A Uckange, en Moselle, Jean-Baptiste Ribon enseigne l’histoire-géographie dans un collège Zep. Rentrée 2005, il a expérimenté les PPRE. Il rend compte de son expérience.
Le Programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) est un dispositif imaginé par la loi Fillon. Comment avez-vous appris que votre établissement était retenu pour l’expérimentation ? Pourquoi vous ?
Je suis professeur principal en classe de sixième. Avec mes collègues nous avons l’habitude de travailler ensemble. C’est peut-être un des raisons du choix de cette équipe.
L’expérimentation du PPRE a été proposée par le principal adjoint en novembre 2005. Nous avons pris connaissance des recommandations ministérielles, complétées par la réflexion d’un groupe de travail académique, auquel avait participé notre principal adjoint. Il y avait été décidé de concentrer les efforts sur une meilleure maîtrise de la langue écrite.
D’un côté, nous avons souscrit à cet objectif car nous étions tous confrontés à des enfants déchiffrant avec de grandes difficultés. D’un autre côté, devant l’ampleur de la tâche, nous étions pour le moins sceptiques. On se voyait face à un travail insurmontable que la plupart d’entre nous ne voyait pas comment mener, qui nécessitait du temps en concertation, en formation et pour lequel on ne nous donnait pas de moyen supplémentaire.
C’est là que la direction de l’établissement a joué un rôle déterminant. Le principal adjoint a essuyé nos réticences et nous a rassuré quant à notre travail. Il ne s’agissait pas de mettre en cause ce que chacun faisait dans sa classe. Il s’agissait d’essayer de coordonner un peu plus nos actions. Nous ne pouvions régler tous les problèmes. Alors à nous d’imaginer en toute liberté comment faire au mieux, avec les moyens du bord. Il a ensuite contacté l’Inspection primaire pour demander une formation très rapide sur les bases de l’apprentissage de la lecture.
C’est seulement après cette initiation que nous avons commencé à nous dire que le PPRE pouvait apporter des nouveautés. Chacun s’est rendu compte qu’il mettait en place des activités dans son cours pour palier les problèmes de lecture, mais le faisait seul. C’est avec cette prise de conscience, en osant expliquer à nos collègues quelle était notre façon de travailler, en s’exposant en quelque sorte au regard critique de chacun, que le projet a pris forme. Au prix de nombreuses rencontres, de longues discussions, de lectures et de réflexions personnelles, nous avons pu mettre en place notre action.
L’objectif prioritaire était de permettre dans un temps relativement bref d’améliorer d’abord la vitesse de déchiffrage, puis la compréhension de l’écrit. Nous avons fait le choix de maintenir les élèves dans la classe et de ne pas surcharger leur emploi du temps : il ne fallait pas stigmatiser des enfants déjà en difficultés. Enfin, il était demandé dans le cadre du PPRE de mener un travail en direction des familles.
La liaison menée depuis plusieurs années avec les Ecoles Elémentaires a été très importante. Les équipes des différentes écoles nous ont apporté des informations précieuses sur les difficultés des élèves retenus (quatre, nombre nécessairement restreint dans le cadre d’une expérimentation), les différentes aides qui avaient été apportées. Les professeurs des écoles ont des compétences que nous n’avons pas dans le second degré. Ils ont des techniques pour travailler dans chaque matière la maîtrise de la langue. A l’intérieur de chaque cours par exemple, au moment de la trace écrite, une phrase simple est rédigée par le professeur sur feuille puis donnée à l’élève pour qu’il la lise, puis la cache pour la réécrire dans son cahier. Ce faisant, il est obligé de mettre du sens sur ce qu’il écrit, il ne se contente pas d’un recopiage mécanique. S’il ne se souvient plus, il relit la phrase et la cache aussitôt. Pour les élèves vifs à l’oral, on peut les obliger à passer par l’écrit. On demande que la réponse à une question soit rédigée en une phrase très courte, puis lue à l’ensemble de la classe. Les camarades disent ce qu’ils ont compris (ou qu’ils n’ont rien compris), montrent et expliquent en quoi l’écrit diffère de la réponse donnée à l’oral précédemment. Ce faisant, l’élève prend conscience que ce qu’il écrit doit être construit en respectant la syntaxe sans quoi le message ne passe pas. Autre exemple : les mots clés de la trace écrite du cours peuvent être notés au tableau : à charge pour l’élève d’en faire une phrase qui respecte la syntaxe et donc qui ait un sens. Les élèves retenus pour le PPRE peuvent être sollicités le plus souvent possible pour lire à haute voix les textes étudiés. On peut aussi donner un texte d’histoire où l’on demande de relever toutes les informations sur un personnage pour montrer comment le sens se construit en soulignant qui le nom, qui les adjectifs, qui les verbes, mots qui apportent tous une information… Ces pratiques ne demandent pas de temps de préparation important, sont aisément applicables et une fois banalisées n’entraînent aucun risque de stigmatiser les élèves en difficultés puisque chacun a une tâche particulière.
Comment avez-vous mis en pratique ces méthodes ?
Avant toute remédiation, il faut savoir d’où l’on part. Les évaluations d’entrée en sixième sont une mine d’informations. Mais devant les résultats très faibles de certains (inférieurs à 20% de réussite), nous avons dû recourir à celles du CE2 pour affiner nos observations. Avec tout ce travail, on peut dresser pour chaque élève une stratégie assez précise et personnalisée.
Mais pour tous les élèves, il fallait mener un travail sur les consignes, c’est à dire lister celles qui sont utilisées toute l’année dans chaque matière pour s’assurer rapidement qu’ils en comprennent le sens, et travailler la compréhension de l’écrit par la pratique de la lecture régulière et fréquente.
A côté de cela, cet élève assez scolaire qui sait des choses mais n’arrive pas à faire le lien entre tout ce qu’il sait faire est invité à participer à un club où on lui fera prendre conscience que tout ce qu’il maîtrise peut être utile en dehors du cours de Français par exemple. Cet autre élève dont le langage est pauvre en vocabulaire sera invité pendant les heures de soutien ou les heures de permanence à travailler sur un fichier pour grands lecteurs débutants où le travail par thème permet d’enrichir le vocabulaire et surtout de lier en permanence oral et écrit. Ce troisième élève se verra proposer en soutien des exercices pour travailler la construction de la phrase. Le quatrième lira avec le professeur de Français ou le professeur documentaliste des textes permettant de travailler tel son qu’il ne sait pas correctement déchiffrer.
Au début de notre expérimentation, on peut dire que nous avons « navigué à vue ». Nous avions les objectifs mais nous étions en recherche permanente d’activités, de support de travail. Aussi, chacun faisait au mieux un peu au jour le jour, par tâtonnement, d’où des moments difficiles, des découragements. Puis nous nous sommes mieux organisés pour que chacun sache quoi faire, avec qui, où et comment. Par exemple, en soutien de Français, le professeur documentaliste participant savait que tel élève devait travailler le déchiffrage des mots à l’aide du logiciel ELSA. Le professeur de mathématiques savait qu’elle travaillerait telle notion avec tel élève pendant l’heure de soutien à l’aide de ce manuel de l’Ecole Elémentaire. Dans l’indispensable recherche de documents pédagogiques, les équipes du Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage / Centre Académique de Ressources pour l’Education Prioritaire (CASNAV/CAREP) de Metz nous ont été d’une aide plus que précieuse. Nous avons eu à coeur, pour être efficaces et faciliter notre travail de mobiliser les ressources et les compétences où elles se trouvaient. C’est ainsi que nous nous sommes formés (sans prétendre être devenus des spécialistes) et que les choses sont devenues progressivement plus claires dans notre esprit.
Parallèlement, chaque professeur, en classe entière, a réfléchi à des pratiques de pédagogie différenciée avec deux objectifs :
– faire acquérir les notions exigées par le programme à des élèves qui n’ont pas acquis les compétences de base en matière de maîtrise de la langue. Il ne fallait pas remédier à ces problèmes au détriment des connaissances disciplinaires du programme. Par exemple, quand une partie de la classe travaille en autonomie telle notion d’histoire avec un texte, les élèves les plus en difficultés travaillent à l’aide de documents iconographiques qu’ils confrontent à un texte beaucoup plus court, de manière très encadrée et avec l’aide plus forte du professeur.
– faire en sorte de travailler ces compétences de base et développer chez les élèves les automatismes indispensables, par le biais d’activités strictement disciplinaires. La trace écrite prise sous forme de schéma sera mise en phrase à la maison. On peut aussi imaginer donner un texte bref en histoire dans lequel les élèves devront relever des informations en soulignant les adjectifs qui caractérisent le héros dont il est question par exemple.
En même temps, l’heure d’Aide au Travail Personnel (ATP) dont bénéficient les sixièmes, a été mise à profit pour travailler en amont avec les élèves des textes qui allaient être étudiés en classe au cours de la semaine. Ce faisant, le professeur faisait travailler le déchiffrage et s’assurait de la compréhension du texte
Le professeur documentaliste joue un rôle central dans le dispositif. Il participe aux activités de soutien, d’ATP et il accueille au CDI les élèves concernés par le PPRE dès qu’ils ont une heure de permanence. Il y poursuit les activités menées en soutien ou pendant les heures d’ATP. C’est un point fort du PPRE : il rend la concertation nécessaire et en fait même la clé de la réussite de notre stratégie.
Comment les familles et les élèves ont-ils accueilli le projet?
Les objectifs à atteindre ont été expliqués aux parents et aux élèves avec l’aide de l’assistante sociale. L’objectif était de tenir un discours uniquement positif aux familles : expliquer notre démarche, insister sur les acquis des enfants et donner une image plus positive de l’école à des adultes plutôt habitués à entendre les échecs de leur enfant.
Les activités proposées permettent de nouer avec les élèves un lien affectif qui leur redonne confiance. Ce faisant, l’expérience a montré que les comportements qui posaient problème ont disparu. L’ennui lié à l’incompréhension est fortement réduit. Puisqu’ils osent participer en classe, ils n’ont plus à adopter des comportements perturbateurs pour se faire remarquer.
Comment les élèves convoqués aux activités spéciales ont-ils pris la chose?
Au départ, ils étaient un peu perdus, comme nous finalement. Ils sentaient bien nos tâtonnements. Ils ne comprenaient pas trop pourquoi on leur accordait autant d’attention. Puis, ils prenaient plaisir à participer à ces activités spéciales: avoir un prof pour soi tout seul, c’est quand même gratifiant et agréable. Voir qu’on s’occupe de soi à chaque cours, c’est motivant… Tout dépend de la manière dont les enseignants le présentent. Je pense que l’alchimie entre les élèves et les professeurs a bien fonctionné puisque nous n’avons pas eu de rejet, ce qui est en soi intéressant. Et puis, nous leur avons expliqué la démarche… Ils ont pris conscience des efforts que l’on faisait pour eux.
On a l’impression que tout cela s’est fait sans grands moyens ?
En termes de moyens, la direction du collège a fait le choix de donner quelques heures pour rémunérer des temps de présence devant les élèves. L’équipe s’est passionnée pour ce projet, et devant les résultats, nous n’avons pas compté notre temps. Une dizaine de réunions formelles le soir ou parfois dans la journée ont permis de mettre en place les grands axes du projet. Je ne peux pas évaluer le temps passé à échanger sur nos lectures, nos découvertes, nos rencontres, nos points de vue, nos craintes, notre lassitude, nos colères parfois, notre enthousiasme souvent, à deux, trois, plus parfois au gré des cases vides de nos emplois du temps… En tant que professeur principal, j’ai passé quelques-unes de mes demi-journées « libres » au collège à attendre les parents, parfois en vain, à les écouter quand ils étaient là.
Quel bilan tirez-vous de cette expérimentation ?
Il est clair que notre modeste expérience ne peut servir de modèle. Les facteurs locaux (habitude de travail en commun, liaison étroite avec l’Ecole Elémentaire, engagement de la direction de l’établissement, de l’Inspection de l’Ecole Elémentaire…) qui ont conduit à ce que nous considérons comme un succès ne sont pas réunis partout. Mais, après des moments de découragement l’an passé, j’ai appris que des compétences existent partout, qu’il faut savoir les trouver et les mobiliser.
Cependant cette expérimentation fut une expérience très enrichissante. Les actions menées conjointement par toute l’équipe pédagogique de la classe permettent un travail intensif sur certaines compétences de l’ordre de la maîtrise de la langue, et ce de manière personnalisée pour chaque enfant. Ce qui finit par porter ses fruits. Le travail d’équipe, la concertation indispensable, le décloisonnement des disciplines, et le fait pour des professeurs du secondaire d’accepter d’apprendre à des enfants à lire (et de se former pour cela) sont les nouveautés apportées par le PPRE qui vise ainsi à un changement des pratiques.
Les élèves ont ressenti cette cohérence. Elle leur a redonné confiance en l’école. Ils redécouvrent le droit à l’erreur, osent participer, reprennent confiance en eux. Ils mesurent leurs difficultés. Cela peut paraître anecdotique, mais il nous semble que nous sommes ici au coeur de l’autonomie de l’élève.
Malgré tout, les résultats scolaires ne progressent pas de manière spectaculaire. Mais les progrès sont énormes, au regard des difficultés de départ.
Enfin le PPRE permet d’instaurer de nouveaux rapports entre les enseignants et les élèves. Pour les parents, le point de vue sur l’école change. Ils rencontrent le professeur principal non pour entendre une série de mauvais résultats mais pour se voir expliquer les activités de toute une équipe.
Pour conclure, le PPRE n’est pas donc pas la panacée. Il modifie en revanche les pratiques enseignantes. Il apporte un cadre pour adapter au contexte local des actions coordonnées par des équipes éducatives. Cela dit, il suppose quelques moyens tant en heures qu’en formation.
Mais comment apprendre au prof à faire de l’indifférencié?
Je ne suis pas qualifié pour répondre convenablement à cette question, je n’en suis qu’à ma quatrième année d’enseignement. Je peux dire en revanche ce que j’aimerais qu’on me propose en terme de formation. Des stages pluridisciplinaires pourraient être mis en place. Ils réuniraient des formateurs des premier et second degrés. On pourrait y apprendre à travailler simplement la maîtrise de la langue, au quotidien. Des stages plus disciplinaires pourraient être imaginés sur la même question. Il faut montrer que l’on peut travailler la maîtrise de la langue sans sacrifier le disciplinaire et donc les programmes. Cela nécessite un gros investissement en temps et en formation, c’est clair.
Comment voyez vous l’avenir scolaire des élèves qui ont suivi ces premiers PPRE ?
Disons que c’est la première fois que je vois des élèves que je n’ai plus en classe venir me raconter leur travail, me donner de leurs nouvelles comme ça entre deux cours. Ils sont reconnaissants et se sentent mieux à l’école. Cependant, d’un point de vue scolaire si on ne poursuit pas les efforts avec eux, les progrès suivront-ils? J’en doute. Se pose là évidemment la question des moyens pour généraliser la mesure à toutes les classes du collège. Le PPRE est ambitieux. Et sans moyen en temps et en formation, je doute honnêtement de son efficacité.
Le jeu en vaut pourtant la chandelle car se pose aussi la question de l’investissement de chacun dans le projet. Nous essayons d’associer cette année un nombre plus important de collègues. L’accueil est positif pour le moment, mais il est évident qu’on ne peut pas attendre de tout le monde un investissement aussi important, sans moyens supplémentaires (nous avons besoin de temps de concertation). Mais si on nous en donne les moyens, ce dispositif pourrait montrer aux collègues qu’on est gagnant à travailler en commun, et que si chacun ose mettre à plat ses pratiques pour les confronter aux autre et ainsi rendre l’ensemble plus cohérent aux yeux des élèves et des familles, ce serait déjà un succès.
Enfin, il pourrait être bon de repenser l’évaluation des élèves en terme d’acquis et de non-acquis pour qu’ils ressentent leurs progrès, que cela se traduise concrètement par une reconnaissance de l’institution. Mais c’est un autre problème.
Jean-Baptiste Ribon
Entretien : François Jarraud
Le site de l’expérimentation
http://www3.ac-nancy-metz.fr/pasi/article.php3?id_article=308