Dossier spécial
Carte scolaire : à qui profite la mixité sociale ?
Le débat sur la carte scolaire a au moins l’avantage d’amener le public à s’intéresser aux systèmes éducatifs de nos voisins et particulièrement à leur réponse à la ségrégation sociale. Car tous sont touchés. Ainsi Libération met en évidence l’échec des politiques d’assouplissement ou de suppression de la carte scolaire. Le pire est atteint aux Pays-Bas où s’opposent écoles blanches et écoles noires… « Nous sommes forcés de constater une augmentation des inégalités entre les différentes écoles, en termes de résultats scolaires » déclare une responsable éducative suédoise.
Ce qui revient à poser la question de l’efficacité scolaire de la carte scolaire. La mixité sociale est-elle rentable à l’Ecole ? Permet-elle de tirer les résultats vers le haut ?
« On peut avoir l’équité et l’excellence » affirme J. Douglas Willms dans une récente publication de l’Unesco, »Learning Divides ». En se basant sur les tests internationaux Pirls et Pisa, qui correspondent à la fin du primaire et la fin du collège, il montre que si, partout, il y a une corrélation entre milieu social élevé et bons résultats scolaires, « les écoles à succès sont celles qui aident les élèves de milieu défavorisé. Les pays qui ont les meilleures performances sont ceux qui réussissent non seulement à élever le niveau mais à le rendre plus équitable ».
Une constatation que confirme, avec nuance, une étude de M. Duru-Bellat et S.Landrier, publiée par l’Iredu en décembre 2003, sur » Les effets de la composition scolaire et sociale du public d’élèves sur leur réussite et leurs attitudes ». Pour ces chercheurs la composition sociale des établissements a bien un effet sur les résultats scolaires. « En français, toutes choses égales par ailleurs, les élèves des écoles à recrutement social élevé progressent davantage que ceux des écoles à recrutement social faible. En maths, les lycéens d’établissements à recrutement privilégié progressent davantage que ceux des établissements populaires… Les élèves des établissements socialement mixtes progressent davantage que ceux des établissements populaires ». La mixité sociale a donc un effet positif, particulièrement net en maths. Cela s’explique par l’attitude face à l’école : les lycéens de milieu populaire des établissements privilégiés ont davantage confiance dans leurs avenir scolaire que ceux des établissements populaires.
Faire respecter la carte scolaire, assurer la mixité sociale dans les établissements permettrait de lutter efficacement contre l’échec scolaire. Inversement, ne plus prendre en compte cet objectif de mixité sociale augmenterait l’échec des plus défavorisés.
Si l’on a ce souci, existe-il une politique de rechange ? Oui sans doute. Ce serait investir réellement dans les écoles des quartiers défavorisés. C’est ce que recommande T. Piketty. Cet économiste a démontré qu’en diminuant fortement le nombre d’élèves par classe en zep on pouvait hisser les résultats scolaires. Une proposition qui semble avoir irrité la rue de Grenelle puisque l’étude de T.Picketty a disparu quelques heures après sa publication… Décidément, la liberté des parents a un prix.
http://www.liberation.fr/actualite/evenement/evenement1/205551.FR.php
http://www.u-bourgogne.fr/upload/site_120/publications/les_collections_de_l_iredu/cahiers/cahier65.pdf
http://www.lefigaro.fr/france/20060920.FIG000000006_carte_scolaire_ce_que_font_les_autres_pays.html
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2006/09/index120906.aspx
Toujours la carte scolaire
Les Français sont-ils favorables à « l’assouplissement » de la carte scolaire ? Oui et non répondent les sondages. Selon un sondage du 11 septembre Ifop pour Valeurs actuelles, 73% des français sont favorables à sa suppression, et cela tous milieux sociaux confondus. Que nenni répond un autre sondage, réalisé par Louis Harris pour « 20 Minutes » et RMC le 15 septembre : 50% des français sont favorables à son maintien, 42% jugent la carte négativement.
Pendant ce temps les déclarations politiques continuent. Dans une tribune du Monde, le ministre de l’intérieur affirme son intention de la faire disparaître. « La carte scolaire, qui était effectivement autrefois l’outil de la mixité, est devenue l’instrument de la ségrégation. Face à cette situation, certaines familles peuvent s’émanciper de la carte scolaire en faisant le choix du privé, en s’installant dans des quartiers huppés, ou tout simplement en contournant la carte par la mobilisation de leur réseau relationnel. 30% des enfants sont ainsi scolarisés en dehors de leur collège de rattachement. Les autres sont tenus de se plier à une règle qui vaut pour les uns, mais pas pour tout le monde. Cette réalité est choquante ».
Et le ministre lie la suppression de la carte à l’autonomie des établissements et à un système d’évaluation à l’anglaise. « Qui dit autonomie dit évaluation. Je propose que nous nous dotions d’un organisme d’évaluation de chaque établissement scolaire. Il doit s’agir d’évaluations détaillées, allant bien au-delà de la seule mesure des résultats des élèves, et s’intéressant également à la qualité du projet éducatif, à sa capacité à faire progresser tous les élèves, à l’ambiance au sein de l’établissement, etc. Ces évaluations aideront les établissements à remédier à leurs insuffisances. Elles seront évidemment à la disposition des parents ».
Il faut quand même noter que si les parents britanniques ont accès aux inspections d’établissement, d’une part les procédures d’inscription des élèves ont été récemment modifiées pour éviter les pratiques discriminatoires, d’autre part le système scolaire britannique est infiniment plus complexe que le français puisqu’il offre une gamme d’une dizaine de types d’établissements différents avec une offre éducative qui est tout sauf nationale et uniforme. Ajoutons qu’il a ses faiblesses, par exemple un taux de décrochage record en Europe que les sanctions financières (autre mesure envisagée par le ministre) et même l’emprisonnement des parents n’arrivent pas à faire baisser.
Des voix se font entendre également pour critiquer l’impact même du contournement de la carte scolaire. Si 30% des élèves dérogent à certains endroits à la carte, remarque Louis Maurin, » sur ces 30 %, les 20 % sont des familles qui optent vers le privé et pour qui la suppression de la carte scolaire, par définition, ne change rien. Il reste 10 % de dérogations, 8 % à Paris… Ces passe-droits sont choquants. Est-ce suffisant pour abandonner la carte scolaire ? Raison médicale, frère, soeur ou parent inscrit dans l’établissement, proximité du domicile, les raisons de ces dérogations peuvent être nombreuses. Rien ne dit que toutes sont injustifiées. Admettons que la moitié des dérogations – ce qui est déjà une forte proportion – le soit : on compterait au total 5 % de « tricheurs ». Lever l’hypocrisie consiste donc à généraliser une pratique très minoritaire ». Et de contre attaquer : » Le réel problème de l’école aujourd’hui, c’est qu’elle est pour une bonne part formatée sur le modèle des catégories favorisées : importance démesurée accordée aux humanités contre les techniques, orientation de plus en plus précoce, qui dirige les enfants (fils et filles de catégories populaires) vers les filières qui leur sont prédestinées, évaluation trop fréquente et peu formatrice qui fragilise les plus fragiles, jusque l’introduction d’une « note de vie scolaire » pour stigmatiser encore plus les enfants en difficulté, inégalité considérable de moyens entre université et grandes écoles, etc. Depuis plus de dix ans, les politiques éducatives vont à l’inverse de l’égalité des chances ».
Gilles de Robien a annoncé qu’il recevrait les syndicats et les associations de parents sur ce sujet à partir du 20 septembre.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-813616,0.html
http://www.inegalites.fr/spip.php?article567
Assouplir la carte scolaire pour les plus démunis ?
» Si assouplir veut dire que tout le monde peut choisir son établissement, cela aurait plus d’inconvénients que d’avantages. Cela renforcerait la nature ségrégative de l’offre scolaire ainsi que les inégalités entre établissements ». Dans L’Humanité, le sociologue Georges Felouzis prend parti pour un assouplissement ciblé de la carte scolaire. « Alors que faire ?.. Si on assouplit la carte il faut le faire dans l’intérêt des plus faibles et non pas des plus forts. Cela signifie donner la possibilité aux élèves les plus défavorisés, et notamment à ceux qui sont dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP), d’être les seuls à pouvoir choisir leur établissement. Par contre, les autres ne choisiront pas. Bien sûr, cela ne résoudrait pas les problèmes de l’école ni de la société, mais c’est la seule réforme acceptable dans la mesure où elle se fonderait sur le souci des plus faibles ».
Une réflexion qu’éclaire la récente thèse de Guy Lapostolle sur « la démocratisation de l’enseignement secondaire sous les deux septennats de F.Mitterrand ». Elle montre que la question de la démocratisation qualitative de l’Ecole a été au coeur des objectifs et des difficultés des ministres de F. Mitterrand et particulièrement de Savary et de Jospin. Ayant échoué à l’imposer, pour G.Lapostolle ils ont légitimé de nouvelles exigences des familles, essentiellement celle de la liberté de choix. » Dès lors que l’école n’est plus guidée par l’idéal d’égalité des chances, en d’autres termes qu’elle n’oeuvre plus en faveur de la mobilité sociale ou qu’elle avoue son impuissance à cet égard, les parents sont en droit d’en attendre d’autres services. La place est faite à d’autres principes susceptibles de guider son action. La liberté comme un moyen de régulation d’un certain marché et le communautarisme comme possibilité d’y exercer ses libertés viennent du fait qu’elle n’a pas répondu aux espoirs mis en elle. Ces autres aspects de la démocratisation revendiqués apparaissent donc en partie comme des conséquences possibles de cet échec de la concrétisation de l’égalité réelle… Or, à la fin de la décennie 1990, de nombreux travaux scientifiques montrent que la liberté laissée tant au niveau du choix des options qu’à celui du choix de l’établissement est un véritable obstacle à la démocratisation qualitative. Danièle Trancart, Marie Duru-Bellat, Sylvain Broccolichi, Agnès Van Zanten1 montrent tous que des disparités se sont accentuées entre les établissements scolaires ».
C’est dans les années 1980 que le débat entre liberté de choix des parents et exigence de démocratisation a eu lieu. Dès les années 1990, il est apparu que ces deux principes étaient antithétiques comme l’atteste ce texte,prophétique, de Robert Baillion qui date de 1991. » Depuis quelques années, l’Etat se désengage en matière d’éducation. De plus en plus il renvoie à la base le traitement des problèmes et se comporte comme si leur résolution ne pouvait découler que d’arrangements locaux. Le politique s’efface devant la société civile. Le choix de l’établissement scolaire par les familles illustre les dérives que peut entraîner ce repli de l’action publique au bénéfice des logiques sociales dominantes. A l’Etat d’intervenir pour fixer les règles du jeu… Si l’Etat ne se préoccupe pas au premier chef de la recherche d’équité et de justice sociale, l’éducation, loin d’être le domaine où la société essaie d’actualiser ses valeurs, deviendra peut-être plus encore que le terrain économique, un espace de soumission à l’ordre des choses, un terrain de luttes et de production d’inégalités ».
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-09-16/2006-09-16-836786
http://tel.ccsd.cnrs.fr/halshs-00005205
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/2004/analyses_49_accueil.aspx
Carte scolaire : contre la ségrégation, une autre école
« Certains considèrent qu’il faudrait casser la carte scolaire. À mon sens, ce serait une erreur fondamentale, et un aveu d’échec de la société française dans son ensemble. Tout d’abord, avec ou sans carte scolaire, les stratégies d’évitement demeurent. En outre, cela ne favoriserait pas pour autant le renouvellement. Enfin, il s’agirait d’une mesure alibi, qui formaliserait les clivages sociaux dans notre société. Le fond du problème est ailleurs : il ne s’agit pas tant de casser la carte scolaire, mais de supprimer les ghettos ». Jean-Christophe Lagarde,maire Udf de Drancy, partage son expérience d’élu local à l’occasion du colloque « Ségrégation urbaine, ségrégation scolaire », organisé par l’Agence nationale de rénovation urbaine en juin 2006.
Le grand intérêt de ce colloque était justement de mettre autour de la table des sociologues de l’éducation, un économiste, des élus locaux, un urbaniste, un inspecteur d’académie. Pour J.-C. Lagarde, la ségrégation n’est pas que géographique elle est aussi pédagogique. « Le débat sur la ségrégation scolaire, à mon sens, ne doit pas se résumer à un problème de moyen. La Seine Saint-Denis, en 1998, a bénéficié d’un vaste plan de rattrapage, avec la création de 3 000 postes. Les moyens mobilisés ont certes été importants, mais pour quels résultats, quelle progression scolaire ? Il y a lieu, à mon avis, de revoir l’organisation de l’école, et l’adapter aux élèves. Nous fonctionnons, force est de le constater, comme si tous les élèves constituaient un bloc homogène et avançaient au même rythme. Dès lors, ils devaient être instruits au même rythme. Or la réalité est tout autre ! » Un domaine où l’élu local a peu d’influence.
Jean-Paul Fitoussi, Ofce, défend l’idée de la mobilité. « S’il existe une solution à ce problème, elle consiste, sans nul doute, à remettre en marche la mobilité multidimensionnelle : la mobilité dans l’espace, la mobilité professionnelle et la mobilité sociale (au seul sens d’une mobilité sociale ascendante) ».
Les actes du colloque (pdf)
http://www.anru.fr/IMG/pdf/Actes_du_colloque_-_Segregation_urbaine_segregation_scolaire.pdf
Pour lire les pdf
http://www.adobe.fr/products/acrobat/readstep2.html