Dans un autre collège ZEP : Jean Lurçat à Saint-Denis « Ils ont changé leur regard sur les professeurs » Saint-Denis, la banlieue nord de Paris. Le collège Jean Lurçat se situe dans un quartier de petits pavillons en bordure du parc de La Courneuve et de l’autoroute. Des constructions basses sont entourées de pelouses verdoyantes. Mais ce qui frappe c’est le dénuement. Le collège est en ZEP et contrat de ville. Il est abrité dans des bâtiments « Pailleron ». Ici il y a un ordinateur en état de marche pour 50 élèves. Le collège est propre ; l’atmosphère studieuse, disciplinée et calme. C’est la chaleur humaine et la compétence du personnel qui tiennent le collège debout. Marie-Madeleine Cloup-Speer enseigne l’anglais à Jean Lurçat. Avec Mme Bourib, elle a expérimenté un itinéraire de découverte anglais – technologie.
FJ – Comment est né ce projet ? MMCS – On est en ZEP avec des élèves pas faciles. On voulait prioritairement les motiver, les amener vers l’autonomie. J’utilise des cédéroms pour les cours d’anglais et je savais que l’informatique a un effet magique : elle met immédiatement les élèves en situation de travail. On a voulu utiliser cela. On voulait aussi que cela passe par l’écrit car nos élèves n’écrivent pas. On avait clairement ces objectifs en tête. Mais on ne savait pas trop où on allait. Le projet était plutôt prévu pour une classe d’anglais LV1. Mais finalement il s’est fait avec une quatrième anglais LV2, des débutants. FJ – Mais vous avez défini le projet .. MMCS – On est parti de l’idée de faire écrire des pages personnelles en anglais, destinées au futur site du collège, où les élèves se présenteraient. Avec les élèves on a arrêté le plan de chaque page : présentation de chacun et de ses activités favorites obligatoirement et une page libre, généralement utilisée pour évoquer un sportif ou une star. Tout cela nécessite des compétences variées : en anglais bien sûr, mais aussi en informatique. On y a adjoint un travail en arts plastiques sur l’illustration des pages. En anglais, je leur ai demandé de rédiger en s’appuyant sur le manuel. Ils avaient en permanence le manuel et je renvoyais au livre quand ils cherchaient une expression. Les difficultés les plus grandes ont eu lieu pour les pages libres. Les élèves ont du apprendre à dégager le éléments importants des biographies de leurs stars et chercher comment le dire en anglais. Ils ont découvert à cette occasion l’utilité de la rigueur orthographique : sur le net une recherche sur un mot mal orthographié fait perdre du temps ! Il sont aussi découvert la notion de propriété intellectuelle : ils ont dû demander le droit de récupérer des photos, en français ou en anglais… FJ – Comment avez-vous fait le lien avec la technologie ? MMCS – On a eu la chance de pouvoir suivre les élèves ensemble : on était deux professeurs avec un petit groupe de seize élèves. C’était très agréable car ça met bien en évidence le fonctionnement de chacun. Et ce n’était pas de trop ! FJ – Mais dans ce binôme, n’y a-t-il pas un risque d’inégalité, que la technologie soit réduite à une discipline « au service » de l’anglais ? MMCS – Je crois qu’ils ont plus appris en informatique qu’en anglais ! Outre le maniement du logiciel de création de pages, ils ont appris à envoyer et recevoir du courrier, à chercher l’information, à respecter le droit… Ce n’est pas rien. FJ – Un vrai B2i ! MMCS – On aurait pu valider leurs compétences dans ce cadre là. Mais le B2i est encore un peu l’affaire du professeur de technologie de la classe, qui n’est pas celui qui encadrait le projet. FJ – Comment avez-vous évalué ces travaux ? MMCS – On ne les pas évalués sous forme d’une rubrique notée dans le bulletin trimestriel. Mais que faut-il évaluer ? La page réalisée ? La qualité de l’anglais ? L’esthétique du site ? La démarche de l’élève ? Ce n’est pas facile ! Actuellement ce que je peux dire c’est que ce projet a diminué la paresse des élèves. Ils s’y sont investis. Ils ont produit de vrais textes, c’est à dire des paragraphes construits utilisant de l’anglais, disant des choses personnelles, sans copier-coller. Voilà pour l’anglais. En technologie, ils sont allés plus loin que ce qui était au programme. Ils sont aussi devenus plus autonomes. Il y a un autre aspect qui est important et difficilement évaluable : ils ont changé leur regard sur les professeurs. Ils ont découvert dans ce projet que les professeurs ne savaient pas tout et que ce n’était pas grave. Ils ont vu les enseignants avancer avec eux. Parfois le prof se trompait dans une manipulation, parfois l’élève était plus performant. Finalement on était devenu partenaires des élèves. FJ – A partir de cette expérience, quels conseils pourriez-vous donner aux collègues qui vont se lancer dans les IDD ? MMCS – D’abord il faut dire que le cadre réel des IDD sera très différent. Ici nous étions deux pour encadrer seize élèves. Ce qui est prévu pour les IDD c’est un enseignant avec une classe entière. Je ne crois pas que je pourrais faire seule le même travail avec les élèves. Et puis ca posera aussi un problème matériel : je n’ai pas seize postes informatiques en état de marche à proposer à une trentaine d’élèves. J’en ai moins de dix. Que vais-je faire de ceux qui n’auront pas accès à l’informatique ? Il y a de grandes chances qu’ils refusent le travail traditionnel et paressent. Mais ce que j’ai retenu de ce projet, c’est qu’il faut savoir rester ouvert, suivre l’évolution du projet selon son rythme, accepter de travailler en partenariat avec les élèves.
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