Au moment où le socle de connaissances et de compétences devient un objet central du système scolaire français et où la classe politique prépare des élections majeures, Philippe Breton interroge dans son dernier ouvrage (L’incompétence démocratique : La crise de la parole aux sources du malaise, Breton Philippe, Editions La Découverte, 2006) le degré de compétence démocratique de notre société et par là même ses pratiques et la formation à ces compétences.
Si la compétence démocratique suppose une conscience de la légitimité, une connaissance du contexte, une reconnaissance de l’autre sur la base de la symétrie et le renoncement à la violence dans le débat, alors il nous faut reconnaître, à l’instar de l’auteur, que la démocratie est en difficulté. Le débat autour de cette chronique anti-islamique parue dans un quotidien national en est une brillante illustration.
Faut-il alors se tourner vers l’école pour lui demander de travailler pour au moins la moitié de son temps à cette « éducation aux compétences démocratiques » ? On nous répondra que l’éducation citoyenne y pourvoit déjà de même que de nombreux aspects présents dans les contenus d’enseignement. Et pourtant à observer la vie des établissements scolaires, on s’aperçoit que les concepts clés de la compétence démocratique : « objectivation, empathie cognitive, opinion et symétrie » sont loin d’être présents, c’est-à-dire incarnés aussi bien dans leur organisation, leur vie quotidienne, que, parfois, dans les contenus enseignés eux-mêmes.
L’école, lieu dissymétrique par définition, peut il devenir ce lieu démocratique sans de profonds changements ? Les deux dernières compétences du socle commun, compétences sociales et civiques et autonomie et initiative des élèves, sont là pour nous donner quelques pistes d’action. Mais pourra-t-on en fournir la traduction concrète dans un système scolaire qui semble aller dans des directions opposées ? Les technologies de l’information et de la communication nous ouvrent certes à de nouvelles possibilités démocratiques, mais sont-elles réelles ? Que penser, comme le propose Philippe Breton, du droit à la défection (anonymat, refus de répondre, pseudos…) si l’on veut éduquer à la démocratie ?
Il est toujours plus facile d’afficher des intentions que de les traduire en actes concrets. Dans le domaine éducatif il n’y a pas exception. Les travaux de Pierre Merle sur l’humiliation des élèves, ceux de l’équipe Escol sur le rapport à l’école dans les banlieues, ou encore ceux de Dominique Glasman sur le décrochage scolaire témoignent tous de l’éloignement progressif de l’école de la place centrale qu’elle devrait avoir dans l’éducation à la vie en société. Le socle commun et sa liste trop peu homogène de « compétences » conforte encore davantage cette rupture progressive et désormais de plus en plus clairement perçue par ceux qui sont déçus de cette école. Au fond ce sont peut-être davantage les finalités du système scolaire qu’il aurait été sain de revoir.
Jules Ferry, comme les religieux du XIXè siècle, retirait les enfants de l’influence néfaste du monde environnant et de leurs parents, considérés comme incapables de les éduquer. Les héritages de cette façon d’envisager l’école sont encore nombreux et les évolutions lentes. Or si cette première approche a permis de construire un début de démocratie, elle est aujourd’hui génératrice de sa lente destruction. En se coupant souvent du monde l’école a redonné plus de pouvoir aux destructeurs de la compétence démocratique, recréant un monde clos peu en phase avec des réalités que nombre d’entre nous avons du mal à accepter.
Les TIC en sont une bonne illustration, d’aucuns n’hésitent pas à dire que la compétence du socle n°4, sur leur maîtrise, disparaîtra dans quelques années comme si le problème disparaissait de lui-même. Or c’est probablement l’inverse qu’il faut souhaiter. Au travers de l’exemple des TIC, pris au sens large (incluant les domaines non technologiques de l’information et de la communication), on a l’illustration de ce qui peut couper l’école du monde qui l’entoure. Dans un précédent éditorial j’avais indiqué qu’après tout les TIC se passaient fort bien de l’école pour poursuivre le développement de leur emprise sur le marché et sur les usagers.
Dès lors que l’on resitue cette question en l’englobant dans la question de la compétence démocratique, il est certain que le travail à mener est immense et que le chemin est loin d’être commencé. Car, après tout, certains « puissants » n’ont pas forcément intérêt à développer ces compétences au débat, à l’objectivation car le citoyen, devenu compétent, pourrait être tenté d’y voir de plus près. Il faut, a contrario, aussi admettre que lorsque le « puissant » dicte sa loi, il est parfois considéré comme « confortable » d’obéir, de se soumettre, cela évite les questions et les débats.
Il ne suffit pas de voter, si c’est pour se débarrasser du pouvoir qui nous encombre tous. Au contraire le vote devrait être le début de la prise véritable de responsabilité du Politique. Dans la classe le délégué ce n’est pas la « bonne à tout faire » des enseignants ni le simple porte-parole de ses collègues. Elire le délégué ne dégage pas de la responsabilité démocratique. Un délégué est à l’égal des autres élèves en démocratie. Ce n’est que dans le débat institutionnel, aux moments clés de l’année scolaire, qu’il en est le représentant mandaté.
La difficulté à faire vivre la parole de manière réellement démocratique dans les instances des établissements scolaires est trop souvent un fait. On peut dès lors poser justement des interrogations sur la capacité de l’école à mettre en oeuvre une véritable formation aux compétences démocratiques.
Au moment où les intégrismes, les totalitarismes, les extrémismes s’offrent des tribunes médiatiques, la restauration de la pratique démocratique passe avant tout par un questionnement de fond qui doit déboucher sur une nouvelle « autorité de la parole ». Certes on peut discuter les positions de Philippe Breton, mais reconnaissons lui le mérite de nous interroger là où cela fait très mal : l’écart entre le discours et l’action. Et là l’école a encore beaucoup à faire, en particulier en matière de démocratie si elle veut tenir sa place pleine et entière dans la société contemporaine.
Bruno Devauchelle