Au moment où plusieurs textes posent la question de la capacité des enseignants à intégrer les TIC dans leur pédagogie (1), de nombreux écrits apparaissent pour parler du Web 2.0. Cette coïncidence est d’autant plus intéressante que l’une des explications, parmi d’autres, données à la frilosité du monde enseignant serait la « versatilité » des technologies.
Après l’informatique, le multimédia, Internet, maintenant le web 2.0, ceux qui ont traversé ces différentes périodes comme acteur dans le système éducatif ont pu entendre ces discours sur cette impression de changement permanent qui caractérise les TIC (on croirait entendre le même discours que pour les réformes successives dans l’enseignement…).
A force de répéter toujours le même refrain « l’école à du mal à intégrer les TIC », ne faudrait-il pas commencer à poser la question inverse : et si les TIC se développaient dans une direction radicalement opposée au système scolaire ne pourrait-on considérer qu’elles ont de moins en moins à faire dans l’école ? Comme si il fallait désormais admettre que ce n’est pas l’école qui refuse les TIC mais les TIC qui ne veulent pas entrer dans l’école. Quand je parle des TIC ici, ce n’est pas une personnification, un anthropomorphisme de la technique mais plutôt la traduction de ce que l’ensemble des acteurs de la société adopte et donc fait de ces technologies qu’on leur propose.
Le web 2.0 me semble une bonne illustration de cette hypothèse. Rappelons que ce qui est nommé ainsi c’est le fait que de plus en plus d’usagers adoptent sur Internet les pratiques collectives, collaboratives et interactives que leur permet Internet (Cf les articles du Monde publiés récemment). Le symbole représenté par le 2.0 est là pour signaler que l’on change de génération dans les possibilités techniques (interactivité, réseaux d’échange etc.) par rapport à une première période (sites écrits en HTML, difficulté d’échange pour les non initiés, usages sommaires…). Si cette évolution technique est en fait une lente progression (et non pas une nouvelle révolution, les blogs ne sont guère plus que des sites web avec des forums, en plus simple) ce qui change en même temps c’est la facilité d’usage d’une même technologie qui petit à petit devient accessible à tous (il est désormais très simple de s’exprimer sur Internet par un blog ou autres sites assistés).
C’est pourquoi, plutôt que de parler de web 2.0, j’utiliserai plus volontiers l’expression de « web social ». Car ce n’est pas la technologie qui change, ce sont les pratiques. Ainsi quand Joël de Rosnay utilise le néologisme de « pronetariat », il met l’accent sur cette socialisation nouvelle des TIC qui se traduit par de nouvelles sociabilités. L’exemple de l’appropriation des blogs par les jeunes, et plus généralement des TIC comme le montre la récente enquête Mediapro (CLEMI) (2), montre un éloignement progressif de ces pratiques de l’univers de l’école.
Depuis le début de l’informatique, l’école a été progressivement mise à l’écart; à l’opposé de l’audiovisuel qui a été largement ignoré et d’abord absent de l’école au début puis progressivement (mais très partiellement) intégré. Rappelons-nous les 58 lycées des années 70, puis le plan informatique pour tous en 1985 et plus récemment le PAGSI en 1997 qui sont autant de preuves de ce côté précurseur de l’école par rapport aux usages sociaux. Or on observe que, malgré les efforts constants des responsables et des acteurs, les usages sociaux se sont développés beaucoup plus vite dans les familles et l’école ne parvient pas à suivre.
Comme il est de coutume dans notre société française de désigner facilement le système scolaire comme responsable de la lutte contre les maux de la société, on ne s’étonne pas de lire ces articles qui fustigent parfois, mettent en évidence souvent, la résistance des enseignants. Or il me semble que les technologies qui se développent sont à l’opposé du modèle scolaire : la réussite scolaire est vécue comme individuelle, l’enseignant exerce souvent sa profession dans une certaine solitude (pas ou peu de temps de concertation au collège et au lycée), le modèle dissymétrique maître élève est dominant etc. Or l’interactivité, la communication interindividuelle, la collaboration sont des valeurs portées par le « web social » qui vont à l’encontre de la « forme scolaire » canonique. La fonction sociale de l’école est plus souvent vécue comme une fonction de tri plutôt que d’intégration. Or la socialisation et la sociabilité se développent désormais de plus en s’appuyant sur les services offerts par les technologies.
Soucieuse de contrôle et de sécurité, et à juste titre compte tenu du contexte politique, l’école est progressivement mise « hors jeu » (la métaphore est opportune ici) de ce mouvement qui propose de prendre des risques dans les relations, de dépasser les murs des établissements et des maisons, de s’ouvrir au monde, aux informations et aux savoirs sans médiation.
L’école, lieu de médiation par excellence, est concurrencée par l’immédiation que proposent les possibilités technologiques accessibles. Peut-elle, doit-elle accepter de prendre en compte cette différence ? Les usagers des technologies et les jeunes en particulier signalent volontiers cet écart aussi bien dans leurs pratiques que dans leurs propos. Il n’est pas sûr qu’ils le déplorent réellement tant, désormais, l’écart s’accroît et cantonne le système éducatif à une fonction annexe, la familiarisation technique pour les plus démunis. On peut penser que les enseignants par leur attitude ne sont que le reflet de cet état de fait qui les touche eux aussi en tant qu’acteur social qui vivent eux aussi ce décalage au quotidien.
A moins que le système scolaire n’opère un changement radical, il y a peu de chances que la tendance s’inverse
Bruno Devauchelle
Sur ce sujet :
voir l’article pratiques pédagogiques de ce numéro :
TICE et obstacles pédagogiques : le cas des plates formes
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/laclasse/Pages/2006/pratiques_73_accueil.aspx
Notes :
1- Par exemple : le blog de François Guite
http://www.opossum.ca/guitef/archives/002621.html
et le Carnaval des blogs d’Avril 2006 http://www.openfing.org/educarnaval/index.php?2006/04/01/13-educarnaval-4-la-formation-des-enseignants-a-legard-des-tic
le numéro de Juin 2006 du bulletin CRIFPE, formation et profession
http://www.crifpe.ca/)
2- Sur l’enquête Mediapro voir L’Expresso du 19 juin 2006
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2006/06/index190606.aspx