectorat et de la Région, à mettre sur pied une formule dont nous sommes, pour l’instant, c’est-à-dire après six mois de fonctionnement, très satisfaits.
De quoi s’agit-il ?
Nous nous attaquons directement aux causes qui conduisent ces élèves au redoublement. Nous avons prévu trois types d’action : des dédoublements d’heures, des études encadrées par les professeurs en fin de journée et des sorties culturelles. Concrètement, à la fin de l’année scolaire 2005-2006, nous avons choisi, avec les professeurs, un groupe de 30 élèves qui souhaitaient tous passer en première S mais qui n’en étaient pas capables et étaient donc promis au redoublement. Nous avons proposé à ces élèves et à leurs familles le contrat suivant : nous nous engagions à les faire passer en première S, selon leur choix, dans une classe spécialement aménagée pour les aider à réussir ; de leur côté, ils s’engageaient à jouer le jeu, c’est-à-dire à rester chaque soir au lycée, après les cours, de 16h à 17h30, pour les études dirigées et à participer à toutes les sorties culturelles organisées pour eux.
Comment avez-vous réuni les moyens pour mettre en œuvre un tel dispositif ? J’ai demandé et obtenu un soutien du Rectorat sous la forme d’une dotation horaire supplémentaire de 25 heures. Notez bien que si ces élèves étaient restés en seconde, leur maintien sur ce niveau nous aurait coûté 36 heures. Au final donc, si tous passent en Terminale à la fin de cette année, ce qui est tout à fait possible, nous aurons, en réalité, réalisé une économie de 11 heures ! De plus, nous avons obtenu un soutien financier de 9900 € du Conseil régional grâce auquel nous pouvons organiser des sorties culturelles le mercredi après-midi et certains soirs, entièrement gratuites pour les élèves.
Auriez-vous pu créer d’autres classes de première de ce type pour permettre à davantage d’élèves d’éviter de redoubler leur seconde ? C’est une question de moyens. Nous avions assez d’enseignants volontaires pour créer trois classes. Mais le Rectorat ne nous a attribué des heures d’enseignement que pour une seule classe. Le Conseil régional s’est alors proposé pour financer des heures supplémentaires pour une deuxième division. J’ai soumis cette offre au Conseil d’administration du lycée qui l’a rejetée. Je le regrette bien sûr mais je le comprends, d’autant plus que celles-ci auraient dû être effectuées en heures supplémentaires : ce n’était pas la bonne solution.
Après six mois, comment cette classe est-elle perçue dans le lycée ?
Nous avons, au lycée Corot, 9 classes de première S. Au début, certains disaient : c’est la classe des « nuls »… A la fin du premier trimestre, ils avaient d’ailleurs les moyennes les plus faibles. Aujourd’hui, nous constatons des progrès réguliers. Je pense qu’à la fin de l’année ils se situeront dans la deuxième moitié, mais ils ne seront pas les derniers. Au final, je m’attends à ce qu’ils atteignent au Bac un taux de réussite qui se situera dans la moyenne des Terminales. Les élèves jouent le jeu. C’est le plus remarquable. Il s’est créé un esprit de groupe, ils sont solidaires. Ces élèves ne sont plus stigmatisés comme étant les plus faibles mais reconnus comme un groupe mis à l’honneur et que l’on commence même à envier. Les familles ont toujours soutenu notre démarche et se disent dores et déjà très satisfaites. Les professeurs se sont fortement impliqués ; ils ont découvert des difficultés chez ces élèves, qu’ils ne soupçonnaient pas : des carences culturelles, linguistiques, des difficultés de compréhension et d’attention. Eux aussi ont eu besoin de se motiver et de faire preuve de courage. Ils y sont parvenus en travaillant ensemble, en se coordonnant. Je leur en suis reconnaissant.
Entretien avec Françoise Roche, professeure de mathématiques, professeure principale
Je suis professeure dans ce lycée depuis plus de 20 ans. J’y ai même été élève ! Le lycée est grand mais il est au milieu d’un parc magnifique. C’est un beau lycée, dans un cadre qui calme les élèves. J’ai participé à beaucoup de projets au lycée. Pour celui-ci, nous avons réfléchi avec le Proviseur pendant toute une année avant de nous lancer.
La classe de première S réunissant des élèves qui devraient redoubler a été constituée par les professeurs des classes concernées. Pour ma part, je n’avais pas de classe de seconde et je ne connaissais aucun d’entre eux.
Comment s’est passé la prise de contact avec les élèves de cette classe un peu particulière ?
Les élèves ne correspondaient pas à ceux que j’attendais. Je pensais que nous aurions des élèves en difficulté mais travailleurs. Or, ce sont des élèves avec de vraies difficultés, de toutes sortes, y compris sur le plan personnel. Plusieurs d’entre eux pouvaient être considérés comme des pré-décrocheurs. Ils n’avaient aucune méthode de travail. Certains ne travaillaient jamais chez eux. Beaucoup étaient de bons, voire d’excellents élèves jusqu’en quatrième ; ils se effondrés soit en troisième, soit en seconde. Ils ont donc de bonnes bases. Quelques-uns sont même très bons en maths. Je suis leur professeur principal. Au début de l’année, je leur ai expliqué comment nous allions fonctionner. Je leur ai dit : « il y a deux mots importants auxquels vous devez toujours penser : ensemble et confiance. Ensemble parce que nous serons, vous et nous les professeurs, ensemble tous les jours de la semaine, du matin au soir. Et confiance, parce que dès le départ nous vous faisons confiance pour que vous vous engagiez totalement, toute l’année, et que nous vous demandons en retour de nous accorder la même confiance par rapport à ce que nous allons vous demander ». Notre ambition est d’amener ces élèves en fin d’année à un niveau satisfaisant pour suivre en terminale avec de nouvelles méthodes de travail.
La relation entre les professeurs et les élèves que vous décrivez semble très différente de ce qu’elle est habituellement. Effectivement. On se parle beaucoup. Aujourd’hui, je crois que je connais beaucoup de leurs problèmes individuels, beaucoup plus que dans une classe normale. Nous nous parlons aussi beaucoup entre collègues. Nous nous sommes découverts. Le plus difficile, pour les élèves et surtout pour les professeurs, c’est de garder en vue ce qui a déjà été fait plutôt que de s’obnubiler sur le but et tout ce qui reste à faire pour l’atteindre. Au début de l’année, nous étions plutôt démoralisés : le niveau était plus bas que nous l’avions imaginé… Si nous étions restés fixés sur le chemin à parcourir, ç’aurait été désespérant. Nous avons donc pris l’habitude de nous appuyer sur les acquis, sur les progrès, sur le chemin parcouru. Ca a formidablement fonctionné. Progressivement, les élèves ont pris confiance. Je pense à une élève en particulier qui était, au début de l’année, en situation de rupture, insolente même. Aujourd’hui, elle est transformée. De nombreux élèves ont retrouvé un certain plaisir à venir au lycée.
Comment fonctionnent les études du soir ?
De 16h à 17h30, tous les soirs, nous avons deux salles contiguës, un professeur d’une discipline scientifique et un autre d’une discipline littéraire. Nous avons des jeux de manuels de première et de seconde, des dictionnaires. Nous devions avoir un ordinateur mais il n’est pas encore installé. Nous aidons les élèves à faire leur travail scolaire. Au début, c’était très difficile. Il a fallu leur expliquer. Maintenant encore, nous devons les rappeler à l’ordre, les surveiller. Il y a eu quelques dérapages, quelques absences aussi. Mais dans l’ensemble, ils apprécient que l’on soit là, avec eux, pour les aider. Nous sommes très attentifs à leurs difficultés et ils le sentent. J’observe qu’ils travaillent souvent ensemble, ils s’aident les uns les autres. Celui qui a des difficultés en maths demande au copain qui est meilleur.
Vous n’avez pas d’ordinateur mais est-ce que vous échangez par mail en dehors du lycée ? Entre les professeurs de la classe, c’est systématique, ça n’arrête pas. Nous nous tenons informés de tout ce qui se passe. Ca étonne les élèves d’ailleurs, ils n’ont pas l’habitude. Pour ma part, j’échange par mail avec les élèves, moins souvent, mais assez régulièrement. S’ils ont un problème, une question, ils savent qu’ils peuvent me joindre de cette façon. Ils ont tous un mail, mais ils ne sont bien sûr pas tous équipés chez eux.
Comment sont organisées les sorties culturelles ?
Elles sont obligatoires, comme le reste. Nous sommes allés plusieurs fois au théâtre, au musée, ils ont fait une sortie géologie à Vézelay. Je les ai emmenés au concert un soir. Nous avons choisi Corneille, un chanteur qui nous plaisait et dont les textes pouvaient être utilisés en cours de français. Ils ont été d’accord. Pendant le concert, les accompagnateurs sont restés assis derrière et eux sont allés devant pour pouvoir danser. C’est une sortie qui a achevé de souder la classe. Ils ont dit : on a dansé ensemble, même avec ceux qu’on n’aimait pas… Finalement, ce qui était au début une faiblesse, être la classe des nuls avec les profs sur le dos en permanence, est devenu une force. Les autres classes ne se moquent plus d’eux et commencent à les envier.
Comment voyez-vous l’avenir pour ce groupe d’élèves et pour la suite du projet ?
Il est possible que l’un des élèves change d’orientation. Il y aura sans doute trois ou quatre redoublants. Les autres passeront en Terminales dont certains en spécialité maths. Ceux-là vont se retrouver dispersés dans différentes classes. C’est impossible de les laisser ensemble, les contraintes d’emploi du temps ne le permettent pas. Certains risquent de mal vivre ce retour à la normal. Nous en sommes conscients. C’est pourquoi nous prévoyons de garder deux études du soir qui leur permettront de se retrouver. Par contre, nous avons prévu de refaire une nouvelle classe de première S l’an prochain sur le même modèle. Pour voir les résultats d’une expérimentation comme celle-ci, il faut un minimum de durée.
Pensez-vous qu’elle puisse être étendue et pratiquée dans d’autres lycées ? Je crois qu’il faut être très prudent. J’insiste sur ce point : on passe beaucoup de temps ensemble, c’est capital. Je ne dis pas que c’est comme cela qu’il faudrait enseigner maintenant. Certainement pas. Mais j’espère que nous démontrerons que les résultats peuvent être au rendez-vous.
Serge Pouts-Lajus
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