S’il est un site Internet qui a changé la vie des élèves, c’est sans doute Wikipedia. En quelques années, l’encyclopédie libre est devenue la principale source d’information des élèves pour leur travail scolaire. Au point qu’on peut quasiment parier que c’est pour eux le modèle même de l’encyclopédie et que la plupart n’en connaissent pas d’autres.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le Café a parfois été sévère pour Wikipedia. Pourtant le principe est extrêmement séduisant et l’idée du wiki correspond exactement aux valeurs que défend le Café celles de la mutualisation. Mais si le wiki peut être un extraordinaire outil pédagogique, il est très difficile de faire comprendre aux élèves du secondaire que Wikipedia n’est que… Wikipedia. C’est-à-dire une base d’articles où tout un chacun met la main, certains plus que d’autres et pas toujours avec une totale transparence.
Pour les élèves, l’encyclopédie en ligne est une source d’informations sûre et fiable qui apporte la fameuse bonne réponse qu’ils cherchent ardemment. Alors que le professeur y voit souvent des articles déformés par des plaisantins ou, pire, savamment élaborés par des idéologues parfois nauséabonds. En observant les historiques des articles, le professeur y trouverait bien aussi un beau support pour une éducation à la critique textuelle. Il y aurait là matière à de savoureux travaux pratiques. Malheureusement la critique ne se marie pas si bien que cela avec l’enseignement secondaire. Et souvent les élèves demeurent esclaves des manipulations opérées dans Wikipedia.
Pourtant nous devons être reconnaissants envers Wikipedia. D’abord parce qu’en banalisant le wiki, en nous encourageant à l’inclure dans notre trousse à outils pédagogique, il nous invite à observer et réfléchir sur les apprentissages.
Un autre motif se fait jour avec des réflexions croisées dans le domaine scientifique. Cela a commencé avec l’article de Roy Rosenzweig dans une revue historique sérieuse, le Journal of American History. Il a eu beau jeu de montrer que les règles éditoriales élaborées par Wikipedia (chercher la neutralité, interdire les polémiques) renvoient à une conception arriérée, voire naïve, de l’Histoire. Elles encouragent l’histoire la plus conventionnelle et la plus factuelle.
Pourtant, pour R. Rosenzweig, « les professeurs n’ont pas plus à craindre d’étudiants commençant un travail avec Wikipedia qu’avec n’importe quelle autre source classique. Ils ont beaucoup à craindre d’étudiants qui s’arrêteraient à Wikipedia ». Pour lui, Wikipedia s’oppose à la confiscation de l’Histoire par les états autoritaires, assure une liberté d’expression en Histoire et permet la construction d’une histoire populaire. Il concluait en appelant ses confrères à construire un wiki historique, un manuel d’histoire collectif, réalisé par des historiens chevronnés.
Cet appel vient d’être entendu par les géographes. Ils auront bientôt leur wikipédia ! Avec « Encyclopedia of Earth », un grand projet de mutualisation est en cours. Près de 300 auteurs, essentiellement anglo-saxons, participent à cette oeuvre inspirée de l’encyclopédie Wikipedia. Une différence pourtant : l’ouvrage collectif est piloté par des spécialistes reconnus qui valident les articles avant publication.
Ainsi le wiki est en train d’émerger comme un modèle de publication scientifique en ligne. Et cela pourrait durablement bouleverser l’accès de tous au savoir.
Encyclopedia of the Earth
Rappel : Article de R. Rosenzweig dans le Café
Wikipedia