Arrêté du 19 Décembre 2006 portant cahier des charges de la formation des maîtres en Institut Universitaire de Formation des Maîtres I- Des « bonnes intentions annoncées » à la réalité Parce que leader assumé dans la bataille médiatique récente, notamment sur l’apprentissage de la lecture, de la grammaire, le ministre De Robien est accroché à des savoirs disciplinaires mesurables et évaluables qui permettront de revenir enfin à de la « vraie instruction ». Parce qu’associé pleinement aux critiques fortes à l’égard des IUFM, quant à la formation des enseignants pour répondre à ce qu’on nomme l’échec scolaire et au fait que 150 000 jeunes par an quittent le système éducatif sans diplôme, on connaît son scepticisme, sa méfiance, sa critique envers ceux qu’on appelle les « pédagogues » et/ou les chercheurs en éducation. Porteurs d’ambition éducative, ces derniers sont soupçonnés d’être, notamment dans la formation des maîtres, à l’origine de la difficulté de ces derniers à résoudre l’échec scolaire, aussi bien sur les questions de savoirs minimums, de socle commun que sur celles de l’autorité du maître, de la violence scolaire, de l’orientation scolaire. Chantre d’un retour à un enseignement traditionnel, nostalgique des méthodes classiques que lui et la génération politique au pouvoir ont personnellement vécu, le ministre De Robien commence par surprendre son monde, en annonçant et reprenant à son compte dans son projet des principes relativement novateurs et prometteurs recommandés par le HCE. Pour autant une lecture attentive de ces principes, tels qu’ils sont énoncés, formulés, actualisés en propositions concrètes, révèle, non seulement, un texte ambivalent mais aussi un texte au final porteur (ce qui n’est pas pour nous surprendre) d’une idéologie ultralibérale et externalisante sur les visées, les objectifs et surtout les moyens financiers et humains que sa politique veut donner à l’école du 21è siècle. On peut résumer son texte sur les quatre principes suivants :
Sauf que dans la réalité une telle formation ne peut vraiment se mettre en place que si on reconnaît à ce métier et à cette mission une qualification professionnelle de haut niveau accompagnée de l’autonomie, la confiance, la marge d’autorisation et d’action que doit posséder tout cadre A(1). Aucun mot sur le niveau de qualification professionnel. Pire encore, le mémoire professionnel est sous l’éteignoir et sa possible équivalence et/ou transformation en un Master universitaire mise de côté. Décision catastrophique, non seulement au niveau de la formation elle-même, mais aussi sur celui de la reconnaissance et de la qualification du métier dans un monde de l’éducation et de la formation qui se mondialise et s’européanise et dans lequel l’évaluation du niveau reconnu d’expertise sera déterminante.
Sauf que dans la réalité, l’université devra accomplir une véritable révolution copernicienne quant à ses critères de reconnaissance professionnelle. Pour l’instant, ceux-ci sont réduits à la seule prise en compte des travaux de recherche. Les activités administratives, pédagogiques sont minorées pour ne pas dire ignorées par le CNU et/ou les commissions de spécialistes qui recrutent paradoxalement des enseignants-chercheurs. Sauf que dans la réalité, mis à part quelques domaines comme celui des STAPS, des IUT, de la Médecine, l’université n’est pas en mesure aujourd’hui d’assumer ce cahier des charges Leur carrière étant fortement arrimée à leurs travaux de laboratoire et à leurs publications de recherche, les universitaires ont souvent délaissé leur propre formation professionnelle quant à leurs activités d’enseignement et de formation. Il suffit de noter la grande impuissance des services de formation universitaire à promouvoir une pédagogie à l’université.
Sauf que dans la réalité, comprendre l’alternance théorie-pratique comme étant la juxtaposition de deux espaces-temps : la théorie à l’université et aux universitaires, le pratique et le professionnel aux gens dits de terrain, aux instances académiques, c’est aller à l’encontre de tout ce que l’expérience et la richesse de l’alternance nous a appris, à savoir le théorie et le pratique doivent se trouver intégré dans chacun des domaines de l’alternance : et l’université et le terrain. C’est une position qui se trouve à l’inverse de tous les systèmes éducatifs européens Sauf que dans la réalité, quand les universitaires s’intéressent à l’enseignement et à la formation, il adoptent le plus souvent une position top down dont la règle est la proposition d’une application pure et simple de leurs travaux sur le terrain, sous prétexte qu’ils sont scientifiques, porteur d’une universalité dépassant les contingences du terrain. Sauf que dans la réalité, penser que la simple remise institutionnelle du théorique à l’université sera suffisante, c’est oublier la vision applicationniste de la plupart des universitaires. Or les expériences internationales et positives en matière d’enseignement supérieur posent que la fonction des universitaires doit être autant d’apporter du savoir que de le partager en privilégiant le tutorat et non de se réduire à l’apport magistral décontextualisé, tel qu’il est le plus souvent pratiqué en France, notamment dans le premier cycle actuel ou dans le L du LMD. Sauf que dans la réalité, en pensant la simple remise de la responsabilité du stage au terrain, c’est certes reconnaître que les stages sont effectivement au cœur du processus de formation, mais c’est avoir l’illusion de croire au vieux fantasme de la formation sur le tas, de penser que le compagnonnage et le terrain sont les seuls garants d’une professionnalité. C’est oublier que les stages doivent, eux aussi, non seulement articuler et intégrer le théorique et le pratique. Sauf que dans la réalité, c’est oublier un important problème : la formation et l’accompagnement de ces intervenants pour en faire des professionnels en ce domaine d’intervention. Être un enseignant expert ne veut pas dire que l’on sera automatiquement un formateur efficace. Être un sportif de haut-niveau ne veut pas dire que l’on sera obligatoirement un bon entraîneur, métaphore sportive oblige ! Sauf que dans la réalité, c’est oublier que la plongée sur le terrain doit s’accompagner d’un temps suffisant de préparation didactique et professionnelle, d’accompagnement et de retour réflexif effectué au sein de la structure de formation initiale, sous peine d’exposer non seulement les enseignants-stagiaires à des difficultés d’intervention et des souffrances identitaires importantes mais aussi les élèves à des interventions inconsistantes.
Sauf que dans la réalité, en France, les recherches en éducation sont considérées comme « molles » et se situent très bas dans la hiérarchie des disciplines dites scientifiques. Le crédit de scientificité voire d’efficacité leur ait en règle générale dénié. Pourtant, elles démontrent tant en France qu’à l’international la vivacité de leurs travaux notamment dans les domaines de la formation et de l’intervention. Elles montrent que leur collaboration étroite avec les acteurs de terrain permet d’obtenir une véritable légitimité et une véritable efficacité dans la construction de connaissances scientifiques en ce domaine. Sauf que dans la réalité, on ne peut que s’inquiéter de la place statutaire et budgétaire que vont prendre ces recherches au sein des neuf PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur) que le ministre vient de proposer sous la pression de l’évaluation de Shangaï(3) et de la compétition internationale. Les statuts de ces PRES laissent une place mineure dans les instances de décision aux ex-IUFM(4). Les recherches et les postes en éducation risquent de ne bénéficier via le strapontin laissé à l’ex IUFM que de peu de moyens pour peser dans les débats et les choix budgétaires. II – Des évaluations, des maintiens et des oublis masqués qui posent problème
III – Au final un texte ambivalent qui partage Le CSE a voté non. Le texte a été rejeté par 23 voix contre (FSU, CGT, FO, Sud, Snic) contre 17 pour (les associations de parents, le Snpden), L’Unsa (et le Se-unsa) se sont abstenu. Le SGEN a refusé de voter. Dans le sentiment partagé par tous qu’il faut agir pour sortir de la situation de crise dans laquelle est perçue l’école, ce n’est pas un hasard si les parents sont séduits par le discours apparent de bon sens du Ministre et si les personnels d’encadrements, des chefs d’établissement suivent leur ministre. On ne peut que comprendre la décision des syndicats pour voter contre ou refuser de voter face à un texte aussi ambivalent, ambigu, et finalement porteur d’une vision des questions éducatives, très classique sur le plan technique et très libérale sur le plan politique. IV – Ce qu’il faut comprendre
V – Larvatus prodeo Face à un tel contexte et soutenue par lui, la stratégie Larvatus prodeo du ministre de Robien est finalement très claire : prôner les principes pédagogiques prometteurs pour les pédagogues et les chercheurs en éducation spécialistes du domaine et tels qu’ils sont rassemblés par le HCE, mais, en même temps, assumer et introduire une politique libérale voire ultra libérale de l’éducation et de la formation par les tours de passe-passe suivants :
VI – Sur cet arrêté : des principes à examiner et des propositions à faire
En ce sens la revendication de cette fonction comme un métier à plein temps (9) pratiqué par des professionnels de haut-niveau est une priorité. En ce sens le mémoire professionnel comme master universitaire qualifiant une formation professionnelle de haut niveau transférable dans la mondialisation et l’européanisation de l’éducation et de la formation est une revendication première.
En ce sens, il est important que la formation par alternance soit structurellement garantie par des textes nationaux de cadrage, quant aux moyens (en postes d’accompagnement, de tutorat, de conseillers pédagogiques) et aux dispositifs de formation (école, établissement, type de classe), pour ne pas la laisser au vent changeant de volontés locales et/ou personnelles. En ce sens, il faudra aussi donner aux formateurs-associés un temps de disponibilité qui leur permette de participer pleinement à l’optimisation de leur compétence par une formation continue et par de l’activité de recherche. Il faudra répondre positivement à cette vieille revendication des enseignants non universitaires qui interviennent à l’université d’un service de 270 h.
En ce sens, il est important de rendre dans les évaluations des carrières universitaires, tout de même qualifiés d’enseignant-chercheur, une importance et une force aux critères qui prennent réellement en compte leur activité d’enseignement et/ou leur activité administrative et pédagogique(11). En ce sens, il est important de promouvoir, financer et évaluer des projets de recherche et d’innovation pédagogique, qui prennent appui sur une multitude d’établissements expérimentaux disposant des moyens humains, financiers nécessaires pour assurer cette fonction.
En ce sens, envisager la bivalence comme un simple substitut administratif de remplacement nous semble réducteur. Pour autant, examiner cette question dans un cursus de carrière pourrait être intéressant ? En commençant une autre valence dans une formation pré-professionnelle initiale, puis en la renforçant par une formation continue, un enseignant pourrait, au cours de sa carrière et en fonction des opportunités et de ses intérêts personnels, changer de matière d’enseignement et mieux vivre son identité et sa carrière professionnelle.
En ce sens, il nous semble bien plus important de proposer un concours soucieux d’évaluer et de sélectionner les éléments d’une formation pré-professionnelle qui rendent compte des compétences et des savoirs nécessaires à un métier d’enseignement et de transmission de valeurs à forte composante relationnelle.
Ne pas renoncer Larvatus prodeo, le ministre De Robien, se veut porteur de discours novateurs et marqués du sceau de la simplicité et du bon sens qui doit nécessairement marquer toute action éducative. Ses propositions veulent s’inscrire dans la vague du désenchantement de tous les acteurs sociaux et particulièrement des parents, quant à l’efficacité du système éducatif. Il veut se faire le chantre du bon sens et de solutions simples susceptibles de résoudre l’échec scolaire, la discipline, l’autorité, les violences scolaires, l’orientation scolaire. Pour autant, toutes ses propositions politiques en matière de formation des maîtres ne garantissent pas à cette fonction le statut d’un métier à plein temps, doté d’une professionnalité de haut niveau et susceptible d’un niveau de qualification équivalant au Master. Comme c’est le cas dans biens d’autres pays. En outre, sous prétexte de partenariat, l’ombre de la main mise du privé sur le service public d’enseignement et/ou de formation, pour cause de compétition et/ou de comparaison internationale est constamment présente. Malgré les discours ambiants, nostalgiques et désabusés sur la formation et l’action des maîtres, il nous faut adopter une position politique offensive et : – ne pas renoncer à faire accepter, par le grand public et les politiques, la fonction enseignante comme un métier professionnel à plein temps nécessitant une qualification universitaire et professionnelle de haut niveau ; – ne pas renoncer à établir une vraie formation par alternance et éviter que sous prétexte de compétences et de territoires d’intervention, l’organisation administrative de celle-ci mette de côté une réelle intégration à tous les niveaux du théorie et du pratique, du savoir disciplinaire et de l’expérience pratique ; – ne pas renoncer à insérer la formation des maîtres en France dans le réseau éducatif européen, en rétablissant et en établissant le mémoire professionnel au niveau d’un Master. – ne pas renoncer à veiller que la structure IUFM puisse, quelle que soit la forme qu’elle prendra au sein des PRES et de l’Université, jouir d’une autonomie en termes de postes et de projets de formation et de recherche pour optimiser ses missions ; – ne pas renoncer à soutenir et valoriser les recherches en éducation et les innovations pédagogiques ; – ne pas renoncer à défendre la complexité face aux discours simplistes et réducteurs qui inondent les médias sur les questions éducatives ; – ne pas renoncer à lutter pour assurer la primauté du service public sur le privé, la primauté de la solidarité sur l’individualisme, la primauté de l’échange des savoirs sur la compétition des savoirs en matière d’éducation et de formation ; – ne pas renoncer, quelles que soient les instances de discussion et de négociation, à veiller que l’école de la République, le service public, la laïcité, mis aussi le respect de la diversité culturelle et l’exercice de la démocratie soient présents et vivants ; – ne pas renoncer à des valeurs et à des attentions écologiques comme la générosité, la solidarité, l’ouverture pluridisciplinaire, le multiculturel la tolérance dans ce domaine politique de d’éducation et de la formation ; – ne pas renoncer à poursuivre, dans la lignée d’une pensée foucaldienne, la quête pour ce métier d’enseignant(e) et/ou de formateur(trice) d’une liberté et d’une subjectivité qui sache se mettre dans chacun de ses actes à l’aune d’une solidarité, d’un vivre ensemble et d’un humanisme où chaque rencontre éducative se trouve démultipliée par l’autre, où chaque création est aussi celle des autres. Christian Alin
Page publiée le 07-12-2006
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