Quels enseignants former ? L’OCDE a un avis. A étudier de près…« Se contenter de donner des instructions à un enseignant pour suivre une formation ne suffit pas à changer sa pratique dans la classe, si l’intéressé n’est pas convaincu que c’est une manière efficace de devenir un meilleur enseignant. A l’inverse, les parents, les employeurs et les administrateurs de l’enseignement ne croient pas volontiers que le fait de donner aux enseignants du temps libre pour étudier suffira pour assurer que les pratiques de l’enseignement s’améliorent et s’adaptent. Une stratégie ambitieuse de perfectionnement des enseignants doit les impliquer, en tant que collaborateurs volontaires et actifs, qui réalisent les ambitions de la société en matière d’éducation. Les besoins du système et ceux des individus ne sont pas contradictoires, si l’objectif final consiste à améliorer les résultats des élèves. » Qu’on soit ou non critique sur ses orientations politiques, ce discours de l’OCDE(1) résume bien le problème : la société change, donc l’Ecole doit changer, et la formation s’adapter. Le paradoxe vient évidemment de l’ambiguïté du » changement » à produire. Là encore, l’OCDE dit tout : » La globalisation de l’Economie (…) l’accroissement de la concurrence (…) fait qu’il est difficile à un pays de maintenir les éléments de son système éducatif traditionnel » quand les élèves manquent de » la souplesse et l’adaptation exigées par l’économie moderne « . Mais dans le même temps, l’OCDE demande de mieux considérer les » besoins sociaux « , d’améliorer les résultats scolaires des élèves de toutes les catégories sociales par rapport à une époque » où seule une minorité de privilégiés était sensée obtenir de bons résultats dans un enseignement académique « . Elle précise que la massification n’entraîne pas nécessairement la réussite des élèves des milieux les plus modestes, et pointe la plus grande instabilité sociale liée au développement du chômage. Parmi les solutions préconisées, décentralisation des niveaux de décision, renforcement de la place des parents, implication des élèves dans les apprentissages, individualisation, renforcement de l’usage des nouvelles technologies. L’OCDE demande de se fixer sur les résultats des élèves plutôt que sur les qualifications des enseignants, sommés de jouer de nouveaux rôles. On mesure ici les tensions auxquelles les enseignants sont confrontés dans leur rapport au métier : leur demande-t-on d’évoluer pour mieux faire réussir les élèves les plus en difficulté au nom d’un principe d’équité sociale, ou pour mieux les adapter à une société libérale chaque jour plus sauvage, plus concurrentielle et plus individualiste ? Nous ne trancherons évidemment pas ici sur une appréciation qui relève de chaque citoyen. Mais ce préalable doit nous permettre de mieux comprendre combien les injonctions de » changement » posent problème aux enseignants, toujours suspicieux sur les mobiles des décideurs… Et quand les discours des libéraux croisent ceux des militants, pas toujours facile de faire la part des choses. La formation, initialement destinée à donner aux enseignants la maîtrise disciplinaire des contenus à enseigner, se préoccupe donc de plus en plus des méthodes supposées faire apprendre les élèves, succombant elle aussi parfois à des effets de mode ou à des difficultés à organiser concrètement les gestes professionnels à développer pour incorporer les résultats de recherches dans toutes les disciplines qui peuvent prétendre irriguer la formation : la psychologie cognitive (ce qui se passe dans le cerveau de celui qui apprend), la sociologie (les difficultés posées par la distance entre la culture scolaire et la culture familiale), la psychologie sociale (les interactions entre les individus vivant en groupe), la didactique (la difficulté spécifique pour apprendre tel ou tel contenu disciplinaire, à un âge donné), l’ergonomie (la difficulté pour un travailleur à mettre en œuvre la prescription qui lui est faite), la pédagogie (les valeurs éducatives qu’on privilégie dans l’enseignement)… Dans un autre ordre d’idée, l’injonction de travail en équipe, de projets, de co-pilotage local est désormais en rupture avec un vécu traditionnel presque » libéral » : l’enseignant vient au sein de l’établissement scolaire exercer un acte pédagogique relativement » privé » entre ses élèves et lui, encadré par le strict espace des murs de la classe, sa » liberté pédagogique « , son éthique personnelle dont il ne rend de compte qu’à son supérieur hiérarchique, généralement garant de la qualité disciplinaire de l’enseignement dispensé. Rien d’étonnant, donc, que les questions de formation ne déchaînent les passions depuis la création des IUFM, qui symbolise en France l’évolution de la prescription en matière de formation des maîtres… D’ailleurs, l’OCDE poursuit sa réflexion en se demandant, dans un autre document(2), ce qu’est un « bon enseignant ». « On admet en général qu’une excellente formation initiale est nécessaire mais ne suffit pas pour assurer l’efficacité permanente des enseignants. Étant donné la très grande rapidité avec laquelle évoluent les exigences auxquelles les établissements scolaires sont soumis et progresse la connaissance, il est essentiel que tous les enseignants bénéficient d’un perfectionnement professionnel permanent. Dans le passé, la politique de l’éducation privilégiait en général la formation initiale plutôt que la formation en cours d’emploi, mais à présent cette situation s’inverse. La carrière enseignante est de plus en plus considérée dans une optique de » formation tout au long de la vie « . On a le sentiment que les activités de perfectionnement professionnel sont très diverses et que leurs fruits dépendent beaucoup des circonstances particulières dans lesquelles elles sont entreprises. Il semble clair cependant que la formation en cours d’emploi, sous une forme ou une autre, peut être très efficace, surtout si elle est liée au projet de l’établissement et si elle est suivie en groupe. De cette façon, il est logique que les décideurs publics se demandent non plus » doit-on favoriser le perfectionnement professionnel en cours d’emploi ? » mais plutôt » quels types de formation en cours d’emploi convient-il de favoriser ? « , et comment peut-on encourager tous les enseignants – et pas seulement les plus motivés – à toujours se perfectionner ? » Bon, certes, c’est écrit en langage assez bureaucratique, mais ça n’est pas si éloigné que ça de notre vécu trivial ? Peut-être que ça vaudrait le coup de le faire lire au ministère de l’Education nationale en France ? 1. L’Ecole à la page, formation continue et développement professionnel des enseignants, OCDE, CENTRE POUR LA RECHERCHE ET L’INNOVATION DANS L’ENSEIGNEMENT, 1998. Patrick Picard
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