Dossier spécial
« Les familles doivent avoir la liberté du choix de l’établissement » promet N. Sarkozy. « Il faut desserrer la contrainte de la carte scolaire » propose Ségolène Royal. « La carte scolaire a un petit côté privatif de liberté qu’il faut assouplir » estime de Robien. La carte scolaire est maintenant un élément de la campagne électorale.
Créée pour lutter contre la ghettoïsation de certains établissements et assurer la mixité sociale, elle est critiquée comme injuste et inefficace. Certes elle est largement contournée (15% de dérogations en 6ème à Paris) par les classes privilégiées. Elle n’empêche pas la constitution de véritables ghettos scolaires : sait-on qu’à Clichy-sous-bois, en ZUS, par exemple, » la population scolarisée est caractérisée par un taux de retard important… Le pourcentage des 15 ans et plus sans diplôme est de 27,7%. La part des élèves inscrits en 6ème, ayant 2 ans de retard ou plus est de 11,3% (5,7% sur le département). Cette statistique passant à 26,3% en 3ème(13,2% pour le département) ». Il est vrai que ces enfants ont d’autres problèmes : » des problèmes d’obésité (13%) et/ou de dénutrition (2%)… Les troubles sensoriels (visuels et auditifs) ne sont traités que pour 41% des enfants dépistés, ces enfants appartenant dans 60% des cas à des familles nombreuses. Un enfant sur huit présente une anémie par carence en fer. Enfin 41% des enfants âgés de 5 ans et plus présentaient des caries dentaires ».
Faut-il pour autant casser la règle de la carte scolaire ? Georges Felouzis, qui a dénoncé les ghettos ethniques des collèges français, estime, dans un article accordé au Café en 2004, que » pour casser les ghettos il faut rendre plus attractifs les établissements en concentrant sur eux les efforts de l’Etat et des collectivités territoriales. On peut renforcer les équipes pédagogiques, l’encadrement, mettre en place de l’aide aux devoirs etc. Toutes les pistes n’ont pas été explorées en ce domaine. Quant à la carte scolaire, il faut la garder car elle limite la ségrégation, même si elle est en contradiction avec les valeurs de la société. Partout notre société demande aux gens de choisir, sauf en ce qui concerne l’école. On comprend que les familles aient du mal à accepter cette situation alors que les enjeux sont importants. Actuellement les stratégies de contournement de la carte scolaire, qui sont très anciennes, se démocratisent et finissent par concerner même les familles des classes populaires. C’est cette massification qui pose problème ».
Car la demande de suppression de la carte scolaire s’accorde avec des tendances de fond de la société : celle de « la ville franchisée » : des agglomérations sectorisées qui séparent davantage riches et pauvres, le repli familial face aux valeurs collectives et sociales, la personnalisation, l’école perçue comme un service et non une institution collective. Le projet trouve un appui dans la politique budgétaire gouvernementale : faire sauter la carte scolaire c’est aussi mettre fin à toute gestion des moyens.
Pour Christian Forestier, membre du HCE, interrogé par Libération, » pour régler le problème de Clichy-sous-Bois, faut-il permettre à la bourgeoisie des centres-ville d’accentuer ses privilèges et de choisir encore plus ses établissements ? Pour régler un problème que je ne conteste pas, faut-il remettre en cause un principe républicain fort, la mixité sociale ? Après l’abandon du service militaire, l’école est désormais le dernier endroit où l’on peut espérer avoir un peu de mixité ».
Article de Georges Felouzis
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/2006/actu_49_accueil.aspx
Article de Libération
http://www.liberation.fr/vous/education/202700.FR.php
Données sur la zus de Clichy
http://www.clichy-sous-bois.fr/download/rapportZUS2005.pdf
L’aménagement de la carte scolaire et le plan Ambition réussite
« Aujourd’hui il y a aussi un débat sur la carte scolaire. C’est un débat légitime… Pour ma part, je suis profondément attaché au principe de mixité sociale. C’est un gage de cohésion de notre pays… La suppression totale de la carte scolaire ne me paraît pas la bonne solution : elle conduirait inévitablement tous les parents à vouloir inscrire leurs enfants dans les mêmes établissements. Comment ferait-on alors le choix entre les enfants ? Sur la base de quels critères ? On courrait le risque de l’arbitraire. Je préfère avancer dans deux voies pragmatiques : améliorer le niveau des établissements les plus en difficulté comme nous le faisons avec les collèges « ambition-réussite » ; assouplir les règles de la carte scolaire… Vous le voyez, je suis pour une carte scolaire aménagée… Cet aménagement ne peut se faire qu’en concertation étroite avec tous les acteurs du système éducatif ». S’exprimant à Thionville 8 septembre, le premier ministre a annoncé le lancement d’une concertation sur la carte scolaire « dans les prochaines semaines ».
L’initiative fait suite aux déclarations de N. Sarkozy et S. Royal. Aussi, pour les associations de parents apparaît-elle comme une manoeuvre pré-électorale. La Peep estime cependant qu’il « faut réellement traiter ce problème, peut-être en l’assouplissant ». La Fcpe « rappelle son refus de voir instaurer une concurrence scolaire hasardeuse… Supprimer la sectorisation aurait immanquablement pour conséquence de créer une véritable désorganisation du système éducatif et du territoire ».
Les syndicats accueillent négativement la proposition. Le Snpden, qui représente les chefs d’établissement annonce qu’il ne négociera que « si la base des discussions, ce n’est pas la suppression mais une ouverture de la carte ». Pour l’Unsa-éducation, selon l’AFP, « on essaie de vendre aux parents un principe de libertés alors qu’on va créer plus d’inégalités ». Pour le secrétaire général de la FSU, » la question de la carte scolaire ne peut pas se régler uniquement à travers la question de l’Ecole parce que cela renvoie à toute la politique de la ville, du logement social: quand on a des ghettos urbains, on a aussi des ghettos scolaires ».
Dans Le Monde, les sociologues François Dubet et Marie Duru-Bellat estiment qu’il « n’y a pas à être scandalisé par la remise en question de la carte scolaire et l’on peut même se féliciter que les réalités s’imposent pour une fois aux slogans et aux principes que les pratiques trahissent tous les jours ». Mais ils soulignent les risques de creusement des inégalités. « Il ne suffit pas de dénoncer la carte scolaire pour proposer une politique et, plus encore, une politique plus juste que celle que l’on condamne. La seule suppression de la carte scolaire serait probablement un remède pire que le mal. En effet, on imagine aisément que, comme sur n’importe quel marché, les acteurs ayant le plus de ressources et d’informations s’en tireront nettement mieux que les autres et que, une fois encore, les plus démunis auront moins de choix, moins d’opportunités et moins encore de chances de réussir dans l’école. D’ailleurs les pays qui ont choisi cette solution de « rupture » ont vu les inégalités s’accroître, et s’accroître aussi la délinquance, la marginalité, les fossés entre les groupes sociaux et les cultures ».
Peut-on lutter contre ce mouvement ? Les spécialistes chiffrent avec l’aggravation de la ghettoïsation sociale, l’écart des résultats scolaires entre les zep et les autres. Cette réalité rend inévitable le sauve-qui-peut des familles. Les géographes observent la fragmentation croissante de nos villes qui va de pair avec la ségrégation sociale. Les aides publiques elles-mêmes poussent les ménages à quitter la ville pour s’installer dans un pavillon en grande banlieue. Le plan type des lotissements actuels vise à les isoler de la circulation de passage : ses rues sont souvent des impasses. Les quartiers clos se multiplient en Ile-de-France et dans le sud du pays à l’image des « gated communities » américaines. Ce mouvement spontané nous dit à quel point notre société fuit l’urbanité et ce qu’elle implique comme brassage social. L’objectif de la mixité sociale semble s’éloigner chaque jour. Le débat sur la carte scolaire a au moins l’avantage de poser la question du tissu social dans le débat politique.
Sans perspective de ce côté, la réponse à un assouplissement de la carte scolaire ne peut se trouver que dans un effort d’égalité, c’est-à-dire des moyens supplémentaires pour les zep. C’est la condition préalable à tout assouplissement de la carte scolaire.
Finalement, la première victime de ce débat pourrait bien être le ministre de l’éducation nationale. Car ce qui est mis en évidence c’est l’insuffisance de la politique d’éducation prioritaire du gouvernement. Quelques jours après de fracassantes déclarations sur la « relance » des Zep, G. de Robien est invité à revoir sa copie.
Discours du premier ministre
http://www.premier-ministre.gouv.fr/acteurs/interventions_[…]
Francois Dubet et Marie Duru-Bellat
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-811039,0.html
Communiqué Fcpe
http://www.fcpe.asso.fr/ewb_pages/a/actualite-fcpe-1521.php[…]
L’Unesco plaide pour la mixité sociale à l’Ecole
« On peut avoir l’équité et l’excellence ». C’est le message que délivre J. Douglas Willms, en conclusion de l’ouvrage de l’Unesco « Learning Divides ».
L’auteur s’appuie sur deux tests internationaux : Pirls, qui analyse les résultats des écoliers de Cm1, et Pisa qui concerne ceux des adolescents de 15 ans. Il les interroge pour répondre à 10 questions tournant autour du rapport entre performances et équité des systèmes éducatifs.
Et les réponses sont claires. Oui le niveau éducatif diffère d’un pays à l’autre. Oui il y a partout une relation entre catégorie sociale élevée et bonne performance scolaire. « Les écoles à succès sont celles qui aident les élèves de milieu défavorisé. Les pays qui ont les meilleures performances sont ceux qui réussissent non seulement à élever le niveau mais à le rendre plus équitable. Ce qui est vrai au niveau des pays se retrouve à celui des écoles.
Ainsi les enfants de milieu défavorisé qui sont dans des écoles où existe un brassage social ont de meilleurs résultats que ceux qui sont dans des écoles socialement ségrégatives. Et l’auteur montre du doigt les systèmes éducatifs qui sélectionnent précocement comme l’Allemagne, qui vient pourtant d’inspirer à la France l’apprentissage – junior. « Il n’est pas forcément avantageux d’avoir un recrutement socialement homogène ».
Chiffres à l’appui, les conclusions de l’étude invitent donc à la mixité sociale à l’Ecole. Mais ce n’est pas tout. Elle insiste sur l’importance du facteur social dans les difficultés scolaires et invite les établissements à avoir une politique spécifique en direction de ces élèves. Une réflexion qui est aux antipodes de l’approche personnalisée de la difficulté scolaire qui se met en place actuellement en France.
La mixité scolaire suffirait-elle à effacer l’échec scolaire ? Pirls et Pisa montrent également l’importance de facteurs pédagogiques propres aux établissements. « Le facteur le plus important pour expliquer la réussite en lecture, c’est l’expérience du maître, le climat qui règne dans la classe et le soutien parental. Dans Pisa c’est le taux d’encadrement, la formation des enseignants, le moral des enseignants et le climat de l’établissement. »
Plus de mixité sociale, moins de sélection, davantage de formation et de pédagogie : telle est la recette que propose l’Unesco. L’organisation serait-elle pour la carte scolaire ?
http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001470/147066e.pdf
L’Ocde dénonce l’inégalité sociale dans l’Ecole française
« Dans les pays de l’OCDE, les élèves issus des milieux les plus défavorisés sont en moyenne 3,5 fois plus susceptibles que ceux issus des milieux les plus privilégiés d’obtenir de faibles performances en mathématiques, c’est-à-dire de se classer au niveau 1 de l’échelle PISA, voire en deçà. En France, parmi les élèves issus de milieux défavorisés, 32 % se classent au niveau 1… Par opposition, parmi les élèves issus de milieux privilégiés, seuls 10 % se classent au niveau 1 ou en deçà. Ainsi, en France, un élève issu d’un milieu défavorisé a 4,3 fois plus de risques qu’un élève issu d’un milieu privilégié de se situer au bas de l’échelle d’aptitudes en mathématiques. Ce chiffre se situe légèrement au dessus de la moyenne des pays de l’OCDE ». Avec « Regards sur l’éducation » l’Ocde met en parallèle les résultats et les caractéristiques des systèmes éducatifs des pays membres de l’organisation. Et elle épingle la France sur l’inégalité sociale devant l’Ecole.
A vrai dire ce n’est pas la première fois. En mars 2006, Andreas Schleicher, directeur de l’éducation de l’Ocde, avait souligné cette tare française. « C’est peut-être la plus grande déception des systèmes éducatifs européens. Nombre d’entre eux font des déclarations ambitieuses sur l’équité dans l’éducation. Mais l’étude PISA révèle que l’origine sociale joue un rôle plus fort dans les résultats scolaires en Allemagne, en France et en Italie qu’aux Etats-Unis. » On observe également en France que les élèves faibles en maths ont relativement une probabilité plus grande d’avoir des difficultés également en lecture que dans les autres pays Ocde.
Après l’Unesco, qui pense que « on peut avoir l’équité et l’excellence » voilà l’Ocde qui insiste sur l’insuffisance de l’éducation prioritaire française. Le plan Ambition réussite est-il susceptible d’inverser cette situation ? On peut en douter.
Certes certains soulignent que le plan, avec le millier de professeurs référents, favorise la constitution d’équipes pédagogiques stables, ce qui est un facteur clé d’amélioration des performances. Mais cet effort semble éloigné des besoins réels et est décrit par certains acteurs de terrain comme un simple saupoudrage de moyens.
On peut craindre que d’autres mesures aillent accentuer l’inégalité sociale à l’Ecole. C’est le cas par exemple de l’apprentissage junior. Ce dispositif vise à écarter de l’Ecole les jeunes des milieux défavorisés en les orientant précocement vers ce qui ressemble fort à une voie d’exclusion. Enfin le débat sur la carte scolaire n’est pas sans rapport avec cette question. Une libéralisation de la carte sans augmentation nette des moyens des zep ne ferait qu’aggraver la ghettoïsation de ces établissements et creuser le fossé social.
Il peut sembler paradoxal que ce soit l’Ocde qui ramène la dimension sociale dans le débat scolaire français. C’est particulièrement nécessaire au moment où celle-ci est évacuée au bénéfice d’une personnalisation de la réussite et de l’échec.
http://www.oecd.org/dataoecd/51/25/37392770.pdf
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2006/03/index140306.aspx
Bruxelles demande aussi un effort d’équité à l’Ecole
» Des systèmes d’éducation et de formation efficaces peuvent avoir un effet bénéfique important sur notre économie et notre société mais les inégalités de ces systèmes ont des coûts occultes considérables qui apparaissent rarement dans les comptes publics. Si nous oublions la dimension sociale de l’éducation et de la formation, nous risquons de payer un prix élevé pour redresser la situation plus tard. La communication d’aujourd’hui invite les Etats membres à accroître leurs efforts pour améliorer tant l’efficacité que l’équité de leurs systèmes d’éducation et de formation, afin que tous les citoyens, notamment ceux qui sont défavorisés, puissent pleinement jouer leur rôle dans la société et dans l’économie ». Ján Figel’, commissaire européen chargé de l’éducation, souligne 2 priorités pour l’enseignement scolaire.
Il faut renforcer l’enseignement préscolaire « c’est le moyen le plus efficace de jeter des bases pour un apprentissage ultérieur, la prévention des abandons scolaires, l’obtention de résultats plus équitables et le relèvement des niveaux généraux de compétence ».
La Commission demande également qu’on n’oriente pas trop précocement les élèves : « cette pratique accentue les effets du contexte socio-économique sur le niveau d’instruction et qu’elle n’améliore pas l’efficacité à long terme ». Une remarque qui pourrait concerner l’apprentissage junior.
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/1159[…]
Carte scolaire : Le scandale n’est pas là…
« Le vrai problème soigneusement dissimulé n’est pas celui de la discrimination sociale par la carte scolaire, c’est l’obligation d’accepter les pédagogies décidées selon le seul bon vouloir des enseignants » estime Bernard Collot, ancien instituteur, dans Libération. « Si, dans un même secteur, des parents pouvaient choisir entre un établissement aux pédagogies traditionnelles et un établissement aux pédagogies modernes, il est certain que les choix ne s’effectueraient plus sur des critères sociaux, prétexte mis en avant par les défenseurs de la carte scolaire. Tant que les parents sont exclus de l’élaboration des stratégies éducatives des établissements de leurs quartiers (ce qui sera un jour une vraie révolution culturelle), tant qu’ils sont soumis à laisser leurs enfants à partir de 5 ans dans une institution hors du contrôle des citoyens, on ne peut pas continuer, dans une société démocratique, à les obliger à subir les choix d’enseignants (ou d’un ministre) dont chacun sait qu’ils ne dépendent que d’appréciations individuelles (puisqu’elles peuvent toutes être contestées) et qu’ils auront des conséquences sur le développement cognitif, psychologique et citoyen de l’enfant ».
http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/203798.FR.php