Interview de Alain Musset, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) dans « Diplomatie » n°22, septembre-octobre 2006
(Avec l’aimable permission et coopération des éditions Areion Publishing en les personnes de Sophie Clairet et Alexis Bautzmann http://www.areion.fr/publishing/index.html )
Question : La question géopolitique des Amériques est au sujet des concours pour les étudiants en préparation HEC. Quels sont les enjeux et la nouveauté d’une telle question ?
Alain Musset : L’intérêt de la géopolitique des Amériques est à mon avis essentiel car la France présente un retard sur la question des Amériques de manière générale – pas seulement sous l’angle géopolitique. Depuis Napoléon III, la France s’intéresse plus particulièrement à l’Amérique Latine. Il existe aujourd’hui d’importants centres d’études et de recherche, évidemment l’Institut des hautes études de l’Amérique latine à Paris, mais d’autres centres à Rennes, à Toulouse… En revanche, les spécialistes de l’Amérique du Nord sont très peu nombreux, les centres sont petits, bien que très dynamiques (comme le Centre d’études nord-américaines de l’EHESS, mais ce n’est pas le seul). La situation est paradoxale de voir la recherche française à ce point dépourvue alors que les Etats-Unis et le Canada constituent des pays fondamentaux. Mais il en va de même de la connaissance de l’Angleterre, peu d’études britanniques s’étant développées. C’est une stratégie qui me semble essentielle, de réfléchir à la notion des » Amériques « , cet ensemble que les Nord-Américains ont appelé le » western hemisphere » et que même les Sud-Américains qualifient désormais d’ » hémisphère occidental » (el hemisferio occiedental), parce qu’il n’est pas possible de comprendre ce qui s’y passe sans embrasser toutes les interactions. Dire que le Rio Grande sépare l’évolution au Nord et l’évolution au Sud, n’est plus valable aujourd’hui. Les stratégies globales se comprennent en opérant l’union entre les deux. La Géopolitique des Amériques fait partie des stratégies qui se mettent actuellement en place en France, parallèlement au projet d’un institut des Amériques, qui verra travailler ensemble les spécialistes de l’Amérique latine et ceux de l’Amérique du Nord. Le MASCIPO (Mondes américains, Sociétés, Circulations et Pouvoirs) est un laboratoire commun CNRS-EHESS – Paris I – Paris X qui vient d’être crée pour lancer des projets de recherche sur les deux parties du continent. Il faut développer ce type d’activités. L’actualité de la recherche sur les Amériques dépasse le cadre de concours : nous sommes en train de réaliser qu’il y a nécessité de comprendre l’ensemble du continent avec toutes ses interactions.
Question : Cet ouvrage adopte-t-il des perspectives qu’ont pu emprunter par le passé la Géographie Universelle, etc. ? Ou se saisit-il de nouvelles thématiques, de nouveaux angles pour affûter le regard sur les Amériques ?
Alain Musset : Ici, c’est le terme de géopolitique qui est important. Il faut dépasser les frontières traditionnelles que l’on retrouve dans la Géographie Universelle dirigée par Roger Brunet, qui présentait un tome » Amérique du Nord » et un tome » Amérique latine « . D’ailleurs, de manière ironique, les auteurs du tome Amérique latine ont écrit : » il existe des Amériques au sud du Rio Grande « , en n’oubliant pas la grande ambiguïté de départ puisque le terme » Les Américains » désigne désormais les Américains du Nord. Dans Géopolitique des Amériques, c’est bien l’ensemble du continent qui est étudié. Au départ du projet chez Nathan, Yves Lacoste a lancé l’opération. Il s’agissait de travailler sur les Amériques suivant l’angle de la géopolitique, c’est-à-dire en considérant les représentations politiques et culturelles, les stratégies des nations, les problèmes posés par les intégrations régionales et par les stratégies nationales. La géopolitique est utilisée pour comprendre l’ensemble du continent : c’est pour ça que le livre n’est pas divisé en pays ou grands ensembles, mais en thème transversaux. Bien entendu, les Etats-Unis bénéficient d’une place considérable, car ils constituent non seulement la grande puissance continentale mais également la seule superpuissance planétaire. Des chapitres entiers sont donc consacrés aux Etats-Unis : il n’est pas possible de faire autrement compte tenu de l’ordre actuel des forces.
Le dossier spécial :
- Compte-rendu général
- Interview de Frédéric Leriche, Maître de Conférence à l’Université Toulouse-Mirail
- Documents et commentaires par Alain Musset pour le Café Pédagogique
- Pour aller plus loin