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Le logiciel » Tropes » : quels usages en cours de français ?
Caroline d’Atabekian Roger Berthet enseigne le français en lycée à Bourg-les-Valence. Il fait de l’informatique depuis presque 20 ans mais son enthousiasme est resté intact : il est toujours dans les premiers à tester les nouveaux logiciels et il a pris ce risque avec » Tropes « . – Qu’est-ce qui vous a donné envie d’utiliser Tropes en classe ? – La curiosité comme toujours et le fait que je suis sans cesse à la recherche de petits logiciels peu chers ou gratuits qui facilitent le travail de l’enseignant. Je suis professeur animateur occasionnel dans deux CDDP et je fais souvent des formations sur ce thème: « petits logiciels pratiques et pas chers… » Tropes m’a paru être un outil vraiment surprenant. Il fallait donc voir ce qu’il en était. je tiens à souligner que je mets toujours en garde mes collègues en leur disant que ce n’est pas parce qu’on a un outil qu’on doit s’en servir absolument. Après tout je me sers d’un marteau quand j’ai un clou à planter. Mais comment se servir d’un outil si on ne le connaît pas?… – Quelle a été la mise en oeuvre? – J’ai essayé de l’utiliser pour voir avec une classe de seconde (une excellente classe, je dois le préciser). J’ai choisi « La parure » de Maupassant. En fait j’ai commencé par une lecture à voix haute, une lecture plaisir, celle qui seule compte, celle dont ou part et à quoi l’on revient. Dans le cas de ce texte c’est d’autant plus important que la chute est essentielle et joue fortement sur l’émotion. Ensuite nous avons amorcé une lecture analytique avec notre questionnement habituel. Puis j’ai proposé d’utiliser « Tropes » que je venais de découvrir pour voir… ce que faisait la machine. Comme l’impression des résultats n’est pas possible avec la version gratuite, nous avons utilisé un vidéo-projecteur et plus tard j’ai tiré quelques copies d’écran. C’est l’aspect pratique. Je pense d’ailleurs qu’un logiciel de reconnaissance de caractères devrait permettre de récupérer des données sous la forme de textes en traitant les fenêtres copiées. C’est à vérifier. Le balayage de la machine sur un texte aussi long est bien plus précis que l’observation courante. Il me semble d’ailleurs que le traitement offert n’est guère utile pour un texte court ce qui fait regretter la limitation de la version donnée prétendument « complète ». – Quelles pistes de lectures aviez-vous suivies? Quels résultats ? Nous avons regardé si les résultats nous permettaient de conforter des observations déjà faites sur les pronoms, les figures de style, la longueur des phrases… et si nous pouvions découvrir des éléments nouveaux. Ainsi le pronom de la deuxième personne est presque exclusivement utilisé par le mari de Mathilde, l’héroïne. Elle-même ne s’en sert pas. Nous avons donc regardé comment les personnages s’adressaient les uns aux autres: Pronoms, prénoms, longueur des phrases. Leur portrait a été ainsi plus nuancé. Nous avons cherché le rôle du narrateur; il y a ainsi des phrases généralisatrices étonnantes: « car les femmes n’ont point de caste ni de race… » et ce d’autant plus qu’en cherchant la catégorie « femme/classe sociale » on trouve plus loin « une autre femme de sa caste aurait… » Nous nous sommes intéressés au récit et ce d’autant plus que le logiciel juge le texte plutôt « argumentatif ». Nous avons constaté que l’analyse statistique pousse à conclure à l’argumentatif parce que Maupassant explique sans cesse, justifie: « comme, car, parce que… ». Il y a eu aussi des trouvailles sur le vocabulaire de l’argent. Un oubli d’abord, les « louis » n’apparaissent pas dans le vocabulaire relevé sous cette rubrique (malheur aux homonymes!). Le nombre de mots est peuélevé, les chiffres sont précis presque comptables. L’obsession bourgeoise est bien là. – L’analyse du logiciel correspondait-elle en général à ce que les élèves avaient trouvé? – Oui et non, mais c’est ce qui est passionnant. La plupart du temps nos observations initiales ont été renforcées mais l’utilisation du logiciel a stimulé la discussion. Il a bien sûr fallu adapter le vocabulaire d’analyse puisque le logiciel n’utilise pas celui qui nous sert en classe; mais les élèves voient très vite quoi est quoi. – Cela a-t-il donné lieu à un travail sur le vocabulaire « métalinguistique » ? Comment vous en êtes-vous sorti ? – Il est bien que le signifiant ne l’emporte pas sur le signifié ; d’ailleurs même d’un enseignant à l’autre le vocabulaire n’est pas tout à fait le même… Il est clair que nous n’appliquons pas des recettes en classe mais des méthodes raisonnées et qu’un outil même aussi complexe que « Tropes » reste un outil. Un parmi d’autres, et évidemment je ne voudrais pas être OBLIGE de l’utiliser. Finalement le plus intéressant c’est peut-être les erreurs que nous avons relevées: sur la nature des mots par exemple ou les champs lexicaux (certains diront réseaux). – Avez-vous en mémoire des exemples précis ? – Il y a le caractère « argumentatif » déjà cité (en plus des termes explicatifs et démonstratifs de Maupassant, nous avons cru comprendre que ce caractère argumentatif venait aussi des dialogues qui l’emportent sur le récit et qui présentent des « affrontements » divers entre les personnages). On constate que le logiciel ne distingue pas certains pronoms personnels des déterminants articles: « le » et « le »; toujours les homonymes, mais dans ce cas cela nous a semblé plus délicat ou gênant – quoique l’essentiel à mon avis est que les élèves voient ces erreurs. Quand « Tropes » range le mot « rivière » dans les termes géographiques (alors que dans ce texte toutes les rivières sont en diamants… vrais ou faux) cela nous a plutôt amusés. Au bout du compte ce fut un bon exercice d’observation qui a permis de relativiser l’usage de l’outil et de titiller l’esprit critique des élèves. – Justement, quelles recommandations leur faites-vous ? Est-ce qu’ils se rendent clairement compte que ce n’est qu’un outil, que cela ne remplace pas la réflexion? – J’en suis d’autant plus sûr que nous avons une méthode claire (je crois) que je mets en place tout au long de l’année et qui insiste sur l’observation et les conclusions nécessaires qui doivent suivre cette observation; comme n’importe lequel d’entre nous, enseignants de Lettres. J’ai une série de repères que j’appelle des « clefs » (d’autres diront des « grilles » mais une « grille » ça enferme…) – Finalement, que peut-on espérer de Tropes dans un cours de français ? Et à votre avis, que pourrait-on en espérer si les élèves l’utilisaient seuls chez eux? – N’importe quel outil ne vaut que par ce qu’on en fait. Même pour l’ordinateur en tant que tel je prétends que si l’on ne fait pas mieux les choses grâce à lui, il est inutile -(mais j’ai personnellement du mal à m’en passer, aussi bien au début de ma carrière je recopiais à la main sur des stencils plus ou moins baveux le moindre texte qui me paraissait intéressant pour mes classes…). Je ne pense pas qu’il faille recommander l’outil pour un usage personnel à la maison. La discussion est nécessaire. Notre savoir de prof est nécessaire; les élèves l’acceptent s’il est à leur disposition dans un échange. Cela me semble assez évident. A eux on leur demande d’abord d’être curieux, et c’est pour cela que j’insiste sur le fait que la classe avec laquelle j’ai travaillé est une bonne classe (ce qui pour moi veut dire composée certes de jeunes ayant un niveau correct mais surtout vifs, intéressés, amusés souvent, prompts à la réaction ettoujours capables de dialogue). Un vrai cadeau j’en ai conscience et j’en ai profité toute l’année! Roger BERTHET Propos recueillis par Caroline d’Atabekian |
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