« Transmise de père en fils, de mère en fille, la crainte de l’échec, du déclassement, renvoie chaque enfant, livré à lui-même dans une société marquée par l’individuation, au dogme de la réussite. L’aspiration à celle-ci, parfois, est sans limite. Elle devient un but en soi, presque un impératif psychique : un idéal de perfection et d’excellence, un Graal, par définition inatteignable. On en saisit l’écueil, l’autre versant, son pendant angoissé : la crainte de n’être pas à la hauteur, de ne pas y arriver. Et chaque jour que le calendrier scolaire fait de subir, par le bulletin de notes, l’empreinte de sa (non ?) réussite chiffrée ». Dans une tribune du Monde, Jean-Michel Dumay évoque l’angoisse, voire la phobie scolaire, que certains jeunes construisent face à l’Ecole et ses exigences.
Et il les rapproche du culte français de la moyenne, décrié récemment par Roger-François Gauthier dans la Revue internationale d’éducation Sèvres (voir L’Expresso du 16/01/07). Il mêle ainsi deux aspects du système éducatif qui méritent qu’on s’y attarde : l’évaluation et l’estime de soi.
Avant la publication de la Revue de Sèvres, des travaux officiels, à commencer par un rapport de l’Inspection générale, ont mis en évidence les limites du système d’évaluation français. Dans un rapport de 2005, l’Inspection générale soulignait que » la culture de l’évaluation tarde à s’enraciner… Les outils ne manquent pas. Ils sont au contraire pléthore. Mais certains sont trop rudimentaires pour permettre d’apprécier les acquis des élèves. D’autres, plus pointus et sans doute plus adaptés, sont, en matière de pilotage, peu utilisés ». Au niveau des enseignants, « si l’on constate que la très grande majorité des enseignants sont capables d’évaluer précisément les capacités et le niveau de chacun de leurs élèves, ils ont souvent du mal à traduire cette appréciation de manière fine en termes d’acquis, à l’expliciter et à la faire remonter vers la communauté éducative comme à la faire redescendre à l’élève et à sa famille. La conversion de toute évaluation en note et, dans certains établissements, le compactage en » note moyenne » par discipline sur le bulletin trimestriel de toutes les notes obtenues par l’élève au cours du trimestre… réduisent considérablement la précision de l’analyse des acquis et des manques ». D’autres, comme André Antibi, ont pu montrer qu’une « constante macabre » pèse sur la notation et en pervertit la fonction.
La question de l’estime de soi est étroitement liée à celle de la notation. Dans Education & Management n°31, Yves Dutercq a pu rappeler que « les enseignants français ont, dans leurs évaluations, tendance à insister sur les échecs plus que sur les réussites des élèves ». Pour Pierre Merle, « un collégien sur cinq s’est déclaré senti souvent ou assez souvent humilié par son professeur ». Cette culture du « rabaissement scolaire » nuit évidemment aux résultats. Pour P. Merle « les recherches ont montré que les jugements des enseignants influencent davantage la réussite des élèves faibles que celle des élèves forts ».
C’est aussi ce que nous disent les travaux en psychologie sociale. Dans « (Se) motiver pour apprendre (Puf 2006), Delphine Martinot montre l’importance de la connaissance de soi dans la motivation scolaire. « Avoir une bonne estime de soi et des connaissances de soi de réussite dans le domaine scolaire est un facteur de réussite scolaire car cela favorise les efforts et la persistance dans l’apprentissage et face aux difficultés ».
Faut-il alors abandonner la notation qui peut sembler démotivante ? Il semble que la réponse soit ailleurs. D. Martinot nous invite à « aider les élèves à dissocier leur estime de soi dans le domaine scolaire de leurs performance scolaires ». Ce qui implique pas seulement une autre façon d’évaluer mais aussi une place différente faite à l’erreur. P. Picard, dans le même ouvrage, montre par exemple comment la réflexion menée sur les erreurs, c’est-à-dire la volonté de montrer la réflexion qui les amène, peut être stimulante pour les élèves.
Ainsi l’enseignant a un rôle clé dans la motivation de ses élèves. Mais d’autres facteurs, entre autres sociaux, ont aussi leur place dans l’attitude que prendra l’élève. « La motivation à apprendre est décidément bien une affaire d’interactions entre des facteurs individuels propres à l’élève et des facteurs contextuels. Ceux-ci ne concernent pas uniquement la classe, le groupe et les pratiques pédagogiques mais également l’institution et la société en général » écrivent Etienne Bourgeois et Benoît Galand.