Dossier spécial
Quel impact ont les inégalités sociales sur les résultats scolaires ? Cinq études explorent la question sous des angles différents : pesanteurs sociales, familiales, régionales. Au risque de gommer des réalités dérangeantes…
L’école discrimine les enfants issus de l’immigration affirme l’OCDE
« Si les élèves issus de l’immigration affichent généralement de bonnes prédispositions à l’apprentissage, les écarts de performance entre élèves autochtones et non autochtones varient fortement d’un pays à l’autre. Les différences sont les plus marquées en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Danemark, en France, aux Pays-Bas et en Suisse. En revanche, les niveaux de compétence des élèves issus de l’immigration et des élèves autochtones sont similaires dans trois des pays ayant une longue tradition d’immigration (l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande) ».
Basée sur les résultats de l’enquête internationale PISA, une étude de l’OCDE met en évidence le rôle discriminant de l’Ecole. Selon elle, « les systèmes éducatifs dans de nombreux pays de l’OCDE servent mal les enfants issus de l’immigration ». Ainsi, « les résultats de l’enquête indiquent que seul un petit pourcentage d’élèves autochtones n’atteint pas le niveau 2, alors que la situation est fort différente pour les élèves issus de l’immigration. Plus de 40 pour cent des élèves allochtones en Belgique, en France, en Norvège et en Suède, et plus de 25 pour cent des élèves allochtones en Allemagne, en Autriche, au Danemark, aux États-Unis, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Suisse, ainsi que dans la Fédération de Russie, affichent des performances inférieures à celles attendues au niveau 2 ».
On remarquera particulièrement la situation de la France : c’est un des pays où les résultats des enfants issus de l’immigration sont les plus faibles. Ainsi, alors que le score moyen en maths des Français autochtones est de 520, celui des immigrés de première génération est de 448 et celui des immigrés de seconde génération est de 472. Des chiffres à comparer aux moyennes de 17 pays de l’OCDE : 523, 483 et 475. Seuls la Belgique, la Suisse et la Suède affichent un écart encore plus fort que la France.
Résultats selon l’OCDE : « dans la majorité des pays évalués, au moins 25 pour cent des élèves issus de l’immigration pourraient être confrontés à des défis considérables au cours de leur vie professionnelle et privée : leurs résultats à l’évaluation PISA 2003 indiquent qu’ils ne possèdent pas les savoir-faire élémentaires en mathématiques ». Pour l’OCDE, « ne rien faire n’est pas une option : vu les taux de chômage qui dans de nombreux pays sont deux à trois fois supérieurs parmi les populations immigrées que parmi les nationaux, il peut être infiniment plus coûteux de ne rien faire que d’agir ». C’est ce que les émeutes nous ont rappelé récemment.
Comment expliquer de tels écarts ? L’enquête montre que les élèves issus de l’immigration sont motivés. Le fait que la langue parlée à la maison ne soit pas celle de l’école joue sans doute un rôle. Il conviendrait sans doute de renforcer les mesures de soutien linguistique dans les établissements à l’image de ce que font le Canada et l’Australie.
Mais l’enquête avance aussi une autre explication. » De fait, dans bien des pays, les enfants issus de familles immigrées sont désavantagés dès le départ. Ils sont en général affectés à des établissements scolaires moins performants qui ont souvent pour caractéristique d’accueillir des enfants issus des milieux défavorisés et où, dans certains pays, les conditions de vie en classe sont conflictuelles. Dans tous les pays examinés sauf quatre, au moins 25 % des enfants issus de la deuxième génération d’immigrés fréquentent des établissements scolaires où les populations immigrées représentent plus de 50 % des effectifs. En comparaison, moins de 5 % des enfants autochtones se trouvent dans cette situation dans tous les pays sauf deux ».
La discrimination ethnique est aussi à l’oeuvre dans les systèmes éducatifs. En France les travaux de Georges Felouzis l’a mise en évidence. Quelle politique menée face à cette situation ? La Suisse a récemment publié un rapport montrant que le problème est perçu. Est-ce le cas dans l’éducation nationale ?
Communiqué
http://www.oecd.org/document/1/0,2340,fr_2649_201185_36701889_1_1_1_1,00.html
Résumé de l’étude (en pdf)
http://www.pisa.oecd.org/dataoecd/51/21/36707768.pdf
Equité et inégalité dans les écoles d’Europe
» Quelle est l’ampleur des inégalités au sein des systèmes éducatifs européens ? Existe-t-il des différences – entre les pays et au sein même de ceux-ci ?… Quelle est l’ampleur des inégalités sociales et économiques (contextuelles) liées au niveau éducatif ?… Les systèmes éducatifs européens peuvent-ils avoir un rôle amplificateur ou réducteur des inégalités contextuelles ?… Dans quelle mesure les inégalités éducatives peuvent-elles profiter aux populations les plus défavorisées et encourager des phénomènes de mobilité sociale ascendante ? » L’étude de A. Baye, M. Demeuse, C. Monseur et C. Goffin, analyse les résultats des 25 pays européens aux enquêtes internationales (Pisa).
Arrive-t-elle à un classement ? Non. « Il y a bien des différences d’équité entre les systèmes éducatifs : certains semblent plus ou moins équitables que les autres sur une forte majorité de critères. Toutefois, pour beaucoup, le jugement sur l’équité varie, quelques fois fortement, selon le mode de lecture retenu. Il est donc essentiel d’utiliser les indicateurs dans la perspective qui a présidé à leur élaboration : permettre la discussion entre décideurs et citoyens, en nourrissant le débat et en tentant de confronter les perceptions des acteurs et des données qui souvent les dépassent. En effet, la volonté des concepteurs de cet ensemble d’indicateurs n’est pas d’offrir un classement qui stériliserait toute discussion, mais bien de proposer des informations, aussi objectives que possible, et qui conduisent à l’échange à propos de la place de l’école dans la société, son rôle dans le domaine de l’atténuation ou, malheureusement, de l’exacerbation des inégalités sociales… «
Les auteurs ne mettent donc personne en accusation. Pourtant l’Europe apparaît bien coupée en trois. » Le premier groupe reprend les pays où les inégalités d’éducation semblent les plus importantes : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Grèce. Par ailleurs, les systèmes éducatifs belge et allemand, si on compare le contexte et les résultats obtenus joueraient un rôle amplificateur des inégalités… Le deuxième ensemble comprend les pays occupant, pour au moins trois des aspects considérés, les positions intermédiaires : la France, le Royaume-Uni et dans une moindre mesure le Portugal… Enfin, un troisième groupe de pays émerge ; il reprend les pays qui, au fil des classements, apparaissent comme étant les plus équitables : la Suède, l’Irlande, le Danemark et la Finlande ».
Une interprétation qui est à comparer aux récents travaux, parfois moins diplomates, de l’OCDE.
Etude européenne (pdf)
http://www.ulg.ac.be/pedaexpe/equite/fichier/pdf/2005_25EM_PDF_FRANCAIS.pdf
Rappel : Etude Ocde
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2006/05/index170506.aspx
Rappel : Etude Ocde
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2006/03/index140306.aspx
Pesanteurs sociales et familiales et accès à l’emploi
« Les difficultés d’insertion professionnelle sont plus importantes pour les jeunes dont le père est ouvrier que pour les enfants de cadres ou de professions intermédiaires. Ces différences tiennent en grande partie au niveau de diplôme atteint. Cependant, à diplôme équivalent, l’origine sociale a peu d’effet sur la participation à l’emploi. Lorsqu’ils sortent de l’enseignement supérieur, les enfants d’ouvriers, même s’ils accèdent à des salaires plus faibles en moyenne, ne sont pas plus confrontés au chômage que les enfants de cadres. Les origines nationales induisent un clivage important. Même à diplôme équivalent et avec une profession du père comparable, les jeunes issus de l’immigration maghrébine ont un risque bien plus élevé de rester à l’écart de l’emploi que les jeunes d’origine européenne ».
Cette enquête réalisée par Alberto Lopez et Gwennaëlle Thomas (Céreq) et publiée par l’Insee, confirme des travaux antérieurs. On y trouvera de nombreux tableaux statistiques pour les différentes CPS. Ainsi ce tableau qui indique l’effet de diverses variables sur le salaire d’embauche au premier emploi. Elle montre également la pesanteur des événements familiaux (maladie, misère etc.) dans l’accès à l’emploi. « D’une certaine manière, une partie des difficultés d’insertion professionnelle rencontrées par les jeunes semble héritée de leurs parents ».
Etude (en pdf)
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/DONSOC06zf.PDF
Rappel : Etude Céreq
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2006/03/index090306.aspx
Revenu et résultats des enfants
« L’ampleur de la relation observée entre les résultats de l’enfant et son revenu familial varie selon le domaine de développement. Par exemple, la relation entre le revenu et les résultats cognitifs (scores à l’Échelle de vocabulaire en images de Peabody (EVIP), scores en mathématiques ou en lecture, etc.) et les résultats comportementaux (nombre d’heures passées à regarder la télévision, etc.) est particulièrement forte. Les liens entre les résultats de l’enfant sur le plan de la santé physique et le revenu familial sont, de manière constante, assez évidents, tandis que les liens entre le revenu familial et les résultats sur le plan socio-affectif sont généralement plus ténus ». Réalisée pour Statistique Canada, l’étude de Shelly Phipps et Lynn Lethbridge sur « le revenu et les résultats des enfants » tente de comprendre le fonctionnement du lien bien connu entre revenu des parents et résultats scolaires.
Elle met également en évidence l’impact d’une élévation du revenu sur les enfants les plus jeunes.
http://www.statcan.ca/francais/research/11F0019MIF/11F0019MIF2006281.pdf
Origines régionales et sociales : quelles inégalités ?
Comment expliquer les forts écarts de réussite scolaire d’une région à l’autre ? Certes, « de nombreuses études ont montré le poids de l’environnement socioculturel sur les trajectoires scolaires. On sait, par exemple, que la demande d’orientation en fin de troisième reste socialement différenciée. À résultats comparables au brevet, neuf enfants de cadres sur dix demandent à poursuivre leurs études en seconde générale ou technologique, alors qu’ils ne sont que six sur dix à le vouloir lorsqu’ils sont enfants d’ouvriers (Caille, 2005)… Ces différences de choix d’orientation en fin de troisième, associées à des inégalités d’acquis à l’entrée au collège – elles aussi fortement liées à l’origine sociale -, ont des conséquences importantes sur les performances et les parcours scolaires des élèves. En effet, 85 % des enfants d’enseignants et de cadres quittent l’enseignement secondaire avec le baccalauréat, alors que la moitié seulement des enfants d’ouvriers parvient à ce niveau de diplôme (Lemaire, 2006) ».
Mais une étude de la Dep met en avant les inégalités de composition sociale d’une académie à l’autre. « Les académies les plus performantes sont celles où les catégories socioprofessionnelles sont représentées de façon plus homogène, et où l’offre de formation est variée, tant au niveau des filières, des niveaux de la formation dispensée que du type d’établissement dans lequel les élèves sont susceptibles d’être scolarisés ». L’offre de formation diffère beaucoup d’une région à l’autre et n’est pas assez diversifiée. Une offre diversifiée caractérise les académies performantes.
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/dpd/ni/ni2006/ni0615.pdf
http://www.adobe.fr/products/acrobat/readstep2.html
Le voisinage influence les résultats des élèves
« La progression scolaire d’un adolescent est affectée négativement par la proportion de familles à bas niveau éducatif vivant dans son voisinage ». Dominique Goux (Insee) et Eric Maurin (IZA) mettent en évidence un important effet de voisinage sur les résultats scolaires, dans une étude publiée par l’Institute for the Study of Labor (IZA) de Bonn.
ftp://ftp.iza.org/dps/dp2095.pdf