Au moment où l’Insee nous apprend que le pouvoir d’achat des français a augmenté de 12 % entre 1996 et 2004 – et même de 20 % pour les 10 % des ménages les plus pauvres (Les revenus et le patrimoine des ménages, nov. 2006) -, des voix se sont élevées pour dénoncer l’Indice des Prix officiel, soupçonné de sous-estimer l’inflation. Je ne m’étend pas sur cette triste polémique — Philippe Martin a bien dit ce qu’il fallait en penser :
Inflation: de l’écart entre la perception et la statistique (Libé) :
http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/216630.FR.php
En vérité, si l’indice des prix est critiquable, ce n’est pas parce qu’il sous-estimerait l’inflation, mais plutôt parce que, de l’avis des économistes de la croissance, il sous-estime considérablement les progrès récents du niveau de vie.
Pour mesurer l’évolution du revenu réel par habitant, l’Insee déflate le revenu nominal, i.e. divise ce dernier par l’indice des prix. Le problème est que les innovations de produits ne sont pas (ou mal) prises en compte. Par exemple, le Viagra a bien intégré l’Indice des Prix peu après sa mise sur le marché, et toute baisse ultérieure de son prix contribue à élever le revenu réel. Cependant, l’essentiel de l’effet Viagra est ailleurs : il réside dans l’impact sur le niveau de vie de son apparition ex nihilo. Pour saisir l’effet Viagra, il faudrait que les statisticiens s’enquièrent auprès des usagers: « combien auriez-vous donné autrefois (quand le Viagra n’existait pas) pour être aussi satisfaits que vous l’êtes à présent ? » Question à laquelle il est évidemment bien difficile de répondre. Supposons qu’un homme riche eut été prêt, à l’époque, à débourser 10 000 € par mois pour retrouver sa vigueur sexuelle, on peut mesurer l’effet Viagra par comparaison avec le coût actuel de ce médicament, soit 100 à 300 € par mois. Cet exemple montre bien qu’une innovation peut avoir un impact considérable sur le niveau de vie des gens. Las ! l’indice des prix est impuissant à le montrer.
De même, supposons qu’un jeune français veuille s’offrir, sans restriction, à toute la musique qu’il aime et tous les films qu’il lui plairait de voir. A raison d’un DVD et d’un CD par jour, il lui en coûterait l’équivalent du SMIC. Or, un jeune smicard peut aujourd’hui écouter toute la musique qu’il aime, et voir tous les films qu’il veut, sans bourse délier. Ceci par la grâce d’innovations comme Emule, BitTorrent, eDonkey, Hype Machine, RadioBlogClub, YouTube, etc… Force est de conclure qu’un smicard mélomane et cinéphile a vu tout récemment son niveau de vie doubler.
On pourrait multiplier les exemples. Il est clair que les statistiques historiques sous-estiment considérablement les progrès du niveau de vie.
Références :
Cf. La croissance et la richesse des nations (L’Antisophiste)
http://antisophiste.blogspot.com/2006/09/la-croissance-et-la-richesse-des.html
Life Is Better; It Isn’t Better. Which Is It? New York Times, 9/20/2006
http://college3.nytimes.com/guests/articles/2006/09/20/1295695.xml
Qui vivra Viagra
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3230,36-842549,0.html
Partage et piratage : le peer est avenir
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-651865,36-840631@51-833652,0.html
Revenus et pauvretés depuis 1996:
http://www.insee.fr/fr/ffc/ficdoc_frame.asp?doc_id=1823&analyse=1&path=/fr/ffc/docs_ffc/ref/REVPMEN06b.PDF