» Pour apporter aux élèves « la confiance dont ils ont besoin pour leur réussite personnelle et professionnelle »… le service public de l’éducation nationale doit se rapprocher du terrain, de l’usager, de chaque élève et de sa famille, de manière à répondre de façon appropriée à une demande diversifiée. La politique éducative passe désormais par une individualisation des dispositifs et des pratiques pédagogiques, qui permet « de soutenir les plus faibles, tout en encourageant les plus forts à se dépasser » et de doter ainsi chacun d’armes égales dans la confrontation à venir avec la vie sociale et professionnelle. Le système éducatif est donc confronté à deux exigences étroitement corrélées : d’une part, l’amélioration du service rendu et l’écoute de l’usager ; d’autre part, le souci permanent de préserver l’égalité des chances tout au long de la scolarité, dans les trois degrés d’enseignement, en dépit des difficultés ou des handicaps de toutes sortes qui affectent un certain nombre d’élèves et d’étudiants ». Egalité des chances, individualisation : ces deux notions s’associent sans doute davantage que ne le laisse entendre cette introduction au rapport annuel de l’Inspection générale.
Le document reprend les principaux rapports réalisés par les inspecteurs cette année. Ils ont été présentés en leur temps dans L’Expresso. Mais le rapprochement dans un seul ouvrage vaut synthèse et donc éclaire singulièrement les orientations de l’Inspection.
On retiendra ici trois aspects qui nous semblent marquer l’air du temps scolaire : les rapports entre l’Ecole et les familles, l’égalité des chances et le rôle dévolu aux ENT.
De la question de la carte scolaire à celle de l’évaluation. Rappelons-le : les rapports entre les familles et l’Ecole, et plus précisément la place des secondes dans la première, sont aujourd’hui au centre d’une réflexion et dévolutions communes à tous les pays développés. Dans un rapport récent, l’Ocde estimait que « les débats sur la réforme scolaire dans les pays de l’OCDE accordent une place prééminente aux questions d’augmenter la participation des parents à la vie des établissements et la personnalisation de l’enseignement ou d’améliorer les services publics sous la pression d’un quasi marché scolaire ». Selon l’Ocde, la tendance générale est à diversifier l’offre scolaire, à assurer plus d’autonomie aux établissements et plus d’information aux parents. Partout le choix est offert aux parents entre plus de liberté de choix des établissements ou plus de pouvoir dans l’école. Partout d’ailleurs, les parents optent pour le choix. Le modèle participatif est en effet mal accepté.
Ce manque de participation est confirmé par le rapport de l’Inspection générale : le taux de participation est passé de 51% à 43% de puis 1998. Mais l’Inspection écarte le débat sur le choix de l’école, qui semble pourtant prioritaire, et souligne prioritairement les lacunes de l’Ecole. Elle cite par exemple » une grande hétérogénéité, non seulement selon les établissements ou selon les ordres d’enseignement, mais également à l’intérieur du même ordre d’enseignement d’une année à l’autre, d’une discipline à l’autre, à l’intérieur de la même discipline et d’un professeur à l’autre » dans les documents d’évaluation transmis aux familles. » Élèves et familles sont donc très mal renseignés sur la façon dont se construisent les apprentissages individuels : ayant essentiellement à leur disposition des moyennes et des résultats à des examens résultant aussi de moyennes, il leur est très difficile de se faire une idée plus fine des acquis et des lacunes. Particulièrement déresponsabilisante, cette situation a des conséquences d’autant plus fâcheuses pour les élèves qu’ils sont fragiles ».
Du coup la question de la participation parentale est utilisée pour introduire de nouvelles formes d’évaluation dans l’Ecole. L’Inspection préconise de nouveaux documents qui ne sont pas sans conséquences sur les pratiques pédagogiques. » Les élèves, pour leur part, seront dotés des tableaux de bord de leurs apprentissages. Ils seront ainsi informés de ce que l’on attend d’eux et auront les moyens de suivre les progrès de leurs acquis. Le livret scolaire, notamment, deviendra pour eux un instrument majeur, au service de leur scolarité, et sera défini par une déontologie explicite : il ne devra, par exemple, comporter aucun jugement global sur la personne de l’élève. En outre, il exclura toute évaluation chiffrée sous forme de moyenne en dehors des années d’examen et devra renseigner précisément l’élève et son entourage du niveau d’atteinte des différents acquis prévus dans les programmes officiels, à une date donnée. Tout ce qui relève du comportement de l’élève face au travail ou à la vie scolaire sera communiqué aux familles par document séparé… Par ailleurs, un document présentant la manière dont l’établissement élabore et fournit des résultats sur les acquis des élèves sera réalisé par le conseil pédagogique. Préparé et utilisé en conseils de cycles, de classe et d’enseignement, il sera présenté au conseil d’école et au conseil d’administration ou diffusé à l’ensemble des familles ». Si cette prescription est mise en application elle pourrait amener des changements profonds dans l’organisation de l’évaluation et peut-être une réflexion collective sur celle-ci.
Pour autant, si l’Inspection rend un hommage singulier à l’enseignement privé dans son rapport (p.65), elle ne pose pas la question de l’efficacité de la participation parentale et des inégalités générées par le relâchement de la sectorisation.
L’égalité des chances et la critique des zep. Promouvoir l’égalité des chances est le second objectif du rapport. L’Inspection trace un portrait équilibré des zep. « Les chercheurs aussi bien que les autorités ministérielles s’accordent à dire que ni l’efficacité globale de l’éducation prioritaire, ni sa capacité à corriger l’inégalité des chances n’ont été clairement établies. Ainsi, elle n’a produit que peu d’effets tangibles sur les écarts constatés entre les résultats scolaires des élèves en éducation prioritaire et hors éducation prioritaire. Quant aux moyens supplémentaires attribués aux ZEP, ils n’ont pas réussi à augmenter sensiblement les performances des élèves… Néanmoins, l’éducation prioritaire a réussi à maintenir les mêmes écarts de résultats, tout en diminuant la proportion des élèves en retard, alors que, aux dires de beaucoup, la situation sociale s’aggravait. Elle a également amélioré l’ambiance et la vie scolaire des établissements les plus difficiles. Enfin, on a pu constater qu’à publics sensiblement équivalents, il existe des zones ou des réseaux qui réussissent quand d’autres échouent, ce qui signifie qu’il n’y a pas de déterminisme de l’échec ».
Car pour l’Inspection, l’égalité des chances serait possible en zep avec un effort pédagogique. « La pédagogie, avec ses exigences temporelles et ses cadres didactiques, n’a sans doute pas eu la place qui aurait dû être la sienne dans les écoles et les collèges relevant de l’éducation prioritaire ». L’Inspection décrit des enseignants qui « finissent par limiter leurs exigences » ce qui expliquerait les faibles progrès des zep.
Du coup les réponses apportées par le rapport se limitent à l’individualisation. « Ce changement de logique doit être encouragé par tous les moyens. Ses traductions dans le fonctionnement de l’institution et de son environnement sont multiples : la substitution, notamment en matière d’éducation prioritaire, à une discrimination positive par zone géographique d’une action plus appropriée à certains publics (par établissement, par classe ou par groupe rassemblant un effectif homogène) ; le développement systématique du diagnostic et du suivi individuel, pour prévenir la difficulté scolaire et plus encore les sorties sans qualification ».
Une approche qui a deux défauts majeurs. D’une part elle ignore la logique territoriale mises en place dans le cadre des projets de réussite éducative locaux. D’autre part elle réfute la dimension sociale de ‘échec scolaire. Enfin elle évacue la question des moyens.
Les ENT panacée du système éducatif ?. Mais les pages les plus inattendus concernent les espaces numériques de travail (ENT). Ceux-ci sont perçus comme « une extension de l’Ecole vers l’espace familial ». « Les espaces numériques de travail, dont on a précédemment souligné le rôle dans le rapprochement de l’École et des familles, sont également porteurs de nouvelles conditions d’usage des TIC en éducation. Leurs fonctionnalités font, en effet, apparaître des modalités inédites d’aide et de soutien scolaire. Les possibilités d’accompagnement individualisé par le professeur permettent de compenser certaines difficultés rencontrées en classe entière pour différencier l’enseignement en fonction des besoins de chacun. Le travail commencé en classe peut être repris, prolongé, et ce d’autant plus facilement que les productions réalisées ont été sauvegardées, mises en ligne et rendues accessibles sur des espaces personnalisés. Les principales notions traitées en cours, les supports utilisés peuvent être retrouvés par l’élève qui veut consolider ses acquis entre deux séances. En outre, les ENT facilitent l’accès autonome aux savoirs et aux sources d’information et permettent ainsi une éducation de l’esprit critique ». L’inspection semble en attendre un renouvellement des pratiques pédagogiques. Les ENT peuvent-ils suffire à les faire évoluer ? On peut en douter. D’autant que les expériences passées montrent que les usages qui en sont faits ne sont jamais ceux qui étaient attendus.
A travers ces trois exemples, on voit une caractéristique se dessiner. L’Ecole semble maintenant sous une pression croissante des parents. C’est pour assurer leur information, pour mieux les intégrer à l’école, pour accompagner leurs enfants que le rapport propose des solutions. Mais de quels parents s’agit-il ? Comme le fait remarquer le rapport de l’Ocde, accorder plus de pouvoir aux parents se fait souvent au bénéfice des parents aisés.