Dossier spécial
Quel CPE ne se souvient de tel surveillant qui abusait de son statut protecteur, qui profitait sans vergogne des arrêts de maladie, qui récusait toute autorité. Quel CPE ne se souvient des difficultés qu’il a rencontrées pour sanctionner tel surveillant qui refusait de participer à la vie de l’établissement, qui ostensiblement n’avait rien à faire des recommandations, qui ne pensait qu’au salaire et non à l’éducatif ? Les exemples de dérive ne manquent pas, et l’on sait tous combien la fonction de surveillant semblait en décalage avec les besoins des élèves et des établissements. Le statut protecteur privait souvent l’établissement de tout moyen de pression adéquat. Au mieux, et au vu des rapports successifs des CPE soutenus par les chefs d’établissement, ils étaient mutés, mais le problème n’était que déplacé.
Et pourtant, la fonction de surveillant avait quelques avantages conséquents. Les surveillants étaient affectés pour un an. L’équipe, par sa stabilité, permettait la mise en place d’un travail collectif, la mise en place d’une formation, et on pouvait leur confier un travail de suivi, surtout lorsqu’ils étaient affectés à plein temps.
Les choses sont désormais différentes. Certes les assistants d’éducation sont recrutés, choisis, profilés selon les attentes de l’établissement et du service dans lequel ils sont affectés. Certes, il y a possibilité de ne pas renouveler en cas de fautes lourdes leur contrat, ce qui constitue un moyen de pression non négligeable. En outre, les assistants d’éducation, de par le choix du recrutement, sont souvent des hommes et des femmes mûrs, conscients de leurs responsabilités d’adultes (et pas forcément éducatives) qui parviennent à mieux embrasser une posture d’adulte face aux jeunes.
Mais de nombreux inconvénients existent.
a) le recrutement : malheureusement il ne se fait pas toujours en équipe, ce qui est dommageable. C’est au bon vouloir du chef. Le temps du recrutement qui peut avoir donné lieu à un croisement de regards se résume à un dialogue au flair. Si le chef d’établissement est emballé, décide du recrutement dans son bureau, le CPE n’a qu’à obtempérer. Le problème du recrutement n’est vraiment pas anodin, selon le rôle qui lui est assigné, il agit sur le fonctionnement de l’équipe a posteriori. Un recrutement qui se fait au flair, selon les priorités du chef, sans possibilité de croisement des regards et des avis, sans possibilité de mettre en concurrence les candidats donc les approches et les compétences est un recrutement biaisé, c’est un détournement manifeste du système. Quand l’établissement, et c’est souvent le cas, compte tenu des urgences, se montre plus demandeur que l’assistant d’éducation lui-même. Du coup, le recrutement n’en est pas un, on avalise un souhait commun et tout le monde en tire profit.
b) Le problème du remplacement : les surveillants étant nommés par le rectorat pouvaient être remplacés pour maladie ou lorsqu’ils sollicitaient un congé sans solde ou une mise à disponibilité. Désormais, le remplacement n’est pas possible, l’assistant démissionne et on le remplace par un nouveau contrat ou par une redistribution des heures en interne. A moins que l’on établisse des détours pour contourner les écueils.
c) Le Turn Over : de nombreux établissements se trouvent confrontés à un turn over permanent. Ce qui s’explique par le fait que les assistants d’éducation sont en attente d’emploi, ils utilisent ce travail comme un dépannage et dès qu’un emploi se présente ils s’en vont. Certaines équipes sont ainsi décimées tout au long de l’année. D’où l’extrême difficulté de constituer une équipe vie scolaire stable, cohérente, solidaire. On doit sans cesse adapter les emplois du temps et les services. Les élèves comme les personnels sont désemparés par ces allées et venues incessantes. Du coup, le suivi d’élève devient de plus en plus difficile malgré la bonne volonté, les compétences et les qualités des uns et des autres.
d) Esprit d’équipe et d’établissement : comment impliquer les assistants d’éducation dans une vision à moyen ou à long terme lorsque l’équipe bouge sans cesse ? Ils sont les premiers à vivre mal ce turn over qui ne permet de créer un sentiment d’appartenance fort. Les relations entre assistants d’éducation, entre assistants d’éducation et CPE, entre assistants d’éducation et enseignants, entre assistants d’éducation et personnels restent donc artificielles et passagères, même si souvent l’ambiance reste bonne, sympathique et propice à un travail de qualité. Mais la qualité n’est pas pérenne. D’autant plus que le statut est précaire et beaucoup moins protecteur que celui des surveillants d’externat.
e) La formation : comment former efficacement une équipe vie scolaire lorsque les personnes changent sans cesse ? Il faut sans cesse former sans que la formation ne porte ses fruits. Et puis, en cours d’année, le temps manque, pris dans les feux du quotidien. Donc la formation se fait sur le tas. Ce qui engendre quelques dérives qui peuvent par leurs conséquences porter préjudice au fonctionnement de l’établissement dans le meilleur des cas et dans le pire des cas aux élèves eux-mêmes.
f) La fonction éducative : elle n’est pas abordée sous le même prisme. Non pas que les assistants d’éducation, dans leur ensemble, n’aient pas envie de s’investir dans ce travail, mais la fonction administrative prime bien souvent sur la fonction éducative. Les surveillants, tant bien que mal, étaient recrutés dans le vivier des prétendants à la fonction enseignante au sens large, et parmi des jeunes qui venaient pour la plupart de vivre l’école de l’intérieur, les assistants d’éducation pour nombreux d’entre eux ont quitté le système éducatif, n’ont pas envie de devenir enseignant ou CPE, ne comprennent pas nécessairement les principes, les enjeux et les missions auxquels ils se confrontent. D’où quelques méprises ! On me rétorquera sans aucun doute que la primauté de la fonction administrative pèse sur l’ensemble des corps et catégories compte tenu du poids de la judiciarisation, des contrôles, des audits et des lettres de mission.
Et la fonction de conseiller principal d’éducation…alors
Du coup, la modification des statuts des surveillants, la création du corps des assistants d’éducation modifie les pratiques des conseillers principaux d’éducation. Ces derniers se retrouvent en manager de service, en recruteurs permanents lorsqu’ils sont associés au recrutement, il leur faut acquérir une technicité dans la conduite de l’entretien d’embauche, dans la détermination de profil. La conduite d’équipe devient difficile et surtout la conduite d’une équipe à visée éducative. Comment s’appuyer sur une équipe qui file, comment construire un suivi d’élèves s’il ne s’inscrit pas dans la durée ? Comment établir des relations de confiance si elles changent en permanence. Comment apprécier une compétence et des qualités si le temps de les apprécier le protagoniste ne fait plus déjà partie de l’équipe ? Et du point de vue des élèves comment s’appuyer sur les assistants d’éducation comme relais, comme aide, comme éducateurs si, le temps de construire une relation de confiance, il leur faut changer d’interlocuteurs ?