Dossier spécial
Que veut dire 85% de reçus au bac ?
Les résultats du bac ne sont pas encore connus que déjà les déclinologues donnent de la voix. Ont-ils raison ?
« Le niveau d’exigence du bac baisse, dénoncent les enseignants » affirme Marie-Estelle Pesch dans Le Figaro. Elle relève qu’avec plus de 80% de réussite, la bac 2006 pourrait être « le plus facile depuis mai 1968 ». D’ailleurs, selon elle, « cette interrogation sur le manque d’exigences des épreuves touche tous les examens ».
S’il est vrai qu’un fort taux de réussite en 2006 constitue un apparent paradoxe après plusieurs semaines de grève dans les lycées, ces affirmations ne sont pas recevables.
Il faut rappeler d’abord que le taux de 1968 était vraiment extraordinaire puisque le taux de réussite tournait autour de 60% dans les années 1960 et qu’il a été de 81% en 1968. Si le taux de 2006 monte jusqu’à 85% en série générale, par exemple, il ne sera que de 1% supérieur à celui des années 2003 – 2005. Car l’idée d’une forte progression du nombre de reçus fausse la réalité de l’évolution du bac. Ce que montrent les statistiques officielles, c’est au contraire une stabilisation de la proportion de bacheliers depuis le milieu des années 1990. De la même façon, le pic de 1968 cache une tendance à la forte augmentation des bacheliers de 1960 à 1970, puis de 1986 à 1994. Depuis 1995, la progression s’est brisée et la proportion de bacheliers stagne à un niveau qui n’est pas exceptionnel dans les pays développés :un peu plus de 60% d’une génération.
Partant de cette erreur de perspective, Le Figaro tente de trouver des explications. » A partir du moment où il y a des problèmes de manifestations et de cours supprimés, il est évident que les organisateurs du bac demandent aux correcteurs d’être un tout petit peu plus sympas ». Il est possible effectivement que les jurys soient un peu plus indulgents pour les candidats ayant un bon livret scolaire mais on voit mal « les organisateurs du bac » (le ministre ??) venir paternellement le leur demander… Autre explication, selon M.-E. Pesch, « de nombreux points auraient par ailleurs été facilement glanés grâce aux travaux personnels encadrés (TPE) ». Une accusation qu’on entend… depuis que les TPE existent. Pas de chance pour Le Figaro : cette année exceptionnellement, suite à la suppression des TPE par F. Fillon puis à leur rétablissement, les travaux de TPE ne sont pas évalués. Les points accordés au titre des TPE sont les points obtenus par le candidat dans l’épreuve écrite d’une des disciplines de TPE. En clair les points de TPE sont en fait ceux des dissertations si chères aux déclinologues… Cet article ne fait que ressasser les préjugés et les opinions toutes faites remâchées chaque année comme un vieux chewing-gum par un lobby dégoûté par une jeunesse qu’il ne reconnaît pas.
Car ce qui défrise dans un fort taux de réussite au bac c’est quand même que certains qui n’y arrivaient pas y arrivent. Or on sait bien que statistiquement on a d’autant plus de chances de réussir le bac que l’on est issu d’un milieu favorisé. L’élévation du taux de réussite au bac renvoie à sa démocratisation. Ce n’est pas tolérable pour tout le monde…
Mais il nous reste notre paradoxe : comment expliquer qu’après autant de grèves le taux de réussite augmente ? Osons un contre paradoxe : et si le lycée apprenait avant tout autre chose qu’à réussir le bac ? Autre chose de plus subtil, de plus intellectuel, à la fois savoir réfléchir, ouvrir sa tête à des idées nouvelles, découvrir des univers, apprendre à se situer dans une société de pairs, gérer ses sentiments… Toutes choses qui absorbent beaucoup de temps et d’énergie dans une année scolaire normale. Le bac mobilise-t-il toutes ces compétences ? Il semble bien qu’il fasse prioritairement appel à la mémorisation, y compris dans les exercices que l’on présente souvent comme de haute volée. Quel candidat n’a pas appris par coeur des plans de dissertation ? On se rend compte de la force de la mémorisation quand on ose une innovation même minime, par exemple en 2003 dans l’épreuve de maths. Aussitôt on frôle la catastrophe. La mémorisation nécessite moins d’heures de cours. Il semble bien que c’est comme cela que les élèves et leurs professeurs s’en sont sortis cette année.
Si le taux de bacheliers monte cette année à 85% cela ne changera pas sensiblement l’évolution du taux de réussite. Puisse cela nous faire réfléchir à ce que nous évaluons dans cet examen et dons à ses finalités.
Article du Figaro
http://www.lefigaro.fr/france/20060710.FIG000000098_bac_le_plus_facile_depuis_mai_.html
Les statistiques du bac
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/2006/bac/statistiques.pdf
Dossier spécial du Café : pesanteurs sociales et réussite scolaire
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2006/pedago_73_accueil.aspx#158
Il y a-t-il trop de diplômés ?
« A-t-on raison de persister à vouloir mener 80 % d’une classe d’âge au bac ? Oui, si l’objectif est de donner à tous un niveau commun de formation. Encore faut-il le définir. Les comparaisons internationales montrent que les facteurs affectant le plus la cohésion sociale ne relèvent pas tant du niveau d’instruction moyen de la population que de l’égalité de niveau entre chacun : plus les écarts se creusent, plus les effets sont négatifs et se ressentent, par exemple, en termes de violence. Or, plus on élève le niveau, plus il est difficile de l’atteindre, et plus on prend le risque que subsiste un noyau d’exclus. C’est le reproche à faire aux 80 % : quid des 20 % restants ? » Dans L’Humanité Marie Duru-Bellat jette un regard critique sur la course au bac et aux diplômes. » Encore une fois, cela profite à ceux qui sont déjà en tête. En outre, je m’interroge : ces jeunes, qui sont en maîtrise, y prennent-ils du plaisir ? Beaucoup disent qu’ils n’ont pas le choix, parce qu’on leur a dit que pour trouver un emploi il fallait un bac + 4″.
Faut-il élever le nombre de reçus au bac ? A-t-on besoin de davantage de diplômés ? Marie Duru-Bellat, dans son livre sur « L’inflation scolaire » juge que non. La question fait débat. Ainsi pour A. Schleicher, patron de l’éducation à l’OCDE, » les économies les plus compétitives seront celles qui produiront le plus d’information et de connaissances… On pourrait penser qu’avec un tel développement de l’éducation il y aurait une baisse de la valeur des diplômes. A l’évidence c’est le contraire. A l’exception de l’Espagne, les revenus et les autres variables qui nous informent sur la valeur sur le marché du travail de l’éducation ont augmenté plus vite que l’offre depuis 1998. La demande de personnel qualifié augmente plus vite que la fourniture par nos universités ».
Retrouvez dans le Café les éléments du débat.
http://www.humanite.fr/journal/2006-07-08/2006-07-08-833251
Dossier spécial sur l’inflation scolaire
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2006/pedago_71_accueil.aspx#200
Article de M. Duru-Bellat dansle Café 72
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2006/analyses_72_accueil.aspx
Qu’en est-il ailleurs ? Un exemple : le Canada
Publiée en juillet 2006, l’étude de Danielle Shaienks, Judy Eis-Culkin et Patrick Bussière analyse le cheminement d’études des jeunes Canadiens de 18 à 20 ans. Dans ce pays, le pourcentage de jeunes ayant un diplôme de fin du secondaire est passé de 75% en 1999 à 90% en 2003. Trois jeunes sur quatre entreprennent des études supérieures : 62% en 1999, 76% en 2003. La proportion de diplômés du supérieur chez les jeunes est passée de 32% en 1991 à 53% en 2003. Des chiffres très supérieurs aux chiffres français. Une ombre persiste dans le paysage : le taux de décrocheurs du secondaire, ces jeunes qui quittent le lycée sans aucun diplôme, reste stable : 11% en 1999, 10% en 2003.
http://www.statcan.ca/francais/research/81-595-MIF/81-595-MIF2006045.pdf