8 février : Succès d’une journée ?
A en croire le ministère, les professeurs étant particulièrement satisfaits de Gilles de Robien, le taux de grévistes ne fait que baisser à l’éducation nationale. Le communiqué officiel annonce 30% de grévistes dans les lycées et les écoles et 35% au collège. Soit nettement moins que dans les conflits précédents. Les syndicats annoncent eux 53% dans le second degré et 50% au primaire. A coup sûr la mobilisation n’a pas baissé depuis le 18 décembre. Des cortèges ont eu lieu dans les grandes villes : 10 à 20 000 personnes à Marseille, 3 à 4 000 à Lyon et Bordeaux, 80 000 à Paris. Partout les enseignants étaient particulièrement nombreux. Le Monde évoque leur « exaspération ».
Pour le Se-Unsa, les enseignants expriment un ras-le-bol, « ras-le-bol des réductions de moyens qui, en cette période de carte scolaire, déstabilisent les écoles et établissements ; ras-le-bol des passages en force, des attaques contre les statuts qui alourdissent leurs conditions de travail, des discours dévalorisant leur métier ; ras-le-bol, avec l’ensemble des fonctionnaires, des baisses de pouvoir d’achat et des attaques contre le service public ».
Le Snes appelle les enseignants, tant que leurs revendication ne sont pas entendues, « à amplifier le mouvement en cours contre le décret et les suppressions de postes : opérations « à chaque établissement son action anti-décret » menées en recherchant le soutien des parents d’élèves et des lycéens : grève du zèle, ajournement des examens blancs, refus des réunions non réglementaires et des tâches supplémentaires, etc.; participation aux actions unitaires (manifestations, grèves, etc.), décidées au niveau des départements et des académies, en liaison, notamment, avec les réunions des Conseils Techniques Paritaires; mise en débat des formes que pourrait prendre le prochain rendez-vous national que la profession donnera au Ministre de l’Education ».
Alors que le mouvement se durcissait depuis quelques jours, la publication annoncée ce vendredi du décret sur les décharges et la bivalence ne peut qu’augmenter l’exaspération et aggraver le durcissement des actions dans les opérations. Le Café a déjà reçu des annonces en ce sens.
Pourquoi faire grève ?
Selon l’AFP, le décret instaurant la bivalance et supprimant les décharges de certains enseignants devrait être publié vendredi 9 février. L’annonce par le ministère de cette publication à cette date n’est pas innocente. Elle est à mettre en rapport avec la manifestation unitaire du jeudi 8 février organisée contre ce texte.
Le projet de décret a deux effets sur les enseignants : il réduit de façon sensible leurs revenus : le ministère évalue à 1500 euros la perte annuelle. D’autre part il impose au collège la bivalence selon les besoins du service, c’est-à-dire qu’il touche directement au savoir-faire et à l’identité des enseignants.
Techniquement, le décret réduit de façon drastique l’attribution de l’heure de première chaire aux seules classes préparant une épreuve du bac, excluant les autres classes de lycée et les BTS.
Le calcul des majorations horaires ne se fait plus sur une classe mais sur une « division ». Par exemple, tout professeur qui enseigne 8 heures ou plus devant des divisions de moins de 20 élèves voit son service majoré d’une heure. Le cumul de ces deux mesures va frapper de plein fouet certains professeurs des sections technologiques par exemple…
Les heures de laboratoire d’histoire-géographie sont supprimées. Celles de SVT et physique-chimie, suite aux réactions des associations professionnelles, semblent momentanément sauvées. Momentanément, car un nouveau texte met à la discrétion du recteur la gestion de ces heures pour des actions d’éducation et de formation sous contrôle précis de l’administration. Si l’on suit les recommandations des audits qui sont à l’origine du projet de décret, ce texte devrait permettre d’attribuer à des enseignants des tâches administratives, de coordination ou d’appui aux corps d’inspection, générant ainsi une suppression de postes administratifs.
Les professeurs en perte de service et les TZR pourront se voir imposer d’enseigner dans une autre discipline selon les besoins des établissements. Le décret introduit donc la bivalence officiellement avec la possibilité de l’imposer à tout professeur de collège.
En EPS, les 3 heures d’activités sportives ne sont plus de droit mais soumises à contrôle et acceptation par le chef d’établissement. Les heures de coordination rentrent dans le système de déclaration rectorale évoqué ci-dessus.
Le texte répond-il au besoin de faire évoluer le métier ? A l’origine de ce texte, un audit commun aux ministère des finances et de l’éducation nationale. En aboutissement, dans la loi de finances 2007, la récupération de 3 000 emplois d’enseignants à la rentrée 2007. C’est dire que la logique budgétaire encadre totalement le texte. Le décret a pour objectif de récupérer des moyens dès 2007.
Mais l’audit a aussi programmé l’avenir. La suppression de toutes les décharges est prévue dans un planning budgétaire établi jusqu’en 2010. Deux faits motivent cette pression budgétaire. D’une part la volonté d’augmenter le budget de l’université sans toucher à celui de l’éducation. D’autre part les besoins en postes d’enseignants créés par la loi Fillon. Cette loi est adoptée et impose des créations de postes que le gouvernement n’envisage de financer que par des économies. Plusieurs scénarios sont envisagés : ces suppressions de décharges mais aussi une réduction des heures d’enseignement, voire la suppression de certains enseignements.
Même si le texte prétend permettre à une modernisation du métier, son contenu, la nature des décisions, leur histoire, la nature même des mesures prises par ailleurs par le ministre (sur la lecture, la grammaire etc.), tout cela atteste d’une volonté de maintenir l’école traditionnelle en en abaissant le gabarit plutôt qu’un désir de rénovation. On chercherait en vain dans ce texte une définition nouvelle du métier prenant en compte les nouvelles missions des enseignants. On y chercherait en vain la volonté de faire réussir tous les élèves.
Quels risques pour les parents ? On saura jeudi si la mobilisation des enseignants garde le haut niveau du 18 décembre. On assiste depuis deux semaines à un durcissement local du mouvement. Dans quelques dizaines de lycées, les examens blancs ont été annulés, les notes ne sont plus distribuées, des conseils de classe tournent à vide.
Ce mouvement devrait durer et se renforcer. Dans un communiqué publié le 6 février, le principal syndicat enseignant, le Snes, appelle les professeurs à » développer les actions en cours dans les établissements contre le décret et les suppressions de postes. Ces actions peuvent prendre des formes diverses : grève du zèle, ajournement des examens blancs, refus des réunions non réglementaires, refus des tâches supplémentaires, journées de la bivalence, etc. » La baisse de salaire imposée touche surtout les lycées qui aujourd’hui sont en pointe dans le mouvement. Mais la mise en place de la bivalence, parce qu’elle touche à l’identité des enseignants, devrait mobiliser des collèges.
Risques de dérapages dans la mobilisation contre le décret sur les décharges ?
» A quelques jours de la manifestation du 8 février, les enseignants sont-ils en train de durcir le mouvement ? Pour avoir une vue plus complète, le Café recueille vos témoignages ». Vous avez répondu à cette demande du Café et signalé des actions en cours dans des établissements contre le décret supprimant les décharges des enseignants. Vous pouvez continuer à le faire !
Ce premier tour d’horizon montre que des actions spontanées ont bien lieu sur l’ensemble du territoire mais sont limitées en volume. Elles ne semblent concerner que des lycées.
Souvent ce sont les examens blancs qui sont ciblés, puisque certaines décharges disparaissent des classes de seconde et première. C’est le cas par exemple dans des lycées de Gondrecourt (59), Meylan (38), Rennes (35), Villefranche sur Saône (69) etc.
Ailleurs les professeurs assistent passivement aux conseils de classe ou refusent de remplir les livrets. Parfois, mais cela semble plus rare, les enseignants rendent les devoirs corrigés mais ne communiquent plus les notes. C’est le cas par exemple dans un établissement d’Orléans.
Ces mouvements sont aussi critiqués par nos lecteurs et rejetés par des enseignants. » A plusieurs moments dans l’histoire de l’éducation, le syndicalisme a manqué le coche » écrit un lecteur. « Préserver a tout prix les acquis, ne pas se remettre en question et un seul remède, réclamer des moyens supplémentaires mais… quand ils ont été obtenus, pour quels résultats ? ». Alors que chaque établissement va très prochainement recevoir sa dotation horaire pour 2007, l’ambiance pourrait se dégrader dans les lycées.
Retour sur le 20 janvier…
Après l’appel en solo de la FSU, et avant la mobilisation Fonction Publique attendue pour le 8 février, le pari de la plus grosse organisation syndicale de l’Education n’était pas gagné d’avance.
Pourtant ils étaient nombreux à s’être déplacés. Le Café les a interrogés : « Pourquoi êtes-vous venu ? » « Pourquoi votre meilleur ami est-il absent ? » Pour Gérard Aschiéri, la FSU » demande de pouvoir bouger sur le travail des enseignants ». Gilles Moindrot est satisfait de cette journée.