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C’est la question que se pose aujourd’hui le gouvernement britannique. Les « questions sensibles » sont celles qui touchent directement les plaies sociales. Et poser la question de leur enseignement renvoie évidemment à la fois à une conception de l’école, de son ouverture et à une opinion sur la société et son ordre Enseigner la Britishness. Commandé par le gouvernement de Tony Blair, le rapport de Sir Keith Ajegbo recommande de les aborder en classe. « C’est le devoir de l’école d’aborder les questions du « vivre ensemble » et de la différence, même si c’est un sujet de controverse… Où les élèves pourraient-ils aborder ces questions si ce n’est à l’école ? » Dans son rapport il préconise de traiter en classe des questions comme l’immigration, l’Europe ou le passé colonial, afin d’apprendre aux jeunes à vivre ensemble. L’objectif final est de tisser le sentiment national, de faire l’apprentissage explicite de la « britannitude » (britishness). « Plus peut être fait pour renforcer le programme de telle sorte que les élèves apprennent de façon plus explicite pourquoi les valeurs britanniques de tolérance et respect dominent dans la société et comment nos identités nationale, régionale, religieuse et ethniques se sont développées. »
En 2005, un rapport officiel avait montré de sérieuses lacunes en instruction civique chez les jeunes Anglais. Un quart des 14-16 ans ignorait quel parti était au pouvoir. Seulement 2% s’identifiaient comme Européens. Aussi le rapport a été bien accueilli par le ministre de l’éducation qui a estimé que « les valeurs que nos enfants apprennent à l’école définiront le genre de pays que sera la Grande Bretagne demain ». Les syndicats n’y sont pas opposés mais restent sceptiques. Pour la National Union of Teachers, le gouvernement devrait d’abord renforcer les moyens destinés aux enfants des familles défavorisées, c’est-à-dire aux minorités ethniques et aux enfants de la « White Working Class ». La question se pose évidemment également en France mais dans un contexte différent. L’éducation civique est plus solidement installée qu’en Angleterre (c’est une des disciplines les plus anciennes). Avec l’histoire, elle couvre la totalité de l’enseignement obligatoire (et même au-delà). Son importance est rappelée dans le socle commun.
Et en France ? Pour autant, en décembre 2005, un séminaire européen a rendu publiques les difficultés rencontrées par les professeurs pour enseigner certains sujets. Ainsi une enquête de l’Aphg trace une géographie du phénomène : les régions de l’est et du sud-est, particulièrement Aix-Marseille et Strasbourg, sont plus sujettes à des incidents que l’ouest. Cinq thèmes semblent poser problème : le fait religieux, confondu avec le catéchisme, la deuxième guerre mondiale, qui provoque des réactions antisémites, le Proche Orient, pour la même raison, les États-Unis, qui réveille un antiaméricanisme galopant, et la colonisation. Pour l’Aphg, « les professeurs ne doivent pas céder » et doivent maintenir le programme d’histoire. Ils doivent lutter contre l’ignorance, éveiller l’esprit critique et ne pas hésiter à faire appel à des témoins. Ces recommandations sont sans doute judicieuses. Mais, lors du même colloque, l’historien André Kaspi posait une question plus dérangeante : « peut-on enseigner des sujets difficiles si la société ne guérit pas de ses maux ? » Or, parmi les systèmes éducatifs européens, le système français se caractérise par sa dimension ségrégative. Le fait a été évoqué par Georges Felouzis dans une étude célèbre sur les collèges du sud-ouest. Plus récemment, l’Ocde a calculé que « plus de 40 pour cent des élèves allochtones en Belgique, en France, en Norvège et en Suède… affichent des performances inférieures à celles attendues au niveau 2 ». Ainsi, alors que le score moyen en maths des Français autochtones est de 520, celui des immigrés de première génération est de 448 et celui des immigrés de seconde génération est de 472. Seules la Belgique, la Suisse et la Suède affichent un écart encore plus fort que la France. Et l’Ocde de conclure : « De fait, dans bien des pays, les enfants issus de familles immigrées sont désavantagés dès le départ. Ils sont en général affectés à des établissements scolaires moins performants qui ont souvent pour caractéristique d’accueillir des enfants issus des milieux défavorisés et où, dans certains pays, les conditions de vie en classe sont conflictuelles. Dans tous les pays examinés sauf quatre, au moins 25 % des enfants issus de la deuxième génération d’immigrés fréquentent des établissements scolaires où les populations immigrées représentent plus de 50 % des effectifs. En comparaison, moins de 5 % des enfants autochtones se trouvent dans cette situation dans tous les pays sauf deux. » La question de l’enseignement des questions difficiles dépasse largement celle de sa pédagogie. Le fait que le gouvernement britannique n’ait pas d’hésitation est bon signe. La baisse de régime de l’enseignement prioritaire en France devrait rendre cet enseignement toujours plus ardu.
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