Par Benoît Galand
Se motiver à apprendre : un défi pour l’Ecole
Troisième ouvrage de la collection « Apprendre » des PUF, « Se motiver à apprendre » aborde un sujet qui était, il y a peu, encore tabou. Comment lutter contre l’ennui en cours ? Qu’est ce que la motivation ? Benoît Galand, qui a co-dirigé cet ouvrage – bilan, répond aux questions du Café.
Pendant longtemps le système éducatif français ne s’est pas vraiment posé la question de la motivation. Et puis on a vu apparaître un colloque sur l’ennui scolaire qui a fait date. Et par réaction toute une polémique sur l’ennui, les conservateurs de l’Ecole l’élevant même au rang de vertu. Comment expliquer cet intérêt pour la motivation ? Pourquoi n’est-il pas apparu plus tôt ? Pourquoi fait-il encore débat ?
Vivant en Belgique, je n’ai que des échos lointains du débat français. Je pense en tout cas qu’il est important de ne pas confondre l’intérêt médiatique, d’une part, et les préoccupations des professionnels de l’éducation, d’autre part. Comme en témoignent de nombreuses sections de notre ouvrage, les enseignants, les formateurs et les chercheurs – en France et ailleurs – n’ont pas attendu le colloque sur l’ennui pour se pencher sur les questions de motivation. Ces questions arrivaient d’ailleurs en première position parmi les difficultés concrètes rapportées par les enseignants lors des consultations de la commission Thélot, avant les questions de discipline et de violence.
Ceci dit, plusieurs sociologues avancent l’idée que, suite à une série de changements sociaux (massification de l’enseignement, évolution du marché du travail, inflation des diplômes, etc.), la question de la motivation scolaire se poserait aujourd’hui avec une acuité particulière. Il ne faudrait donc pas que l’intérêt pour la motivation amène à se focaliser sur les individus en occultant le contexte social qui les entoure.
Le professeur est-il toujours responsable de la motivation de ses élèves ?
Certainement pas. En lien avec ce que je viens de dire, les théories actuelles de la motivation soulignent l’imbrication entre les processus individuels et le contexte social. C’est un point sur lequel nous insistons beaucoup dans notre ouvrage. Chacun d’entre nous à des projets, des préférences, des croyances qui influencent sa motivation par rapport à telle ou telle activité, mais nous sommes également fort sensibles au contexte dans lequel nous nous trouvons : contact avec autrui (enseignant ou pair par exemple), consignes, feedback, etc. Et tous ces éléments interagissent constamment les uns sur les autres. Par exemple, nos objectifs guident notre attention et colorent nos perceptions, mais dans le même temps le type d’activités que nous réalisons et les réactions d’autrui influent sur les objectifs que nous nous fixons.
Dans cette vision des choses, la responsabilité professionnelle des enseignants portent sur les moyens, pas sur les résultats. Il s’agit pour eux – à travers leurs activités professionnelles – de s’efforcer de mettre en place un environnement, un climat, le mieux à même de susciter et soutenir la motivation des élèves. Cette démarche n’offre cependant aucune garantie, puisque ce sont in fine les élèves qui s’engagent plus ou moins dans les apprentissages, et que cet engagement ne dépend évidemment pas uniquement du contexte scolaire.
Il y a-t-il des disciplines plus ennuyeuses que d’autres ?
Non, il n’y a pas de raisons qu’une discipline soit intrinsèquement plus intéressante qu’une autre. Il est peut-être plus facile de susciter l’intérêt des élèves sur certains contenus, mais il ne s’agit là que d’un élément de la motivation. Les recherches indiquent que c’est surtout la manière d’aborder un contenu qui va être déterminante.
Si on devait lui donner quelques conseils, que peut-il faire pour créer un climat favorable ?
Notre point de vue dans cet ouvrage est que le rôle de la recherche n’est pas de donner des conseils. Selon nous, la recherche permet de mieux comprendre comment les choses se passent et les alternatives dont nous disposons, ce qui peut parfois nous permettre de choisir en meilleure connaissance de cause. A cet égard, au moins trois constats se dégagent clairement des travaux scientifiques. Un. La motivation est quelque chose de dynamique, qui se reconfigure au fil du temps. Deux. Une diversité de facteurs et d’acteurs entrent en jeu dans la motivation. Trois. Il existe des sources multiples de motivation : je peux étudier parce que je veux m’améliorer, faire plaisir à mes parents, éviter de paraître nul, accéder à un métier qui me plaît, obtenir un emploi bien payé, etc. Par conséquent, il est possible d’intervenir sur la motivation et il existe une diversité de moyens d’action possible. « La » solution miracle ou « la » bonne méthode pédagogique n’existe pas, d’autant que la motivation comprend toujours une part de subjectivité personnelle.
Loin des procès d’intention, ces constats invitent à s’interroger sur le concret de ses pratiques quotidiennes : choix de contenus et d’activités, comportements en classe, système d’évaluation, etc. Tout d’abord, je peux m’interroger sur ce que je veux créer comme climat : un climat favorable à quoi ? Sur ce sujet, il semble qu’une dimension importante est la mesure dans laquelle je mets l’accent sur la compréhension et les progrès de tous, quel que soit le niveau par rapport aux autres, ou au contraire sur la comparaison entre les « bons » et les « mauvais » et sur la promotion des plus performants. Suivant ma position sur cet axe, mes élèves développeront probablement des motivations différentes vis-à-vis de mon cours. Comme la motivation est largement un processus relationnel et affectif, je peux aussi m’interroger sur le degré de respect, d’équité et de soutien que je manifeste à mes élèves, sachant que ce sont des éléments auxquels leur motivation scolaire est très sensible.
On le sent bien l’évaluation par exemple peut être source de démotivation. Que peut-on recommander ?
L’évaluation est bien sûr un élément-clé dans la motivation. Je ne développerais ici que deux éléments. Premièrement, c’est en grande partie sur la base des pratiques d’évaluation que les apprenants de font une idée de ce qui compte vraiment pour nous, enseignant ou formateur. Si vous insistez sur l’importance de la compréhension, mais que vous évaluez surtout des connaissances factuelles à retenir par cœur, la plupart des apprenants se limiteront à ce dernier aspect. Je peux dès lors me poser la question suivante : mes évaluations valorisent-elles bien les apprentissages que je souhaite faire acquérir à mes élèves, sont-elles cohérentes avec les objectifs ?
Deuxièmement, il est généralement plus motivant de réussir une activité que d’y échouer. Mais l’on va justement à l’école ou en formation parce que l’on a des choses à apprendre. Il y a donc de fortes chances que l’on fasse des erreurs à un moment ou l’autre. Heureusement, les recherches sur la motivation montrent que la manière dont on m’informe d’une erreur à autant d’effet, si pas plus, que l’information en elle-même. Par exemple, les feedbacks qui précisent les éléments à améliorer ET les progrès réalisés ou les points forts, n’ont souvent aucun effet négatif sur la motivation, au contraire d’une note globale. D’autre part, des commentaires négatifs n’ont habituellement aucun effet encourageant. En fait, tout message signifiant à l’apprenant que l’on pourrait penser qu’il est incapable dans tel ou tel domaine à des effets désastreux sur la motivation. Ainsi, je peux me demander si mes pratiques d’évaluation permettent bien aux élèves d’identifier ce qu’ils ont appris et ce qui leur reste à apprendre, tout en leur communiquant l’idée qu’ils sont capables d’apprendre et de progresser.
Une étude récente montre que les pairs ont une forte influence sur l’absentéisme. Peut-on en dire autant pour la motivation scolaire ?
Les pairs sont un des éléments de l’environnement éducatif des jeunes, au même titre que la famille, les enseignants et les autres professionnels de l’éducation. Les recherches indiquent que l’on peut intervenir sur la motivation par le biais de chacun de ces acteurs, mais elles ne soutiennent pas l’idée que l’on puisse faire porter la responsabilité principale sur l’un d’entre eux. Par exemple, un adolescent dont les amis jugent que l’école est une perte de temps a – comme on s’en doute – moins de chance de s’investir dans sa scolarité. Mais le choix de ses amis dépend en partie de l’attitude de ses parents, des relations nouées avec les enseignants, de son histoire scolaire, etc. Chacun peut donc avoir un rôle à jouer.
Il y a une forte tendance actuellement à revenir au classement et à la compétition, perçue par certains comme un moteur de motivation. Est ce vrai ?
Selon moi, il faut bien distinguer émulation et compétition. Reconnaître et mettre en valeur les progrès et les réussites peut être très stimulant et montrer ce qu’il est possible d’accomplir. Les recherches indiquent abondamment que les problèmes apparaissent quand cette mise en valeur se double d’une comparaison et d’un classement. Bien sûr, les élèves tendent spontanément à se comparer entre eux, mais un risque apparaît quand le système d’évaluation accorde de l’importance à cette comparaison. Les élèves risquent alors de se détourner des savoirs eux-mêmes pour se focaliser sur leur position dans la hiérarchie. La compétition lie l’obtention de reconnaissance à la position par rapport aux autres plutôt qu’aux progrès réalisés et instaure la menace perpétuelle de se retrouver parmi les « perdants ». L’acquisition de savoirs (et de la satisfaction que cela apporte) n’est donc plus prioritaire. Ceux qui s’estiment compétent sur la dimension évaluée vont concentrer leur énergie à l’obtention d’une bonne place, quitte à recourir à la tricherie ; ceux qui s’estiment peu compétents vont chercher à éviter de paraître « nuls », quitte à faire le pitre ou à ne rien faire pour se donner une excuse.
En outre, la compétition fait des autres apprenants des adversaires plutôt que des ressources pour l’apprentissage, ce qui ne favorise ni les relations harmonieuses dans la classe, ni le développement des habiletés à travailler en équipe. Tout cela dans une ambiance stressante peu favorable à un apprentissage en profondeur. Autrement dit, le problème de la compétition n’est pas son absence d’effets motivationnels, c’est plutôt qu’elle instaure une type de motivation qui ne me semble pas très fructueux.
Alors peut-on dire que la motivation est aussi un élément du tri social exercé par l’Ecole ?
Des études menées auprès d’enfants de la maternelle ne montrent aucune différence suivant l’origine sociale en ce qui concerne la motivation à apprendre. Elles pointent par contre certaines différences dans l’acquisition de savoirs et d’attitudes (par exemple dans le rapport aux savoirs) valorisées par l’Ecole. Par conséquent, on ne peut pas expliquer le maintien ou le renforcement des inégalités sociales que produit l’Ecole par des différences de départ en termes de motivation. Dans nos systèmes scolaires, le tri social s’opère principalement via une combinaison du choix des établissements, du doublement et de l’orientation dans des options ou filières différentiées. Par conséquent, les différences de motivation sont davantage un reflet de ce processus qu’un déclencheur, mais elles vont contribuer à l’alimenter, avec les risques de cercle vicieux que cela suppose… Inversement, un travail sur la motivation peut parfois permettre d’échapper à cet enchaînement.
Benoît Galand
Université catholique de Louvain
Changements pour l’égalité
Entretien François Jarraud
BOURGEOIS, Etienne, GALLAND, Benoît, (Se) motiver à apprendre, Presses Universitaires de France, 2006, collection Apprendre.
Liens :
Sur l’ouvrage, une page INRP
Conférence de B. Galand